“Sylvia”, pièce hommage à Sylvia Plath : critique d’une spectatrice féministe

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axelle a assisté à la première de Sylvia, une pièce mise en scène par le Belge Fabrice Murgia et inspirée par la vie de la poétesse américaine Sylvia Plath. Compte-rendu d’un point de vue féministe.

© Hubert Amiel

L’art produit par des femmes suscite l’intérêt. Des écrivaines, des poétesses, des artistes reçoivent enfin l’attention qu’elles n’ont pas eue pendant leur vie. On pense à Goliarda Sapienza (axelle n° 180), Charlotte Salomon (axelle n° 182), Paula Modersohn-Becker (axelle hors-série 2016) et tant d’autres défricheuses courageuses dont le travail reste à découvrir.

Le metteur en scène verviétois Fabrice Murgia s’est penché sur le personnage de Sylvia Plath, icône féministe. Elle a incarné, jusqu’à son suicide à 31 ans, l’insoluble conciliation entre création (“Il y a en moi une voix qui refuse de se laisser réduire au silence”) et vie de famille dans cette société rigide des années 1950, aux places fermement assignées. Talentueuse, Sylvia Plath se mettra au service de la carrière de son mari, le poète anglais Ted Hughes, dont elle découvrira la liaison avec une autre femme avant de le quitter.

© Hubert Amiel

Un dispositif flamboyant…

Virtuose, la mise en scène de Fabrice Murgia multiplie les points de vue. Pas moins de neuf comédiennes incarnent successivement – et chacune magnifiquement – Sylvia, femme plurielle ou universelle, au long de quelques épisodes marquants de sa vie, dont la mort de son père ; son premier poème quand elle avait 8 ans ; un discours de mariage ; son accouchement ; la découverte de la trahison de son mari, révélation qui l’entraîne à brûler les poèmes de celui-ci dans un épisode cathartique…

Un dispositif de caméras projette sur un grand écran, placé au-dessus de la scène, le film de la pièce, des perspectives (en)cadrées, des plans resserrés sur les corps et les visages des comédiennes, une mise en images, en boîte, de la vie d’une femme en équilibre précaire – elle aurait été bipolaire.

Sur la scène encore : le quartet Ann Pierlé, donnant à la musique une place prépondérante – la flamboyante artiste flamande chante plusieurs fois au cours de la pièce –, mais aussi un membre du public (n’importe quel homme), vite recouvert d’un masque, que les comédiennes viennent chercher pour interpréter le mari de Sylvia Plath. On voit aussi évoluer les technicien·nes et les maquilleuses : tout s’expose, tout est montré, l’endroit, l’envers du décor, le film du making-of (prenant parfois le pas), dans une accumulation de perceptions, renvoyant peut-être aux écrits introspectifs de Sylvia Plath.

© Hubert Amiel

Mais l’héroïne nous échappe

Pourtant, il faut du temps à ces dispositifs pour s’agréger les uns aux autres ; ce n’est qu’aux deux tiers de la pièce que l’émotion surgit, que les habiles mécanismes créatifs de la mise en scène se font oublier. Manquent, de façon essentielle, les écrits mêmes de Sylvia Plath dont Fabrice Murgia n’a pu obtenir les droits. L’autrice n’a publié qu’un seul roman, The Bell Jar (La cloche de détresse), ainsi que des nouvelles et des poèmes, mais sa fille s’oppose à toute exploitation des écrits de sa mère ; une voix off raconte que d’autres textes de la poétesse reposent dans un coffre que Ted Hughes, décédé au sommet de sa gloire en 1998, n’a autorisé à ouvrir qu’en 2023… Toute la pièce et ses nombreux dispositifs tournent donc autour de la personnalité de Sylvia Plath, force centrifuge qui reste, à notre sens, insaisissable sans la présence de sa parole puissante, certes partiellement compensée à la fin du spectacle par la lecture de merveilleux extraits d’écrits de femmes, Emily Dickinson, Virginia Woolf (axelle hors-série 2016), Anne Sexton

Enfin, la poétesse est représentée comme une femme déboussolée, écrasée, amère, fascinante dans ses emportements outrés, son intensité, son désespoir. Mais, nous l’écrivons à regret, tout en voulant lui rendre hommage et montrer l’implacable machine patriarcale à broyer les femmes, le spectacle Sylvia, sans recul suffisant sur les clichés associés au féminin, n’arrive pas totalement à faire émerger la personnalité solaire et singulière de Plath, à transmettre sa complexité, son appétit de vivre, sa résistance. Ses révoltes et ses écrits n’apparaissent pas comme émancipateurs, mais comme une succession dramatique d’épisodes annonçant son geste de mettre fin à ses jours.

« C’est autre chose
Qui m’entraîne fendre l’air ―
Cuisses, chevelure ;
Jaillit de mes talons. »

(Sylvia Plath, extrait du recueil Ariel, Gallimard 2009).