25 novembre : une journée de lutte contre les violences masculines

Ce 25 novembre, la Belgique organisait sa première manifestation nationale contre les violences envers les femmes. Ce jour marquait aussi la clôture d’une grande campagne de Vie Féminine pour sensibiliser à l’engrenage infernal des violences. Récit d’une journée solidaire.

Le 25 novembre 2017, la manifestation de lutte contre les violences envers les femmes, une première en Belgique, a rassemblé 2.000 personnes selon la police, 4.000 selon les organisatrices. © Vie Féminine

Cet article est publié dans le cadre d’un dossier spécial sur les violences contre les femmes, avec une série de témoignages et des articles de fond.

Il est 8h30. Une vingtaine de femmes, très emmitouflées, plus ou moins réveillées, ont rendez-vous à la gare de Liège. Elles composent le groupe régional liégeois. Dans leurs sacs, elles ont emporté des foulards du mouvement Vie Féminine, mais aussi des panneaux imprimés de slogans. En route pour une journée de lutte contre les violences masculines.

Arrivées à Bruxelles, nous retrouvons une salle comble au Centre sportif et culturel Pôle Nord. Tous les groupes régionaux du mouvement sont représentés : près de 180 femmes qui vont passer la matinée à échanger entre elles et avec des représentantes politiques, avant de rejoindre la manifestation nationale prévue pour 14 heures.

Ce 25 novembre 2017, Journée internationale de lutte contre les violences envers les femmes, est aussi, pour Vie Féminine, la fin d’une campagne lancée un an plus tôt : « Brisons l’engrenage infernal ». © Vie Féminine

Ce 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences envers les femmes, est aussi, pour Vie Féminine, la fin d’une campagne lancée un an plus tôt : Brisons l’engrenage infernal. Céline Caudron, la coordinatrice de la campagne, explique : « La notion d’engrenage, de « continuum » des violences, a permis de décloisonner les violences, de montrer qu’il existe de nombreuses formes de violences masculines et qu’elles sont toutes liées entre elles. »

La Convention d’Istanbul à la loupe

La Convention d’Istanbul, texte du Conseil de l’Europe signé par 27 pays, dont la Belgique, vise à prévenir et lutter contre toutes les formes de violences à l’égard des femmes et contre la violence domestique. Ce texte constitue un outil très important pour les droits des femmes car, comme nous le rappelions dans cet article, « il adopte une lecture genrée des violences et aborde la diversité des violences, tant physiques, sexuelles, psychologiques qu’économiques, commises autant dans la vie publique que dans la vie privée. »

La Convention d’Istanbul, instrument contraignant, est entrée en vigueur le 1er juillet 2016 dans notre pays. Mais la Belgique tient-elle ses engagements ? Les groupes régionaux de Vie Féminine ainsi que des collectifs de jeunes femmes ont analysé des articles de la Convention afin d’en faire l’évaluation. Toutes les participantes ont constaté que c’était loin d’être gagné.

Notamment en matière de sensibilisation sur les questions de violence, en matière d’éducation, de prévention et détection de la violence, en matière de protection des femmes, de formation et de spécialisation des travailleurs/euses sociaux/ales et de la Justice, la Belgique a encore de nombreux efforts à faire pour respecter ses engagements. Simple exemple, collecté et présenté par la délégation de Liège : une école envoie un courrier aux parents pour leur demander que leurs filles portent des collants sous leurs jupes, parce que des garçons de l’école soulèvent les jupes des filles : on culpabilise très tôt les victimes…

Les femmes de Vie Féminine Brabant wallon, dans une performance sonore poignante, ont présenté les articles de la Convention qui portent sur l’accueil des plaintes par la police et les dispositifs de protection des victimes. « Apparemment, il y a une bonne façon d’être violée : il faut dire plusieurs fois NON, crier. Mais comment faire quand on est pétrie de peur de prendre des coups », énonce une femme, lisant un témoignage à voix haute.

Les femmes de la Région picarde ont pour leur part attiré l’attention sur l’article 48 de la Convention, concernant la médiation. La Convention recommande en effet de ne pas imposer des modes alternatifs de résolution des conflits du type « médiation » dans le cas de violences conjugales, pratique qui est pourtant largement répandue aujourd’hui. Chaque groupe a aussi proposé des mesures concrètes qui pourraient être prises, comme davantage de lieux sécurisants pour les femmes, y compris en milieu rural, un accompagnement des femmes et un soutien dans leurs démarches.

Table ronde politique

Les trois ministres qui pilotent le « Plan d’action national et intra-francophone de lutte contre les violences sexistes et intra-familiales » ont répondu à l’invitation de Vie Féminine : Céline Fremault, ministre bruxelloise ayant notamment les compétences du Logement, de l’Aide aux personnes et des Personnes handicapées ; Alda Greoli, ministre wallonne de la Culture, de l’Éducation permanente et de l’Enfance ; et enfin Isabelle Simonis, ministre de la Jeunesse, des Droits des femmes et de l’Égalité des chances en Fédération Wallonie-Bruxelles. Toutes ont rappelé leur profonde préoccupation pour la question des violences masculines et leur attention portée au genre dans leurs politiques.

