Girl Power : sur la route des graffeuses

Par N°197 / p. 35 • Mars 2017

Alors que le graffiti gagne en lettres de noblesse, force est de constater qu’il se conjugue souvent au masculin. Sany, graffeuse tchèque rencontrée à l’occasion du Festival Elles Tournent à Bruxelles, a parcouru le globe pour filmer des femmes qui n’ont pas peur de sauter les barrières et d’agiter les bombes.

© Sany

Retour dix ans en arrière. Sany bosse comme manageuse dans une entreprise praguoise. La nuit, la jeune femme troque son tailleur bien coupé contre un sweat à capuche et remplace son sac à main par un sac en plastique rempli de bombes de couleur. Elle peint, le long des voies de chemin de fer, les zones abandonnées, les tunnels de métro. Parce qu’elle risque la prison, elle ne dit rien de cette vie parallèle à sa famille, à ses collègues et même à ses ami·es. Sany prend vite conscience qu’au danger inhérent à la pratique illégale du graffiti s’ajoute une autre difficulté : être une fille.

« Beaucoup d’hommes considèrent que c’est trop dangereux pour une femme. C’est vrai que c’est assez sportif, il faut pouvoir courir, s’enfuir, on peut se faire frapper par les flics », remarque Sany. Mais cette « bienveillance » cache autre chose. « C’est aussi un milieu sexiste. Un jour, un de mes graffs a été recouvert du message « Retourne dans ta cuisine »… quand ce ne sont pas des messages sexuels. » Avec plusieurs autres oiseaux de nuit, Sany crée à l’époque le crew (« collectif », dans le jargon du graffiti) Girl Power. « C’était une manière de montrer que les filles dans le graffiti existent et qu’elles ne sont pas prêtes à arrêter. On se sentait plus fortes ensemble », explique-t-elle.

Tour du monde des passionnées

Sany décide ensuite d’aller à la rencontre de « female writers », de graffeuses. C’était il y a huit ans. Elle lâche son boulot et prend la route. Les conditions sont rudes, elle n’a pas un sou, doit gagner la confiance des filles souvent réfractaires à l’idée de parler de cette pratique nocturne et toujours illégale. « Je voulais des femmes qui peignent depuis minimum dix ans, des passionnées », insiste Sany. Les rencontres la conduisent de Prague à Moscou en passant par Madrid, Berlin, Cape Town…

© Sany

Elle en a fait un film documentaire, qui nous invite à découvrir une petite trentaine de graffeuses du monde entier. Des anonymes masquées, des « retraitées », à l’instar de la Néerlandaise Mickey qui a, non sans nostalgie, lâché les bombes après la naissance de son enfant, mais aussi Lady Pink, pionnière à New York fin des années 1970 et artiste aujourd’hui internationalement reconnue. Toutes – y compris Sany, qui se livre dans son propre film, cagoulée mais sans fard – déclinent à leur manière une certaine vision de la liberté.

Pour aller plus loin

Le DVD du documentaire est en vente ici et en streaming sur Vimeo.

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