Politique : où sont les femmes, dans toutes les pages des programmes ?

Par N°257 / p. Web • Mars-avril 2024

Le mouvement féministe Vie Féminine s’est plongé dans les programmes des six principaux partis francophones pour les élections de juin 2024 à la recherche des passages qui concernent les femmes et leurs droits. Paragraphes dédiés à la question ou non, sujets prioritairement rattachés au terme “femme(s)”, écriture plus ou moins inclusive : autant d’indices qui permettent déjà d’entrevoir l’importance que donne chaque parti à cette question. axelle en publie les bonnes feuilles…

© Odile Brée pour axelle magazine

Mille deux cent vingt-et-une pages pour le parti socialiste, sept -cents et des poussières pour Les Engagés, un peu plus de trois cents pour le MR : les programmes des partis politiques sont souvent de gros “pavés” indigestes dont la structure n’est pas toujours très claire et la mise en pages pas forcément soignée – quand il y en a une ! On en vient à se demander : qui, finalement, les lit ? À Vie Féminine, on s’est prêtées à l’exercice.  Avant de décrypter plus finement le contenu des mesures proposées (voir encadré), on a d’abord choisi de questionner la forme. Dans ces centaines de pages et ces milliers de mots, quelle place réserve-t-on aux femmes ? Identifier les passages qui les concernent revient-il à chercher une aiguille dans une botte de foin ? Ou, au contraire, tirent-elles plutôt bien leur épingle du jeu ?

Les programmes des partis politiques sont souvent de gros “pavés” indigestes dont la structure n’est pas toujours très claire… On en vient à se demander : qui, finalement, les lit ?

Le premier réflexe, quand on se plonge dans un programme politique, est de prendre connaissance du sommaire. Et là, déjà, la place dédiée aux femmes nous dit quelque chose de l’importance que le parti confère à cette thématique. Quatre formations politiques y accordent un chapitre spécifique, plus ou moins bien positionné dans l’ordre des priorités, et avec des titres qui révèlent déjà des approches différentes.

En haut du sommaire… ou une place sommaire

Les socialistes réservent aux “Droits des femmes” le troisième chapitre (sur 42 !), après deux thématiques majeures pour ce parti, à savoir “l’emploi et la formation” et “la santé”. Les écologistes placent le chapitre sur “une égalité enfin réelle entre les femmes et les hommes” dans leur quatrième axe (sur 5) baptisé “Une société plus égalitaire et plus ouverte”. Là où les rouges isolent les droits des femmes d’autres luttes et notamment des droits des personnes LGBTQIA+, les écologistes englobent dans un même chapitre tous les combats pour les droits humains, et pour les minorités : égalité entre les femmes et les hommes, droits des LGBTQIA+ mais aussi des personnes en situation de handicap, lutte contre le racisme ou encore politique migratoire et politique étrangère.

Le trentième chapitre (sur 37) des Engagés est intitulé “Égalité des genres”… mais concerne en réalité quasiment uniquement l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les stéréotypes, à l’exception du dernier point qui vise à “garantir les droits des personnes LGBTQIA+”. On remarque aussi que ces trois partis ne cantonnent pas les droits des femmes à leur chapitre dédié, mais qu’ils pointent fréquemment des inégalités de genre dans d’autres chapitres – pensions, santé, migration, etc. Enfin, le PTB consacre un point au “féminisme” dans son chapitre sur “l’égalité des droits”, qui reprend aussi “antiracisme” et “LGBTI+”. Le parti d’extrême gauche, qui recourt souvent au vocabulaire de la lutte des classes, est donc le seul à intituler un sous-chapitre par le terme qui désigne le mouvement social de lutte pour l’égalité… Même si cette lutte n’est clairement pas présentée comme une priorité du parti pour ces élections.

