Réforme des pensions : une place pour l’individualisation ?

Ces dernières années, beaucoup de mesures ont été prises pour « réformer » les pensions, et ce n’est pas fini ! Système à points, critères de pénibilité, généralisation du 2e pilier… Le gouvernement a de grands projets, mais qui vont rarement dans le sens d’une amélioration des droits, en particulier pour les femmes. Qu’en est-il de la grande revendication des mouvements de femmes en matière de sécurité sociale depuis les années 1980 : l’individualisation des droits ?

CC Just Call Me Mo

Pour rappel, un tiers des montants des pensions ne sont pas octroyés en droits propres aux personnes (c’est-à-dire sur base de leur travail et de leurs cotisations), mais sont des droits dérivés d’une situation familiale avec un·e travailleur/euse : taux ménage, pensions de survie. Résultats : beaucoup de femmes se retrouvent avec de petites pensions, elles sont dépendantes financièrement de leur conjoint et le système protège toujours mieux aujourd’hui les « familles traditionnelles », c’est-à-dire les couples de préférence mariés, où l’un·e des deux conjoint·es, en général l’homme dans le cas d’un couple hétérosexuel, a un revenu principal, et l’autre un revenu secondaire, voire pas de revenu du tout.

Moderniser la dimension familiale

Le gouvernement a bien prévu de travailler sur ce qu’il appelle la « dimension familiale » des pensions. Pour cela, il veut s’inspirer du rapport rédigé par le Conseil académique des pensions, un groupe d’expert·es universitaires. Le Conseil partage – enfin – l’analyse portée par les organisations de femmes depuis longtemps : la sécurité sociale ne reflète plus les réalités des familles et entraîne une certaine précarité des femmes, en particulier en cas de séparation. Le Conseil prend acte de « la généralisation des couples à deux revenus, l’augmentation du nombre de divorces et la croissance des formes de vie communes autres que le mariage mais durables ».

Le Conseil propose donc une série de mesures qui permettraient d’améliorer cette situation :

Mesure 1 : assimilation de la cohabitation légale au mariage pour les droits à la pension ;

Mesure 2 : suppression du taux ménage, à moyen terme, après une période de transition ;

Mesure 3 : splitting des droits de pension en cas de séparation (divorce ou fin de la cohabitation légale) ;

• Mesure 4 : modification de la pension de survie : droits acquis personnellement avant le mariage + 50 % des points constitués pendant le mariage + un pourcentage des points de la/du conjoint·e décédé·e ;

Mesure 5 : augmentation des pensions minimales ;

Mesure 6 : droits liés aux périodes de soin.

Roms et féministes, des actrices secouent la scène roumaine

Parler de la sexualité des femmes roms, de leurs désirs et de leur identité, c’est ce que revendiquent les actrices de Giuvlipen, une compagnie de théâtre rom et féministe basée en Roumanie. Mais être une femme rom et artiste n’est pas une mince affaire dans un pays où le racisme demeure virulent.

Mihaela Drăgan se maquille dans les coulisses du Green Hours Jazz Café, à Bucarest, avant la représentation de Gadjo Dildo (Roumanie, février 2016). © Andreea Câmpeanu

« J’étais prise entre deux mondes et les deux m’ont fait souffrir. Existe-t-il une place ici pour une fille comme moi ? » Les spectateurs/trices tremblent face à l’apparition fantomatique d’une adolescente sur la scène d’un théâtre indépendant de Bucarest. La pièce Qui a tué Szomna Grancsa ? est basée sur les faits réels qui se sont déroulés dans un petit village de Transylvanie. En 2007, une jeune fille rom se donne la mort, ne voyant pas d’issue à son destin : elle doit quitter l’école et se marier avec un garçon de sa communauté.

