Le retour en force du Vlaams Belang : danger pour les femmes

Par N°221 / p. 14-16 • Septembre 2019

En Belgique, à l’issue des élections du 26 mai dernier, le parti d’extrême droite Vlaams Belang est devenu le deuxième parti flamand (18 % des suffrages) après la N-VA (26 %), avec 18 sièges à la Chambre (13 élu·es en plus) et 23 sièges au Parlement flamand (+17). Héritier du Vlaams Blok, dissous en 2004, le Vlaams Belang (VB) prône l’indépendance de la Flandre et brandit des valeurs traditionnelles, nationalistes, anti-immigration et sécuritaires. Quant aux femmes, si elles ne figurent quasiment pas dans son programme, elles sont priées de rester à leur place, « complémentaire » à celle des hommes : le rôle de mère au foyer reste l’idéal… Décryptage avec Benjamin Biard, docteur en sciences politiques et chercheur au CRISP (Centre de recherche et d’information socio-politiques).

Lors d’une manifestation antifasciste et contre la venue du président américain Donald Trump à Bruxelles, le 12 février 2017. Les femmes sont très peu présentes dans le programme du Vlaams Belang, le mot Vrouw(en)/Femme(s) n’apparaît cinq fois dans le programme du parti. On le rencontre au chapitre « famille » - le parti s’inquiète du faible taux de natalité chez les Flamandes. Mais le mot surgit aussi en lien avec port du voile, considéré « contraire aux valeurs occidentales comme les libertés individuelles et l’égalité des hommes et des femmes » ; notons qu’il s’agit de l’unique mention du mot « égalité » dans le programme... © Kevin Van den Panhuyzen / Zumapress

Extrait du dossier du n° 221, “Extrême droite : une ombre brune sur les droits des femmes”.

En matière de droits des femmes, des changements sont-ils à observer entre le Vlaams Blok – nom du parti jusqu’en 2004 – et le Vlaams Belang (VB) ?

“Il y a un certain nombre d’éléments inchangés depuis les années 1980 entre le Vlaams Blok et le Vlaams Belang. On retrouve, à peu de chose près, les mêmes propositions. La cellule familiale, considérée comme le socle de la société, est toujours au cœur de leur programme. Dans le programme du Vlaams Belang, il y a une volonté de revaloriser les allocations familiales, cela va dans ce sens. On lit aussi une volonté du parti de favoriser les parents qui souhaiteraient rester à la maison pour éduquer les enfants… Mais avec une nouveauté : la mention de père ou mère [et non plus seulement de mère, ndlr], ce qui pourrait montrer une volonté de ne pas seulement laisser les femmes à la maison.

Autre point dans le programme qui concerne les femmes : la lutte contre la délinquance sexuelle, le viol ou la pédophilie. Le Vlaams Belang veut sanctionner davantage les auteurs de délits ou de crimes sexuels. Cela n’est pas étonnant, car cela concerne de près la sécurité intérieure qui, avec l’immigration, constitue ses priorités majeures, comme toutes les formations d’extrême droite.

Il y a aussi des propositions nouvelles, liées à l’évolution du contexte de la société, comme la volonté de revoir à la baisse les subventions publiques pour les études de genre. Il n’y avait pas de proposition de ce genre dans les années 1980 car ce type de formations n’existait pas.

[On peut lire dans le programme du VB : “Un diplôme d’ingénieur est d’une plus grande valeur pour notre société qu’un diplôme en études de genre. Au lieu de prendre comme critères de subsides le nombre d’étudiants et le nombre de diplômes fournis, c’est l’utilité et la qualité qui doivent être déterminants.” C’est la seule fois que le mot “genre” est mentionné, ndlr.]

Enfin, concernant l’IVG, on ne retrouve rien dans le programme actuel, ce qui ne veut pas dire qu’au sein du parti, il n’y a pas de membres qui se prononcent contre la durée légale permettant l’avortement.

[Pour rappel, après le vote de la loi de 2018 dépénalisant l’IVG, le Vlaams Belang avait déposé un texte qui visait à le criminaliser à nouveau, ndlr.]