Les deux partis positionnés plus à droite sur l’échiquier politique, à savoir DéFI et le MR, ne consacrent, eux, pas de chapitre propre à la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

Les deux partis positionnés plus à droite sur l’échiquier politique, à savoir DéFI et le MR, ne consacrent, eux, pas de chapitre propre à la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Les mesures en lien avec cet objectif sont reprises dans les deux programmes au sein d’un chapitre libellé ou chapeauté par la question de la laïcité (chez DéFI) et de la neutralité (au MR). Dans les deux cas, il s’agit donc de présenter la neutralité/laïcité de l’État – et son inscription dans la Constitution, revendiquée par les deux formations – comme un préalable, une condition indispensable à l’égalité. Ce qui passe par l’interdiction de signes convictionnels dans la fonction publique, c’est-à-dire, pour Vie Féminine, par l’exclusion d’une certaine catégorie de femmes, principalement les femmes musulmanes portant le voile, d’opportunités d’emploi…  Drôle de façon d’ouvrir un chapitre comprenant des mesures supposées viser l’égalité et l’émancipation de toutes.

Travail, famille, santé

Passé le sommaire, que deviennent les femmes dans toutes les autres pages ? En s’appuyant sur un logiciel d’analyse de données (Nvivo), Vie Féminine a isolé toutes les occurrences du terme “femme(s)”, puis a élargi le spectre aux 20 mots qui l’entourent. Cela nous donne alors une petite idée des sujets qui sont le plus associés aux “femmes” selon les différents programmes. Bien sûr, certaines associations sont communes à tous les partis : ainsi, les termes “hommes”, “égalité” ou “violences” ne surprennent pas vraiment.

Ensuite, le positionnement du parti sur l’axe gauche-droite donne lieu à des associations plutôt prévisibles, comme celles avec les termes liés au “travail” (dont le “temps de travail”) ou au “social” chez les socialistes et le PTB, ou, à l’inverse, à l’“entrepreneuriat” au MR et chez DéFI. Le programme des Engagés, soit les ancien∙nes humanistes, révèle une association un peu plus marquée entre le mot “femme(s)” et des termes liés à la maternité et la parentalité comme “enfant(s)” ou “famille”, ce qu’on retrouve aussi chez DéFI, dans une moindre mesure. Les Engagés partagent avec le PS un fort lien entre “femme(s)” et “santé”. Ecolo, de son côté, se distingue des autres partis en associant davantage la question des minorités (de genre) aux droits des femmes.

“Les femmes”, quelles femmes ?

Mais au fond, de quelles femmes parle-t-on ? On le sait, la catégorie “femme(s)” n’est pas homogène, unique. Au sein du groupe social des femmes qui partagent une expérience commune du sexisme, coexistent de nombreux vécus différents selon que l’on est, par exemple, une femme noire précaire, ou une femme blanche plutôt favorisée. C’est la question intersectionnelle, soit le courant féministe qui consiste à croiser les différents systèmes de domination que sont le sexisme (ou patriarcat), le racisme, le capitalisme. Les programmes des partis portent-ils une attention particulière aux femmes au carrefour de différentes discriminations ? Ou adoptent-ils une vision dite “universaliste” qui lisse la diversité des vécus et tend à nous donner l’impression que toutes les femmes sont dans le même panier sur base du vécu de femmes blanches privilégiées ?

Les programmes des partis portent-ils une attention particulière aux femmes au carrefour de différentes discriminations ? Ou adoptent-ils une vision dite “universaliste” ?

Pour les écologistes, l’intersectionnalité est une clef de lecture à adopter. En effet, à quelques endroits on note ce souci de prendre en compte l’imbrication de différents systèmes de domination, en plaidant par exemple pour une approche genrée des politiques liées au handicap. Cependant, cette lecture intersectionnelle n’est pas toujours de mise, malgré leurs multiples attentions à différentes catégories de personnes minorisées. Ecolo promeut par exemple l’élaboration d’un plan interfédéral de lutte contre le racisme sans aborder le sexisme qui y est imbriqué.

Pour Les Engagés, comme pour le PS, il y a cette volonté d’être universaliste tout en défendant une vision intersectionnelle. Malgré ce positionnement quelque peu paradoxal, on retrouve dans les programmes de ces deux partis quelques attentions à des discriminations combinées.