« C’est tout un système que l’on souhaite critiquer »

« Comme Szomna, on est souvent prises entre deux mondes quand on est rom et femme », explique Mihaela Drăgan, actrice et fondatrice de la compagnie de théâtre Giuvlipen. Et elle sait de quoi elle parle : née d’un père roumain et d’une mère rom, elle a mis plusieurs années avant d’affirmer son identité rom. « Avec cette pièce, on a voulu montrer qu’il n’y avait pas qu’une simple explication, que la situation est beaucoup plus complexe. Si Szomna s’est suicidée, c’est aussi parce qu’elle subissait du racisme à l’école, que ses parents étaient trop pauvres pour payer sa scolarité et pour la garder avec eux. C’est tout un système que l’on souhaite critiquer. »

Iris Brey : « Les séries télé peuvent devenir une arme politique pour repenser les sexualités »

L’arrivée des (quelques) femmes aux postes de scénaristes et/ou réalisatrices (on dit « showrunneuses ») dans le secteur en pleine ébullition des séries télévisées américaines a entraîné certains changements. Le petit écran s’est emparé du sujet de la sexualité des femmes. La chercheuse et journaliste franco-américaine Iris Brey a décortiqué le phénomène dans son livre Sex and the Series. axelle l’a interviewée.

Elisabeth Moss dans "The Handmaid’s Tale". © Photographie de George Kraychyk / Hulu

Une vague de nouvelles séries déferle. Ce que ça change ? Les femmes s’y reconnaissent ! Ces épisodes audacieux, complexes, passionnants, s’empilent, parlent de l’intimité des femmes et offrent des représentations multiples. La série Sex and the City fut la première, il y a vingt ans, à prendre comme sujet principal la sexualité des femmes. Enfin un déplacement du regard et un nouveau champ d’exploration pour les suivantes, les Girls, Masters of Sex, Fleabag, etc. : montrer les sexualités heureuses, les différentes pratiques, mais aussi dénoncer les violences. Des sujets « neufs » qui ont trouvé leur audience, mais que les diffuseurs ont longtemps refusé de programmer, « persuadés que la fameuse “ménagère de moins de cinquante ans” ciblée par les publicitaires serait incapable de les apprécier : expression typique d’un mépris de classe et de genre… », souligne Geneviève Tellier, historienne du cinéma français, dans la préface du livre.

De façon très accessible, Iris Brey analyse les séries à partir de quatre thèmes : fonction du langage, représentation du plaisir, articulation violences et sexualité et enfin apparition d’une sexualité « queer », terme désignant des orientations sexuelles diverses, non hétérosexuelles. S’appuyant sur de nombreuses analyses féministes, elle dégage le potentiel subversif de ces séries et les zones où elles ne s’engagent pas encore. Entretien.

Pourquoi parler de sexualité dans des séries est-il devenu un phénomène aux États-Unis ?

« Sans doute parce que le sujet de la sexualité des femmes est encore très tabou. La fiction s’en est emparée assez récemment quand des scénaristes femmes ont commencé à écrire pour la télévision. Ça a changé la donne, changé les contenus. Ce phénomène touche principalement les États-Unis, une société très puritaine, mais où on réfléchit beaucoup aux questions de genre. Et où il existe des statistiques qui montrent le degré de représentation à l’écran des femmes, des minorités ethniques, etc. Chiffres qui n’existent pas en France, où on n’a pas le droit de parler “d’ethnies”, par exemple. On parle de “personnages perçus comme non blancs”. »

Est-ce que ces séries sont vendues comme des produits féminins ?

« La série Orange is the New Black, par exemple, a remporté autant un succès populaire que critique. Ce n’est pas parce qu’une série traite des femmes qu’elle rentre dans un genre mineur. Les séries parlant d’histoires de femmes et mettant en scène leur sexualité ne sont pas des produits de niche. »

Est-on déjà loin de “Sex and the City”, créée en 1998 ?

« On est dans un double mouvement. On avance d’une part, mais on parle encore relativement peu de masturbation féminine, par exemple. En 1998, c’était extrêmement novateur. Les choses bougent, mais on ne peut pas parler non plus d’une révolution aboutie. La prise de conscience prend du temps. »

Votre livre analyse ce qui se dit peut-être encore plus que ce qui est montré. Pourquoi ?

« Les représentations d’actes sexuels ont leur limite. Lorsque l’on en parle, on en raconte beaucoup plus. Ce langage utilisé comble un manque : il reste beaucoup de mots encore tabous à la télévision [« clitoris », par exemple, ndlr]. Et lorsque l’on ne possède pas les mots, on ne peut pas s’emparer des enjeux. Ces séries nomment, changent les représentations, permettent de s’approprier d’autres sexualités. Si elles peuvent choquer, c’est par un manque d’habitude. Est-ce que ça va vraiment plus loin que les images pornographiques auxquelles tout le monde a accès aujourd’hui ? »

Iris Brey, Sex and the Series. Sexualités féminines, une révolution télévisuelle, Soap Éditions 2017, 237 p., 18,90 eur.

