Aurore Kesch, présidente de Vie Féminine : « Nous avons toutes un intérêt à faire grève les 8 et 9 mars ! »

Pourquoi et comment faire grève ces 8 et 9 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes ? Pendant que partout en Belgique, la “marmite” des grévistes commence à bouillonner, Aurore Kesch, présidente du mouvement Vie Féminine, a répondu à nos questions.

Aurore Kesch, présidente de Vie Féminine : "Les lois semblent égalitaires mais la réalité, ce sont les discriminations." © Sarah Benichou pour axelle magazine

axelle : Est-ce que tu vas faire grève les 8 et 9 mars ?

Aurore Kesch : “Oui ! Dimanche, quand je serai de retour des manifs en tous genres, je pense refuser de prendre en charge un éventuel trajet pour mes enfants. J’envisage aussi de faire la grève de l’écoute empathique. Mon idée, c’est de montrer ce que ça fait lorsque j’arrête de le faire. Ce n’est pas que je n’aime pas accueillir les confidences ou les angoisses de mes proches, au contraire, mais je voudrais soulever cette question : qui d’autre le fait ? Mais comme dimanche et lundi, en tant que présidente de Vie Féminine, mon travail va consister à permettre aux femmes de se mettre en grève, pour le succès de la grève, je vais travailler…”

Qu’est-ce qu’une grève féministe ?

“Je préfère dire que c’est une grève des femmes à visée féministe. Nous travaillons avec toutes les femmes, pas uniquement celles qui se définissent comme féministes. “Il est tard quand je m’assieds”, voilà ce qu’a dit une femme récemment lors d’une réunion de Vie Féminine. Elle ne disait pas “Je suis épuisée de ma double journée” ou “Tout ce travail reproductif non-payé me fatigue”, mais sa phrase a résonné chez toutes les participantes. Quels que soient les mots qu’elles mettent dessus, toutes les femmes vivent des réalités fortement similaires. Toutes, nous avons un intérêt à faire grève les 8 et 9 mars pour rendre visible, y compris à nous-mêmes, tout ce qui cesse de fonctionner quand on s’arrête.”

Qu’est-ce que tu appelles le travail reproductif ?

“La charge mentale, le travail à la maison, le soin aux enfants, le lien social… À côté de ça, il y a aussi les emplois dans lesquels les femmes sont surreprésentées et sous-valorisées : éducation, service à la personne, soin aux enfants, restauration, ménage… Parce que la société estime que ces tâches sont “naturelles” pour les femmes, leurs compétences sont invisibilisées, et même niées. Résultat, quand on le fait comme salariée, c’est sous-payé et méprisé et, à la maison, on travaille carrément gratuitement.”

C’est pour ça que vous allez mettre en avant, dans vos actions, le symbole des casseroles ?

“Oui ! On a choisi un objet qui incarne l’espace où l’on nous confine : la cuisine et ce rôle de nourricière, au service des autres. On la retourne, on la jette au sol, on l’utilise pour faire du bruit toutes ensemble et, si possible, de façon non harmonieuse. C’est symbolique : ce n’est pas pour dire qu’on n’aime pas faire la cuisine ! C’est bien plus profond que ça.”

On entend souvent dire que les femmes se plaignent alors qu’elles ont acquis tous les droits qu’elles exigeaient. Tu penses que c’est faux ?

“Sans même parler des violences sexistes et sexuelles que nous vivons toutes, nos droits ne sont pas encore pleins et entiers. Les lois semblent égalitaires mais la réalité, ce sont les discriminations. Prenons l’exemple des pensions. Nous devons toutes et tous cotiser 45 ans pour partir à la retraite à 67 ans. Mais les femmes ont rarement 45 ans de carrière à 67 ans, puisqu’elles ont dû s’arrêter de travailler pour s’occuper des 2 enfants sur 3 qui n’ont pas eu de place en crèche.”

Donc la grève revendique l’égalité réelle : comment peut-on y parvenir, selon toi ?

“Il faut le dire clairement : on veut que l’État prenne en charge, de manière collective, les tâches essentielles à la vie de toutes et tous. S’il y a travail, il doit y avoir organisation, reconnaissance des compétences, des droits, et salaires à la hauteur. Bien au-delà de la répartition du temps de travail domestique au sein de chaque foyer, il faut que le travail nié des femmes soit reconnu comme tel : aucune répartition juste ne pourra se faire dans la dévalorisation ou le déni. Mais il y a aussi d’autres enjeux dans cette grève : montrer comme la vie change lorsque les femmes cessent de pallier le manque et provoquer notre prise de conscience sur la force qu’on a quand on agit toutes ensemble. C’est essentiel pour mener le combat contre les violences conjugales et sexuelles.”

Comment faire grève ?

“Comme on veut, mais ensemble, loin ou près de chez soi : il y a des initiatives partout ! Profiter de ce moment pour voir d’autres femmes et échanger, refuser de faire quelque chose qu’on a l’habitude de faire, venir manifester, même quelques minutes, poster une photo d’une casserole retournée sur les réseaux sociaux : les possibilités sont illimitées !”