Calme et tranquille

Valérie Manteau est éditrice et chroniqueuse. Elle a travaillé à Charlie Hebdo pendant cinq ans ; elle y travaillait encore – même si ce jour-là, elle était à Istanbul, sa ville d’adoption – lorsqu’elle a appris au téléphone le suicide de sa grand-mère Louise. Le jour de l’enterrement, un policier a dit à la narratrice : « Vous savez, c’est si courant » (« J’ouvre de grands yeux. Il est si courant dans les campagnes françaises qu’une femme de soixante-dix ans se supprime au lieu d’attendre patiemment une mort qui ne dévasterait pas sa mémoire et sa famille ? »). La tante Andrée, l’aïeule Zelda, l’oncle Mimi, qui eux aussi se sont tués, ont dû pousser un long soupir. Mais Valérie Manteau ne s’étend pas, elle nous balade de page en page dans sa mémoire sans jamais nous abandonner à notre stupéfaction, à la fulgurante beauté de ses phrases, vives et incisives. Elle se réfugie à Charlie, mais tous les amis qui l’ont fait hurler de rire quand elle n’avait plus de larmes seront eux aussi bientôt arrachés à elle, un certain jour de janvier 2015. Tout s’effondre, elle le raconte, on plonge aussi. C’est en Turquie que Valérie Manteau va jusqu’au bout du chaos, et en refermant ce livre magnifique, ce livre-monde, essentiel, franc et sans peur, on voudrait tant que lui soit épargné le fracas qui doit maintenant pousser vers l’abîme les gens qu’elle aime là-bas. On l’espère, mais on n’y croit pas trop. (S.P.)

 

Le Tripode 2016. 200 p., 15 eur.