Reste-t-il encore certains tabous ?

« Oui, filmer des scènes avec des femmes qui font l’amour pendant leurs règles, ou des femmes ménopausées qui prennent du plaisir… Il existe un impensé tenace de la sexualité des femmes quand l’acte sexuel n’est pas potentiellement lié à la reproduction. »

Pourquoi le cinéma ne s’est-il pas approprié le sujet ?

« L’avantage de la série, c’est qu’elle peut suivre un personnage sur le long terme, montrer des sexualités qui évoluent. Au cinéma, en une scène, la vie sexuelle du personnage doit être expliquée, c’est très simplifié. Je remarque qu’en France, les réalisatrices ne s’emparent pas du sujet. Céline Sciamma, féministe, ne montre pas de scènes de sexe dans Bande de filles, par exemple. Il reste à réinventer les scènes de sexe au cinéma. C’est quand même dommage qu’on nous montre seulement celles d’Abdellatif Kechiche, dans La Vie d’Adèle notamment, où les femmes sont des objets sexuels… »

D’autres séries à renseigner ?

« The Handmaid’s Tale, bien évidemment [La Servante écarlate, une série inspirée du roman féministe mythique de Margaret Atwood, ndlr], met en scène les questions de sexualité et de pouvoir. Cette série résonne beaucoup parce qu’on a l’impression, lorsque l’on voit les politiques actuelles de contrôle sur le corps des femmes, que ce scénario se rapproche de notre réalité. »

Ces séries sont devenues un formidable outil politique…

« Elles peuvent devenir une arme politique pour éduquer, réfléchir différemment, repenser les sexualités. »

« On ne naît pas homme, on le devient » : entretien avec Olivia Gazalé

Dans son passionnant essai Le mythe de la virilité, la philosophe française Olivia Gazalé décortique la notion de virilité. Elle montre qu’en prônant cet idéal masculin inatteignable, les hommes se sont aussi tendu un piège à eux-mêmes. Entretien.

© Diane Delafontaine pour axelle magazine

Être un homme, écrivez-vous, cela signifie avant tout « ne pas être une femme »… Pouvez-vous expliquer ?

« Depuis la Grèce antique, les canons de la virilité se sont établis par opposition aux canons de la féminité. Les femmes sont essentialisées comme des êtres inférieurs, irrationnels, faibles et gouvernés par leurs émotions. Il s’agit donc, pour l’homme, de prouver et de démontrer sans cesse qu’il n’est ni une femme, ni un efféminé, mais un homme, “un vrai”. L’homophobie découle ainsi de la “gynéphobie”, la haine des femmes : c’est parce que le féminin est dégradé que l’effémination est dégradante. »

Robert Laffont 2017, 416 p., 21,50 eur.

Qu’est-ce qui justement se cache derrière la fameuse expression « un homme, un vrai » ?

« De même qu’”on ne naît pas femme, on le devient”, on ne naît pas “homme”, il faut le devenir, par un lent et douloureux travail d’introjection des normes viriles : être grand, fort, performant, courageux, victorieux, puissant et conquérant, y compris sur le plan sexuel. Mais cela n’a rien de naturel. Être un homme, c’est obéir à un faisceau d’injonctions, comportementales et morales, et faire sans cesse la démonstration de leur parfaite intériorisation, si bien que la virilité constitue une sorte de performance imposée, un idéal hautement contraignant. »

La « crise de la virilité » que dénoncent régulièrement les masculinistes dans les médias n’a selon vous rien d’inédit. Vous écrivez même que la virilité a toujours été un modèle en crise. Pour quelles raisons ?