Le 28 mai 2019, lors d’une manifestation contre l’extrême droite à Gand. © Belga

C’est nouveau : un point du programme évoque les familles monoparentales qui, selon le VB, “ne sont pas assez prises en compte” et subissent des discriminations fiscales…

“Cela montre une volonté du parti d’élargir son électorat et de tenir compte des nouvelles formes de famille. Mais cela ne change rien aux valeurs de la famille traditionnelle défendues depuis les années 1980.”

Est-ce que, dans le programme du parti, par exemple sur la question de la délinquance sexuelle, on observe une tendance à défendre les droits des femmes dans le seul but de stigmatiser les étrangers ?

“Pas si clairement. Je parlerais d’une logique à deux niveaux. Il y a clairement une idée de défense du peuple flamand, en dénonçant au passage ce que le VB appelle les “élites”. La figure de l’immigré comme profiteur et source de troubles internes arrive dans un deuxième temps. Dans le cas du port du voile en revanche, leur argumentaire est directement lié à la figure de l’étranger : ils évoquent, contre le port du voile et contre la religion musulmane en général, la défense de la liberté des femmes. On observe la même stratégie pour l’homosexualité. Tom Van Grieken, le président du Vlaams Belang, défend dans son livre les homosexuels au prétexte que trois quarts des musulmans n’acceptent pas les homos. Il défend donc les homosexuels… pour mieux critiquer les musulmans.”

Peut-on dresser un profil type de l’électeur ou de l’électrice du VB ?

“Il n’a pas beaucoup changé non plus depuis les années 1980. On a un électorat jeune, doté d’un degré d’études moins important que d’autres électeurs. Il s’agit d’un électorat essentiellement masculin, parfois à tendance viriliste, comme on a pu le voir dans le reportage consacré à Schild & Vrienden [mouvement de jeunes extrémistes flamands fondé par Dries Van Langenhove, aujourd’hui député fédéral, ndlr].”

Selon la sociologue franco-israélienne Eva Illouz, interrogée dans le hors-série estival de l’hebdomadaire français L’Obs consacré à la domination masculine, “presque tous les populismes sont des réactions au féminisme et à la déstabilisation du modèle classique de famille hétérosexuelle qu’il a entraînée”. Partagez-vous ce constat ?

« Il faut d’abord s’entendre sur le terme “populisme“. Il y a aussi des populismes de gauche, comme Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce, qui ne se retrouvent absolument pas dans ce schéma. Le populisme est un “style” politique qui crée une distinction entre le peuple et les élites, notamment culturelles.

Le Vlaams Belang est clairement dans la dénonciation des élites culturelles, qui auraient pour objectif de détruire le modèle de la famille traditionnelle. Dans son livre, Tom Van Grieken parle par exemple de la proposition de mettre des toilettes neutres dans les bâtiments publics. Pour contrer cette proposition progressiste, il avance l’argument que les citoyens flamands se moquent éperdument de cette question, que ceux et celles qui font ce genre de propositions sont éloignés des intérêts et préoccupations du peuple. Ce type de stratégie s’observe dans tous les populismes de droite radicale.

Le populisme est très important pour comprendre les positions négatives du Vlaams Belang à l’égard des femmes. D’un côté, ce parti ne fait pas tant de propositions directement dirigées contre les femmes : durant la législature 2014-2019, aucun texte n’a été déposé en ce sens par les députés fédéraux du VB, par exemple. En revanche, il s’oppose aux propositions progressistes ou se rallie aux propositions conservatrices. Son populisme est teinté de conservatisme, toujours pour mieux s’opposer aux élites culturelles et “se rapprocher” du peuple.”

Quand le Vlaams Belang parle des femmes dans son programme

Le mot Vrouw(en)/Femme(s) apparaît cinq fois dans le programme du parti. On le rencontre au chapitre “famille”, bien sûr. Le Vlaams Belang s’inquiète du faible taux de natalité chez les Flamandes. La question des femmes est aussi évoquée au sujet du port du voile, considéré “contraire aux valeurs occidentales comme les libertés individuelles et l’égalité des hommes et des femmes” ; notons qu’il s’agit de l’unique mention du mot “égalité” dans le programme… Au chapitre “sécurité”, le parti d’extrême droite évoque aussi les femmes en proposant la mise en place par les communes d’alarmes bruyantes – bon moyen d’effrayer les criminels – pour protéger les seniors et les femmes.” Un exemple, un de plus, d’instrumentalisation des femmes au profit d’une politique sécuritaire. (M.L.)