Lettre ouverte aux élu·es des 589 Conseils communaux belges : la Convention d’Istanbul, ça se joue aussi dans votre commune !

Par N°214 / p. 11 • Décembre 2018

Vous avez été élu·es aux élections communales d’octobre dernier. Il s’agissait des premières élections, tous scrutins confondus, depuis que la Convention d’Istanbul est entrée en vigueur dans notre pays. Ce texte du Conseil de l’Europe vise à prévenir et lutter contre toutes les formes de violence envers les femmes. Savez-vous que vous avez la responsabilité de l’appliquer dans votre commune ?

Une carte blanche de Vie Féminine – novembre 2018

© Dev Asangbam, Unsplash

Les programmes de vos partis faisaient souvent référence, avec plus ou moins de détails, aux violences contre les femmes. Mais rares étaient ceux qui évoquaient de manière explicite la Convention d’Istanbul. Pourtant, il s’agit d’un texte très important qui est entré en vigueur en 2016. C’est le moment de mettre enfin cette convention en pratique et… c’est aussi une obligation.

En s’appuyant sur son travail de proximité avec les femmes, Vie Féminine défend le principe que les communes – le niveau de pouvoir le plus proche des habitant·es – ont un rôle déterminant à jouer dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Et, désormais, en vertu d’un principe appelé la “diligence voulue” (article 5), l’État belge est considéré comme responsable des faits de violence (au même titre que l’auteur des violences) s’il ne met pas en œuvre ce qu’il doit pour empêcher et poursuivre ces violences.

La Convention d’Istanbul crée des obligations à tous les niveaux de pouvoir, y compris dans les communes, via l’exigence de politiques coordonnées (article 7). Cela veut dire que la commune est obligée de garantir la bonne application du texte ! Cela implique un profond changement de lecture et de pratiques. Mais comment s’y prendre ?

Des pistes pour appliquer localement la Convention

 

• Premièrement, il faut parler le même langage. La Convention d’Istanbul considère que les violences faites aux femmes se produisent dans une société qui, globalement, entretient un système de domination des hommes sur les femmes, ce qui empêche les femmes de s’émanciper pleinement. Cette lecture “genrée” des violences faites aux femmes (article 3) doit être généralisée auprès des acteurs et actrices de terrain.

• Aujourd’hui, le manque de formation est criant, alors qu’il s’agit pourtant d’une obligation (article 15). Cette obligation vaut pour les professionnel·les des services spécialisés, mais aussi pour l’ensemble des agent·es des administrations publiques (article 5) qui sont, tous les jours, et souvent sans le savoir, en contact avec des femmes victimes : leurs actions (ou leur inaction) peuvent avoir des conséquences directes sur la vie de ces femmes.

• Les communes doivent accorder les mêmes droits à toutes les femmes, sans discrimination de race, de langue, de religion, d’état de santé, d’orientation sexuelle, de statut – migrante ou réfugiée (article 4).

• Pour garantir la meilleure protection des victimes, les pouvoirs communaux doivent, sur leur territoire et en s’appuyant sur leurs compétences, favoriser la coopération entre les différents services locaux de soutien et d’accompagnement (article 18).

• Les pouvoirs communaux doivent aménager des services de soutien spécialisés selon une répartition géographique adéquate (article 22), garantir une aide juridique accessible et adaptée (article 57), un accès au logement, à la santé et à l’assistance financière des victimes (article 20).

• Les communes doivent participer à assurer une protection “adéquate et immédiate” des femmes (article 50) : elles peuvent pour cela s’appuyer sur leurs compétences de police et sur leurs liens avec la police locale. C’est un enjeu très important, car, bien souvent, la police ne joue pas son rôle de protection des femmes victimes de violences.

• Les communes ont un rôle de prévention. Elles peuvent proposer des campagnes (article 13) mais elles peuvent aussi impulser des activités préventives dans les “lieux d’éducation” que la Convention considère au sens large et qui doivent être “non sexistes” (article 14) : l’école, les structures sportives, culturelles et de loisirs…

Influencer d’autres niveaux

 

• Si les communes n’ont que peu de prise sur les politiques fédérales, elle peuvent cependant contribuer à réduire les conséquences de leurs nombreux dysfonctionnements, notamment en matière de Justice ou de politique migratoire.

• Les communes peuvent développer, par exemple via les services sociaux ou les services de la petite enfance, des espaces qui garantissent la sécurité des victimes et des enfants lors de l’exercice des droits de garde ou de visite des enfants (article 31).

• Au sein de leurs services médicaux, sociaux et juridiques, les communes peuvent interdire les modes alternatifs de résolution de conflit (y compris la médiation) en cas de violences (article 48).

• Les communes peuvent faciliter les démarches administratives des femmes en séjour précaire (article 12), car elles risquent l’expulsion si elles dénoncent les violences dont elles sont victimes.

• Les pouvoirs locaux peuvent s’impliquer dans la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul en coordination avec les autres niveaux de pouvoir, mais aussi en coopérant avec les organisations de la société civile actives contre les violences (article 9).

Nouveaux et nouvelles élu·es, nous comptons sur vous pour concrétiser ces changements : c’est votre responsabilité, et nous ne manquerons pas de vous le rappeler !