« Les masculinistes d’aujourd’hui, qui regrettent le bon vieux temps du guerrier et dénoncent une “dévirilisation” prétendument inédite dans l’histoire, ignorent qu’il s’agit là d’une très ancienne rengaine, reprise de génération en génération. Le refrain de la “dégénérescence” remonte à la Grèce antique. On fait toujours référence à un âge d’or perdu, celui d’une virilité primitive qui n’aurait pas encore été dénaturée ni pervertie, où l’homme aurait été pleinement et absolument “homme”. Mais cet âge d’or n’a jamais existé. La virilité est l’objet d’un deuil sans fin et la “crise de la virilité” est un syndrome endémique, car la virilité parfaite est un mythe, un idéal hors d’atteinte, une utopie. »

Contrairement à ce que claironnent les masculinistes, vous affirmez que le mouvement féministe n’est pas à l’origine de cette crise…

« Les fondations de ce mythe de la virilité ont toujours été fragiles. Mais depuis environ un siècle, il est entré dans une phase de déconstruction inédite et la virilité se porte de plus en plus mal. Pour autant, ce ne sont pas les conquêtes féministes qui sont responsables du désarroi masculin : la virilité est tombée dans son propre piège. Selon l’expression du sociologue Pierre Bourdieu, la virilité est à la fois “un privilège et un piège”, puisqu’elle assigne aux hommes le devoir d’incarner l’excellence humaine, tout en leur interdisant la fragilité, les larmes et les doutes… Bref, tout en les déshumanisant. En outre, le devoir de virilité est aussi très discriminatoire, puisque ceux qui ne possèdent pas ces marqueurs de la virilité triomphale ne sont pas considérés comme de “vrais” hommes. »

Quelles sont les mutations sociétales qui ont contribué à ébranler le monde viril ?

« Il y a d’abord l’effondrement du mythe guerrier, consécutif aux horreurs des conflits mondiaux qui ont cruellement ébranlé le culte du soldat héroïque. Puis de profondes mutations du monde du travail qui ont dévalorisé la force physique, tout en livrant chacun à la précarité professionnelle et au risque du chômage. La figure du pourvoyeur de ressources, fier de son outil et valorisé par son travail, s’est sévèrement écornée. La société ne cesse de valoriser la performance, la compétitivité et la combativité, mais ces valeurs semblent de plus en plus hors d’atteinte. Quant au culte de la violence, il ne trouve plus d’exutoire licite, comme autrefois la rixe ou le duel. »

Cette crise de la virilité a engendré de nouvelles masculinités, éloignées des archétypes virils tels que la figure du guerrier ou celle du père de famille traditionnel. En quoi celles-ci représenteraient-elles « une chance pour l’humanité », comme vous l’écrivez ?

« Les nouvelles masculinités qui apparaissent aujourd’hui, libérées des injonctions à la toute-puissance et des clichés sexistes, sont, d’après moi, porteuses d’un immense espoir. Elles incarnent l’avenir du féminisme qui ne peut se penser qu’avec les hommes et pas contre eux. Le féminisme est un humanisme : il ne concerne pas seulement les femmes, mais l’ensemble du genre humain. »

Pour ne pas oublier Oumou Tabara Diallo, victime d’un féminicide conjugal

Neuf, c’est le nombre de féminicides en Belgique depuis le début de l’année 2018. Parmi les victimes, Oumou Tabara Diallo, une jeune femme guinéenne de 26 ans, tuée le 30 janvier  à Wandre. Elle vivait des violences conjugales. Pour rendre hommage à Oumou et à toutes les femmes victimes de violences, un rassemblement citoyen a été organisé le 4 mars à Liège. axelle en était.

Pour rendre hommage à Oumou Tabara Diallo et à toutes les femmes victimes de violences, un rassemblement citoyen a été organisé le 4 mars à Liège. © Eva Renier pour axelle magazine

La place Saint-Lambert, à Liège, se remplit peu à peu malgré la météo maussade. Collectifs, associations, femmes et hommes se sont déplacé·es ce dimanche 4 mars, parfois depuis Bruxelles ou Paris, pour participer à un rassemblement organisé en hommage à Oumou Tabara Diallo. Le corps de cette jeune femme de 26 ans d’origine guinéenne, mère de deux jeunes enfants, a été retrouvé le 14 février, enterré dans son jardin : elle avait été poignardée. Ainsi qu’elle l’avait signalé à ses proches, Oumou Tabara Diallo était victime de violences conjugales. Son mari a été placé sous mandat d’arrêt, mais il nie les faits.

Au milieu des pancartes brandies, dans le bruit des slogans scandés par les militant·es, l’organisatrice du rassemblement prend la parole. Diaryatou Bah, Française d’origine guinéenne, milite au quotidien contre les violences faites aux femmes : les féminicides, les violences sexuelles, les mariages forcés ou encore l’excision, dont elle a elle-même été victime comme elle le raconte dans son livre On m’a volé mon enfance. Fondatrice de l’association Espoirs et Combats de Femmes et membre du comité de direction de l’organisation Excision, parlons-en !, elle a souhaité se mobiliser pour Oumou d’abord, mais aussi pour toutes les femmes victimes de violences en Belgique.

