Barbara Van Dyck, la chercheuse qui veille au grain

Par N°218 / p. 30-32 • Avril 2019

C’est avec l’agriculture au cœur et l’activisme dans le sang que la Belge Barbara Van Dyck combat les problèmes environnementaux à la racine. Une lutte qui lui a coûté sa place de chercheuse en 2011, et qui l’encourage à modifier le regard scientifique, que ce soit via l’écoféminisme ou par la volonté de porter la recherche au centre du débat public. Rencontre avec une femme qui met la connaissance au service de la justice sociale et de l’écologie.

"Patriarcat + racisme + colonialisme + capitalisme = changement climatique", clame Barbara Van Dyck sur cette affiche brandie lors de mobilisations pour le climat. © Marine Créer pour axelle magazine

Barbara Van Dyck grandit dans un petit village non loin d’Anvers au sein d’une famille engagée pour le respect des personnes et préservation de la nature et qui cultive ses propres légumes. À 18 ans, la jeune femme quitte sa campagne flamande pour devenir bioingénieure. Mais sur les bancs de l’université gantoise, une question taraude la scientifique en herbe : “Pourquoi mes cours ne prennent-ils pas la société en compte ?”

Durant ses deux dernières années de master, Barbara veut connecter ses compétences techniques d’ingénieure avec des questions telles que l’environnement. Elle demande alors à ses responsables l’autorisation de se former en droit et économie environnementale dans une autre faculté. La réponse est négative. Cynique, elle écrit à ses professeurs : “Je choisirai donc le cours le plus facile, même si ça ne m’intéresse pas forcément.” Pour contourner la course à la spécialisation scientifique préconisée par son université, Barbara multipliera finalement les diplômes en tout genre : master en sciences urbaines, doctorat en sciences économiques appliquées…

Aujourd’hui, la chercheuse de 39 ans travaille pour l’Université du Sussex (Royaume-Uni), mettant ses compétences au profit de l’agriculture et des citoyen·nes. Quand on lui demande si elle peut nous révéler sur quoi portent ses recherches, elle rit : “Il n’y a pas de secret là-dedans. Je suis convaincue qu’il faut le maximum de transparence dans ce que font les chercheurs.” En ce moment, ce sont les biotechnologies centrées sur les plantes qui occupent la chercheuse. Ces technologies allient la science du vivant avec d’autres disciplines, comme la (bio)chimie ou l’informatique ; les organismes génétiquement modifiés (OGM) en font partie. Son objectif ? Partir en quête de limpidité scientifique en démêlant les intérêts politiques, économiques, sociaux ou privés à l’origine de la mise en place des recherches scientifiques dans le domaine agricole.

Barbara Van Dyck © Marine Créer pour axelle magazine

Graine d’activiste

Barbara a grandi avec l’idée que la société a son mot à dire : elle a participé aux grandes manifestations antinucléaires en Belgique dans les années 1980 ou, aux côtés de ses parents, s’est engagée pour préserver la nature au niveau local. “À côté de chez moi, il y avait une une partie de la forêt référencée comme terrain à bâtir. Le quartier s’est donc mobilisé sur la question du territoire pour protéger ces bois, en affirmant que ça avait toujours été une forêt, avec toutes ses valeurs écologiques et culturelles. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il fallait se bouger pour changer les choses !”

Plus tard, elle s’est donc engagée dans les mouvements associés à l’agriculture paysanne et à l’agroécologie. Ces mouvements s’opposent à l’agriculture industrielle qui, aux mains d’une poignée de multinationales, donne forme au système alimentaire mondial afin de faciliter l’exportation internationale de certaines denrées agricoles précises : c’est ce qu’on appelle l’agriculture intensive, basée sur des monocultures qui maximisent le profit tout en appauvrissant les sols. Cela nuit à la biodiversité et contribue à un gaspillage alimentaire mondial.

C’est en s’inspirant des mouvements pour une agriculture durable tels que l’agroécologie ou l’écoféminisme que Barbara effectue son travail scientifique. En pratiquant la recherche-action, elle part du terrain en restant connectée avec les agriculteurs/trices, les consommateurs/trices, les ONG environnementales, mais aussi les militant·es anti-OGM. “Au sein de la recherche même, on ne perd jamais de vue des questionnements tels que : quel est le problème de recherche auquel on est confronté ? Pourquoi se pose-t-on telle ou telle question ? Pourquoi choisit-on une direction et pas une autre ? Dans l’intérêt de qui ?”, détaille Barbara.

