Au Kosovo, les victimes de viols de guerre contre la honte et l’oubli

Par N°222 / p. 23-25 • Octobre 2019 | conectionconection Contenu complet (pdf)
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Vingt ans après la fin du conflit avec la Serbie, les victimes de viols de guerre ont enfin accès à une pension de l’État. Mais peu osent briser le silence et en faire la demande.

Une survivante de violences sexuelles se tient près de sa fille, dans leur maison de l’ouest du Kosovo. Il y a un peu plus d’un an, elle a raconté à sa fille ce qui lui était arrivé pendant la guerre. Aujourd’hui, avec son mari, elle se rend régulièrement à des consultations de thérapie familiale données par le centre Medica Gjakova, qui apporte aux victimes un soutien psycho-social. © Valérie Plesch

“Notre mentalité ne nous permet pas de parler publiquement”, affirme Mimoza*. Cette mère de famille vient d’un petit village de l’ouest du Kosovo. Comme des dizaines d’autres femmes, elle fait régulièrement le long trajet jusqu’à la ville de Gjakova. Discrètement. Mimoza a un secret qui pèse sur ses épaules depuis vingt ans : elle a été violée pendant le conflit qui a opposé la Serbie à sa province indépendantiste du Kosovo en 1998-1999.

L’ONG Human Rights Watch a dénoncé dès l’an 2000 l’utilisation des violences sexuelles comme arme de guerre dans le conflit ; mais il n’existe aucun chiffre officiel sur le nombre de victimes. Une estimation haute considère que 20.000 personnes ont pu subir ces violences, y compris des hommes. “Seule ma mère sait. Même mon mari ignore tout de ce qui s’est passé pendant la guerre”, confie Mimoza.

Loi du silence

Teuta* lisse distraitement ses longs cheveux grisonnants serrés en queue de cheval. Elle se rappelle une époque où elle était “complètement renfermée. Je ne voulais voir personne, je ne voulais rien ressentir”, raconte-t-elle. Elle était déjà mère et enceinte de l’une de ses filles lorsqu’elle a été violée, sous les yeux de son fils aîné.

Les victimes portent le plus souvent la responsabilité de la violence qu’elles ont subie. Les filles et femmes violées ont parfois été mariées très jeunes, dans une tentative de “cacher” le traumatisme ; celles qui étaient mariées ont souvent été quittées. Certaines ont été complètement rejetées par leurs familles. Le silence est une règle tacite. “La stigmatisation est toujours très puissante. Nous vivons dans une société conservatrice et patriarcale”, estime Mirlinda Sada, directrice de Medica Gjakova. Cette organisation apporte un soutien psycho-social aux victimes, donne accès à un suivi médical et gynécologique, offre des thérapies de groupe et familiales, des activités artistiques et une assistance juridique. La parole y est source de libération. “Nous avons toutes les mêmes problèmes dans le village, raconte Teuta. Beaucoup de crimes y ont été commis. Notre santé mentale était tellement mauvaise, nous aurions pu nous suicider. Je sais que c’est encore très difficile pour d’autres femmes d’ouvrir leurs cœurs. Mais c’est mieux de parler.”

*Tous les prénoms ont été modifiés.

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