Pour le PTB, on ne parle pas en tant que tel d’intersectionnalité, mais on l’applique, en partie. Pour un parti qui défend les travailleurs/euses, on retrouve en fil rouge un souci pour les classes sociales les plus précaires. Dès lors quand on parle sexisme ou racisme, c’est sans oublier la lutte des classes… même si, à l’inverse, quand on parle de lutte des classes, ce n’est pas toujours avec des lunettes intersectionnelles.

Enfin, chez DéFI et au MR, pas d’intersectionnalité mais un package “discriminations” mettant sur le même pied le racisme et les discriminations linguistiques pour DéFI (cheval de bataille historique du parti défenseur des francophones), ou “l’agressivité contre les Occidentaux” pour le MR.

Citoyens, citoyen·nes

Même l’écriture des programmes nous donne des indices sur la place que les partis réservent aux femmes. Ainsi, les écologistes recourent systématiquement à l’écriture inclusive, par exemple, à travers la “double flexion” – “les travailleuses et travailleurs” –, des termes épicènes ou l’emploi de nom collectif comme “le corps enseignant” ou même des points médians – “les citoyen∙ne∙s”. Le PS et Les Engagés (qui, dans leur logo, font quand même apparaître un demi “e” pour visibiliser, mais pas trop, les femmes du parti ?) s’y appliquent également mais de façon inégale en fonction des chapitres, et des sensibilités des différent∙es rédacteurs/trices. Le PTB et DéFI privilégient une écriture où “le masculin l’emporte”, tout comme le MR, qui précise directement dans une note avoir recours au “neutre”, et aux formes masculines pour désigner des ensembles mixtes. Pas étonnant ensuite de trouver dans le chapitre “enseignement” du programme des libéraux une mesure visant à “interdire l’écriture inclusive qui exclut”.

Cet exemple de rejet idéologique de l’écriture inclusive par le MR montre bien que la façon dont les partis font apparaître les femmes dans leur programme relève avant tout d’un positionnement politique.

Cet exemple de rejet idéologique de l’écriture inclusive par le MR montre bien que la façon dont les partis font apparaître les femmes dans leur programme relève avant tout d’un positionnement politique. L’importance accordée à cette thématique vise surtout à se profiler sur un sujet revenu depuis plusieurs années au cœur de l’actualité et suscitant dans la population – et donc dans l’électorat – des réactions assez clivées. S’il s’agit de convaincre un électorat sensible à la question, mieux vaut se profiler à la pointe du combat. S’il s’agit au contraire de parler à une frange de la population qui exprime exaspération voire rejet à l’encontre des combats pour l’égalité, pas la peine d’en faire grand cas dans son programme. En bref, ces stratégies de positionnement politique et de communication nous en apprennent déjà beaucoup, mais ne disent encore rien de l’engagement réel des partis à défendre la lutte pour l’égalité comme une priorité, par exemple, lors de négociations pour former un futur gouvernement…

L’analyse complète est disponible sur le site de Vie Féminine : www.viefeminine.be

Et les mesures, alors ?

Et sur le fond, que proposent les différents partis pour s’attaquer aux discriminations et violences que subissent encore les femmes dans nos sociétés? Quelles mesures soutiennent nos droits, visent à les renforcer, ou peuvent, à l’inverse, les faire reculer ? Vie Féminine est aussi en train d’analyser plus en profondeur le contenu des programmes et entend questionner des représentantes de différents partis francophones (DéFI, Ecolo, Les Engagés, PS, PTB) lors du “Grand débat des PrésidentEs* de parti”, qui se tiendra ce 20 avril, de 16h à 18h (accueil à partir de 15h30) au 111 rue de la Poste, à 1030 Bruxelles. Dans la semaine qui suivra ce débat, axelle publiera une série d’articles analysant ce que les partis proposent comme mesures pour les droits des femmes dans leur programme. À lire, en ligne, dès le 23 avril !

Pour s’inscrire au débat organisé par Vie Féminine, c’est ici.