Un parcours scientifique qui a la patate

Alors qu’elle travaille pour l’Université catholique de Leuven (KUL) en 2011, le champ expérimental de patates génétiquement modifiées de Wetteren, en Flandre, fait l’objet d’une action de désobéissance civile. Les OGM sont remplacés par des pommes de terre bio par près de 450 militant·es qui mettent “la main à la patate” pour une agriculture plus durable.

Je n’imaginais pas à quel point être en même temps chercheuse et soutenir une action directe sur un champ expérimental pouvait être sensible !

Sans se douter des répercussions sur sa carrière, la chercheuse soutient l’action menée par le mouvement “Field Liberation”… et est sur-le-champ renvoyée de l’université. “À ce moment-là, je n’imaginais pas à quel point être en même temps chercheuse et soutenir une action directe sur un champ expérimental pouvait être sensible !”, se remémore Barbara Van Dyck. Elle ne fut pas la seule à subir les conséquences démesurées de cette action anti-OGM : onze activistes ont été poursuivi·es pour “association de malfaiteurs”, tandis que l’arrachage de pommes de terre, pourtant pacifiste, était qualifié d’”action violente” par l’État, et de “violence contre la science” par la KUL.

Lors du procès à la cour de Termonde entre mai 2012 et décembre 2014, de nombreuses personnes viennent régulièrement à l’entrée du tribunal pour soutenir les activistes. “Beaucoup de gens ont commencé à s’intéresser non seulement à la question des OGM, mais aussi à la recherche publique et aux intérêts qu’elle poursuit”, explique Barbara. En effet, le champ de patates expérimental de Wetteren est né grâce à un foisonnement d’acteurs/trices aux intérêts divers, à savoir l’État, la multinationale BASF ou encore l’Institut Flamand de Biotechnologie.

La chercheuse utilise désormais son histoire pour interpeller les citoyen·nes sur la nécessité de débattre la science ensemble, avec sa première conférence gesticulée La recherche, c’est nos oignons, montée il y a un an et demi.

Barbara Van Dyck pendant sa conférence gesticulée La recherche, c’est nos oignons ! © Le Corridor

Un écoféminisme qui bourgeonne

“Quand on s’intéresse aux OGM, on s’intéresse aussi aux semences. Les femmes et les féministes ont saisi que les semences devaient être perçues comme la base de la vie. Elles en sont souvent les gardiennes et m’ont beaucoup inspirée” : Barbara Van Dyck cultive une vision écoféministe de la science. Pour elle, recourir aux patates génétiquement modifiées pour résoudre la maladie du mildiou dont souffrent les plants belges est le résultat d’une vision tout à fait réductionniste et étriquée de la science.

L’idée qu’on peut dominer les autres humains, les femmes, le sol, provoque des inégalités à un niveau mondial.

“Cette une science de laboratoire, se base sur la domination de la nature, et l’isolement des plantes, des cellules, des gènes, de leur contexte, plutôt que de tenter de comprendre leur environnement, leurs relations avec leurs environnement… C’est-à-dire créer une super patate au lieu de guérir la patate”, explique-t-elle. Barbara va même plus loin en qualifiant cette vision réductionniste de “sciences de la mort” : “C’est une vision destructrice. Il y a cette idée qu’on peut aussi dominer les autres humains, les femmes, le sol… En conséquence, cette façon de penser provoque des inégalités à un niveau mondial. Aujourd’hui, on est en train de se rendre compte qu’on s’est trompé et qu’il va falloir changer !”

Une autre graine écoféministe germe en elle alors qu’elle étudie la culture des patates au Nicaragua, en 2015. Elle se rappelle : “Par exemple, les cultivateurs de pommes de terre espéraient que notre étude allait les aider à développer leur chaîne de production. Tandis que les femmes, elles, espéraient que l’étude les aiderait à réduire l’expansion de ce type de monoculture, qui contribue à l’importation de pesticides.” Sur ces mots, Barbara va chercher la pancarte qu’elle a confectionnée pour l’une des récentes Marches pour le climat. On peut y lire les mots “patriarcat”, “capitalisme”, “colonialisme” et “racisme” : “C’est en voulant enchevêtrer ces systèmes qu’on a engendré le changement climatique. Pour rendre visible cet état de fait, il faut des luttes concrètes…” Si Barbara est à la fois chercheuse, activiste et écoféministe, c’est avant tout une “femme de terre” qui, par tous les moyens, veille au grain.