Les trois ministres qui pilotent le « Plan d’action national et intra-francophone de lutte contre les violences sexistes et intra-familiales » ont répondu à l’invitation de Vie Féminine (de gauche à droite) : Céline Fremault, Isabelle Simonis et Alda Greoli. © Vie Féminine

Pour le logement par exemple, Céline Fremault a souligné la mesure prise à son initiative, permettant d’attribuer 3 % des logements sociaux bruxellois aux femmes victimes de violences conjugales. « En un an et demi, 64 logements ont été attribués », a expliqué la ministre, qui a aussi annoncé la création de deux espaces d’accueil fin 2018, l’un pour les familles monoparentales, l’autre pour les familles en errance, avec une attention portée à l’accessibilité pour les femmes migrantes.

En Wallonie, Alda Greoli a libéré 83 places de plus dans les refuges pour femmes victimes de violences, ce qui fait un total de 724 places. Elle a également déclaré que son objectif est d’ouvrir cinq centres de plus, permettant une augmentation de 200 places. Alda Greoli a aussi précisé que, outre la problématique du manque de place en refuge – pointée précédemment par les femmes de Vie Féminine –, il lui importait aussi « la question du post-hébergement, période critique pour les femmes. » Alda Greoli s’engage donc à soutenir et élargir les services ambulatoires, également souhaités par les militantes.

Quant à Isabelle Simonis, revenant sur l’article « éducation » de la Convention, elle a notamment souligné « le renforcement du dispositif de lutte contre les stéréotypes de genre dans les manuels scolaires », reconnaissant que « toute une série de manuels y échappent et se retrouvent sur les bancs des enfants. »

Enfin, étant donné que les problématiques cruciales liées à la Justice, à la police, à la santé plus largement, sont sous la responsabilité du gouvernement fédéral, toutes les femmes présentes ont regretté l’absence de réponse de Koen Geens, ministre de la Justice, à l’invitation qui lui avait été faite par Vie Féminine… Un silence qui en dit long.

« Il n’y a pas de petites violences »

Une minute de bruit contre les féminicides  : un cri collectif en mémoire de Louise, Malika, Jocelyne ou encore Barbara, 38 femmes au total tuées par les violences masculines en 2017 (selon le blog Stop Féminicide, qui tient un terrible, mais nécessaire, décompte des victimes à partir des articles de presse). C’est ainsi qu’a débuté, en début d’après-midi, la manifestation de lutte contre les violences envers les femmes, une première en Belgique, qui a rassemblé 2.000 personnes selon la police, 4.000 selon les organisatrices. « Chaque femme est confrontée à des violences qui atteignent de près ou de loin leur autonomie », ont déclaré les organisatrices de la plateforme Mirabal Belgium, qui regroupe les quelque 100 associations, collectifs et mouvements féministes belges qui appelaient à cette manifestation. Elles ont aussi interpellé le monde politique pour qu’il « prenne ses responsabilités et des mesures concrètes. »

Dans la foule, un long fil rouge de violences créé et tenu collectivement par les femmes traverse la manifestation. Il symbolise le continuum des violences. © Vie Féminine

Dans la foule, un long fil rouge de violences créé et tenu collectivement par les femmes traverse la manifestation. Il symbolise le continuum des violences. En tête de la délégation de Vie Féminine, plusieurs femmes portent une grande banderole affichant en lettres colorées : « Il n’y a pas de petites violences contre les femmes ! » Un slogan que Lise, 30 ans, partage. Elle est là pour exprimer son « ras-le-bol » de ces violences quotidiennes sur les femmes. « J’en ai marre de me faire insulter de connasse quand je prends mon vélo, de me faire mater les fesses avec un petit commentaire… »

Lise est venue avec son compagnon : pour lui, être présent à la manifestation et « s’insurger contre des propos machistes qu’il entend dans son entourage », c’est sa manière de participer à la lutte pour les droits des femmes. « C’est nous qui commettons les crimes, c’est donc important d’être là », souligne Koen, la soixantaine passée, venu avec un ami, pour qui « le combat féministe est la cause de tout le monde. »

Certain·es manifestant·es défilent avec leurs enfants. « C’est difficile de mener une éducation féministe dans une société machiste, explique Patricia, accompagnée de ses deux garçons de 8 ans. Je leur répète souvent qu’il existe encore beaucoup de différences entre les filles et les garçons, et que les filles sont moins privilégiées. »

Sur la route, les femmes crient : « Solidarité avec les femmes du monde entier ! » Elles chantent : « Et on galère, on galère ! Mais on est fortes et on est fières ! Et pour ne pas se laisser faire, on va fout’ leur système en l’air ! »

Manuela, travailleuse dans l’humanitaire, témoigne : « Je suis au bout de la chaîne du continuum des violences, rencontrant des femmes victimes d’excision, de mariage forcé, mais la violence est partout ! Je manifeste pour les femmes du Nord et du Sud. » Manuela ne voulait en aucun cas rater cette manifestation. Pour elle, « nous sommes dans un moment historique. Suite au scandale Weinstein, la loi du silence a été brisée, dans tous les milieux. Les femmes ne se sentent plus seules. » Dans les rues bruxelloises, les femmes ont en effet montré qu’elles étaient solidaires, joyeuses, soudées et bien déterminées à briser l’engrenage infernal des violences.