En 2017, 39 féminicides ont été recensés par le blog Stop Féminicide !

Rien qu’au mois de février 2018, comme le rappelle le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, trois femmes ont été assassinées à Liège. Le 9 février, à Saint-Nicolas, Claudine H. a été poignardée par son ex-époux contre lequel elle avait témoigné dans un dossier d’attouchements sexuels – elle redoutait cette issue. Le 12 février, Sabrina Stegen a été retrouvée morte dans son garage de Wandre, victime de sévères blessures au crâne. Et enfin, le 14 février, c’est le corps sans vie de Oumou Tabara Diallo qui a été déterré. L’an dernier, 39 féminicides, ont été recensés faute de statistiques officielles par le blog Stop Féminicide !, ainsi que 8 enfants tué·es dans un contexte de violences conjugales.

« On en a marre ! »

Sur la place, les intervenantes se succèdent et les témoignages aussi. Une femme prend la parole pour raconter les violences perpétrées par son ex-mari dont elle a été victime et son parcours pour s’en sortir. Elle est applaudie et remerciée par la foule. Une jeune femme prend le mégaphone pour lire une lettre à ses parents. Une autre répète « Plus jamais ça ! » jusqu’à ce que presque toutes les voix se joignent à la sienne. Toutes soulignent l’importance de briser le silence, de parler, de dénoncer.

© Eva Renier pour axelle magazine

Dénoncer n’est pourtant pas chose facile entre la honte, la peur des représailles et la crainte de ne pas être entendue et protégée par les forces de police. Une crainte encore plus fondée lorsqu’on est une femme racisée, ce dont témoignait récemment Françoise, une femme camerounaise mariée à un homme violent. Diaryatou Bah parle à ce propos d’isolement qui jouerait un « rôle malheureusement très important dans ce qu’elles subissent : parce que c’est un autre pays, parce que souvent c’est l’homme qui les a fait venir [en Belgique] et qui subvient aux besoins de la maison, parce c’est lui qui donne les papiers… Elles pensent qu’elles n’ont pas de droits, qu’elles n’ont que des devoirs envers cet homme. »

De fait, comme le dénonce le CIRÉ dans un rapport sur le sujet, « la loi crée une situation de dépendance administrative entre conjoints/partenaires qui est particulièrement problématique lorsqu’il existe au sein du couple ou de la famille une situation de violences conjugales ou intrafamiliales. Le titre de séjour étant dans ces cas-là utilisé comme outil de domination par les auteurs de violences. »

Une protection ineffective

Le CIRÉ analyse les différentes limites des clauses de protection existantes « qui empêchent souvent une protection effective des victimes de violences ». Notamment l’obligation de dénoncer les violences avant de quitter le domicile (beaucoup de femmes quittent d’abord leur domicile pour se protéger, avant de se rendre compte qu’elles ont ainsi perdu leurs droits), ou encore l’exclusion de ces clauses de protection des personnes dont la demande de regroupement familial n’a pas encore été introduite ou dont la demande est encore en cours de traitement (le délai est souvent long).

Pour que ces clauses de protection puissent s’appliquer, les preuves de violences doivent en plus être apportées… Mais, explique le rapport du CIRÉ, « beaucoup ont peur, vu la précarité de leur séjour et/ou la peur des représailles, de quitter le domicile conjugal et de s’adresser aux services de police pour porter plainte ».

Un premier pas

Diaryatou Bah nous confie être satisfaite de ce rassemblement : pour elle, c’est un pas vers la sortie de l’isolement, vers la destruction des tabous. Elle ne compte cependant pas en rester là et a annoncé vouloir réfléchir à la création d’un collectif à Liège pour les femmes racisées victimes de violences, en collaboration avec quelques intervenantes. « Toutes celles qui souffrent, en tout cas, sachez qu’il y a des espaces pour échanger, des espaces où vous n’allez pas être jugées, où vous allez être accompagnées. Je pense que c’est ça qui est important dans la lutte », conclut la militante. Elle sera présente au procès qui se déroulera contre le mari d’Oumou Tabara Diallo, aux côtés de la famille de cette dernière.