Cinq ans de ministère des Droits des femmes : pari tenu ?

Par N°217 / p. 20-22 • Mars 2019

Isabelle Simonis (PS) était ministre des Droits des femmes en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a rendu son tablier à la suite des élections communales pour occuper à plein temps le maïorat de Flémalle. Au moment de dresser le bilan de son action, axelle s’est entretenue avec elle, avec son successeur, Rudy Demotte (PS) et avec des associations de femmes. Faut-il souhaiter la reconduction de ce ministère après les prochaines élections ? Qu’en est-il des autres niveaux de pouvoir ?

Isabelle Simonis (PS) à l'assemblée Alter Égales. D.R.

C’était la revendication de Vie Féminine et de nombreux autres mouvements de femmes lors des dernières élections en 2014 : un ministère des Droits des femmes. Mais au fédéral. C’est finalement la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) qui sera le seul niveau de pouvoir à proposer, pour la première fois, un ministère des Droits des femmes de plein exercice. Isabelle Simonis, ancienne responsable des Femmes Prévoyantes Socialistes, féministe convaincue, en a pris la tête. axelle s’entretenait avec elle en octobre 2014, lors de son entrée en fonction. “Le moment est historique : nous avons l’occasion de mettre le focus sur le droit des femmes et le féminisme”, nous disait-elle. Cinq ans plus tard, quel bilan dresser ?

Assemblée des femmes

Pour nourrir son action, Isabelle Simonis a tout d’abord obtenu… des financements : de zéro euro pour un ministère tout neuf, le budget global “droits des femmes” a augmenté jusqu’à atteindre, tout compris, près d’un million d’euros pour 2019. Puis Isabelle Simonis a mis sur pied Alter Égales, une assemblée de mouvements de femmes. “C’était une première : construire ce ministère avec les associations de femmes qui avaient revendiqué la création d’un ministère des Droits des femmes à tous les niveaux de pouvoir. Une démarche fondamentale pour ne pas être déconnectés de la réalité de terrain”, nous explique Isabelle Simonis.

Il faut pouvoir évaluer l’impact des projets soutenus et avoir une vision d’ensemble sur la répartition des budgets.

Alter Égales, c’est donc une assemblée participative qui se réunit régulièrement et vote, une fois par an, un thème de travail qui donne lieu à un appel à projets (doté en 2018 de 300.000 euros) ; l’assemblée mène en parallèle un travail plus spécifique au sein de commissions. Les associations se rencontrent, échangent des idées et des stratégies : “C’est un bon outil de lien et de réseautage”, constate Hafida Bachir, secrétaire politique de Vie Féminine, qui a participé à Alter Égales depuis sa création. Pascale Maquestiau, chargée de mission au Monde selon les femmes, confirme : “Pour la myriade de petites organisations de femmes, Alter Égales a permis de créer des synergies. Ce serait toutefois intéressant de savoir s’il en a aussi résulté un meilleur travail entre les associations et les institutions… Par ailleurs, au terme de ces cinq ans, il faut pouvoir évaluer l’impact des projets soutenus et avoir une vision d’ensemble sur la répartition des budgets, comme pour toutes les politiques publiques.”

Pour Isabelle Simonis, Alter Égales est également un espace où les associations peuvent formuler ensemble des recommandations précises à la fois pour la FWB, mais aussi pour le régional ou le fédéral. C’est peut-être là qu’un certain flou se dessine : est-ce vraiment à un ministère de la FWB de jouer les intermédiaires, de se faire l’écho de revendications de mouvements de femmes à destination d’autres niveaux de pouvoir ?

La question se pose particulièrement au niveau fédéral où, pendant cette législature, la relation est très tendue entre les partis de la majorité et ceux de l’opposition. Avec une autre coalition, d’autres options seraient peut-être possibles. Rudy Demotte, qui a repris les compétences d’Isabelle Simonis, imagine volontiers un comité interministériel et interpouvoirs “droits des femmes” qui se concerterait régulièrement afin de mener des politiques cohérentes, l’enjeu étant “transversal par nature”… Quant à la revendication d’un ministère fédéral des Droits des femmes, elle est toujours d’actualité (voir plus bas). Mais comment collaborer avec un tel ministère s’il est géré par des adversaires politiques, aux options socioéconomiques et sociales radicalement différentes du gouvernement de la FWB ? Les cartes seront bientôt rebattues…

Rudy Demotte affirme vouloir conserver l’assemblée Alter Égales et “poursuivre dans la même logique” que sa prédécesseure, au moins jusqu’aux élections de mai. Et après ? Pour lui, “quel que soit le pouvoir dans la prochaine majorité, il ne pourra pas se dispenser de cette assemblée.” Encore faut-il que le ministère des Droits des femmes soit, lui aussi, maintenu. On peut en effet imaginer qu’il disparaisse totalement ou qu’il soit – comme c’est le cas en France, dans une configuration politique toutefois différente – absorbé au sein d’un ministère plus large.

Transversalité : une gageure en politique ?

Pas évident, donc, de travailler avec d’autres niveaux de pouvoir. Qu’en est-il des voisin·es de bureau, les autres ministres de la FWB ? Lors de sa prise de fonction fin 2014, Isabelle Simonis a imaginé avec chacun·e un plan “égalité femmes/hommes” pour les impliquer tous et toutes, quelles que soient leurs compétences.

Du côté des réussites, Isabelle Simonis pointe le décret instituant un comité « Femmes et sciences » sous la houlette de Jean-Claude Marcourt (PS, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) ; la ligne d’écoute gratuite pour les victimes de viol (le 0800 98 100) en collaboration avec Rachid Madrane (PS, ministre de l’Aide à la jeunesse et des Maisons de Justice) ; l’ouverture du Master interuniversitaire en études de genre, avec le ministre de l’Enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt (PS) ; le travail mené – mais pas abouti… – sur la labellisation de l’EVRAS (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle)… Mais les différences de couleur politique ou les querelles autour des budgets ne facilitent pas toujours les collaborations et peuvent freiner certains dossiers.

L’intégration du genre dans toutes les politiques

Par ailleurs, avec le décret du 7 janvier 2016 sur le « gender mainstreaming », l’ensemble des politiques de la FWB est désormais censé passer à la moulinette de l’égalité femmes-hommes. Ce “décret genre” est à pointer dans le positif du bilan d’Isabelle Simonis. “Il a été mis en œuvre avec une large formation, non seulement des fonctionnaires, mais aussi des membres des cabinets”, explique-t-elle. Pour toute décision prise par les différents départements de la FWB, l’impact différencié éventuel sur les femmes et sur les hommes devra désormais être étudié et résolu en amont pour qu’aucune politique ne contribue, au final, aux discriminations envers les femmes.

Au nom de l’”autonomie des établissements”, le gouvernement renonce à sa mission de service public censé défendre l’égalité. L’interprétation du “gender mainstreaming” est encore à affiner…

Mais ce décret, ambitieux sur le papier, n’est pas évident à appliquer. Un exemple : au début de l’année, Nadine Plateau, coordinatrice de la commission enseignement du Conseil des Femmes Francophones de Belgique, déplorait le fait qu’en dépit du décret sur le “gender mainstreaming”, “le gouvernement fait un pas en arrière” dans l’avant-décret relatif à l’acquisition de manuels scolaires, de ressources numériques, d’outils pédagogiques et de livres de littérature au sein des établissements scolaires.

Pour elle, ce texte remplace l’agrément octroyé à des manuels respectant un certain nombre de critères dont l’égalité filles-garçons et femmes-hommes par une “charte” (non obligatoire), dans le but de “responsabiliser” les maisons d’édition des manuels scolaires sur les enjeux de l’égalité. “Nous savons d’expérience que, pour toutes sortes de raisons, la question de l’égalité sexuée n’est pas une priorité aux yeux de la plus grande partie de la communauté enseignante ni aux yeux des maisons d’édition, à quelques exceptions près”, déplore Nadine Plateau. Elle ne comprend pas pourquoi, au nom de l’”autonomie des établissements”, le gouvernement renonce à sa mission de service public censé défendre l’égalité. L’interprétation du “gender mainstreaming” est encore à affiner…

Une mécanique en marche ?

On peut reconnaître à Isabelle Simonis d’avoir contribué à faire des droits des femmes un sujet politique de premier plan.

Cette année, pour la première fois, le budget de la FWB a été entièrement concocté en intégrant son éventuel impact sur les femmes : c’est le “gender budgeting” (“Utile ou bling-bling ?”, demande la journaliste Manon Legrand dans cet article). Il semblerait donc qu’une certaine mécanique institutionnelle, indépendante des personnes en exercice, se soit mise en marche pour intégrer au niveau de la Fédération une attention à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Au-delà de ces avancées structurelles à suivre de près, on peut reconnaître à Isabelle Simonis d’avoir contribué à faire des droits des femmes un sujet politique de premier plan. Même si on peut déplorer sa relative discrétion dans les médias, les droits des femmes ayant besoin de voix fortes pour se faire entendre, son travail de fourmi a permis de poser les bases d’une nouvelle institution. Il faut que se mettent en place, au sein de l’assemblée Alter Égales, des mécanismes transparents et indépendants pour évaluer à la fois la répartition des budgets et l’impact des projets soutenus ; espérons enfin que les recommandations détaillées et inventives de cette assemblée, fruit du travail des associations participantes, ne tomberont pas dans l’oubli politique après les élections.

 

Un ministère des Droits des femmes au fédéral : une revendication toujours d’actualité

Les associations de femmes le revendiquent depuis 2014 ; des femmes politiques de toutes les formations francophones s’y sont déjà déclarées favorables (voir axelle n° 168) ; Isabelle Simonis (PS) estime même qu’on pourrait “tenter d’avoir l’adhésion de tous les partis francophones.” La plupart de celles et ceux qui soutiennent cette revendication appellent aussi à la création de tels ministères dans les entités fédérées.

“Ces ministères de plein exercice doivent être dotés de moyens suffisants pour intégrer dans toute politique une attention aux impacts sur les droits des femmes et un objectif de réduction des inégalités structurelles, insiste Hafida Bachir, de Vie Féminine. Ils doivent également être un lieu d’impulsion et de vigilance concernant les droits des femmes, disposer de moyens pour rendre effectifs les droits existants et garantir leur accès à toutes les femmes, intégrer le gender mainstreaming et l’approche intersectionnelle dans les politiques d’égalité.” Sera-t-il cohérent de défendre une telle revendication dans un gouvernement porteur de projets socioéconomiques et sociétaux néfastes aux femmes ? Le débat est ouvert.