En vers et tout contre nous : poésie et résistance

 Jan Clausen, bell hooks, Audre Lorde, Dorothy Allison… Éditions Cambourakis 2019, 224 p., 22 eur.

Après des millénaires de vers au masculin, les luttes féministes (re)découvrent le genre littéraire de la poésie comme puissant moyen d’expression, création, émancipation, transmission. Champ de transformation du langage, la poésie se fait pouvoir de transformation du réel. Sélection subjective d’exemples d’une discipline en plein renouvellement. (Véronique Laurent, mars 2020)

Éditions Bruno Doucey 2020, 272 p., 20 eur.

Les mots, beaux ou non, mais baumes parce que vrais, rétablissent les vérités des femmes. Leurs textes rythmés, inventifs, personnels, collectifs, intimes, s’opposent aux discours officiels. Témoins, réparateurs, salvateurs, ils tendent un miroir, partagent d’autres visions du monde. Imprimés, diffusés, traduits, lus par d’autres femmes, ils se dispersent et leur pouvoir augmente, gonflant l’esprit de révolte.

Jiliane Cardey a par exemple rassemblé et traduit les textes qui composent l’anthologie Pour une poignée de ciel. Poèmes au nom des femmes dalit écrits par des poétesses et des poètes. En Inde, les dalit sont les hors-castes, encore appelé·es “intouchables” et considéré·es comme impur·es. Être dalit et femme : double peine. Du papier, un crayon et leurs mots, “pour clamer haut et fort leurs révoltes face à l’indignité de leur condition, [et donner] naissance à des textes bouleversants”, précise l’éditeur.

La poésie dans la rue

La poésie a déjà joué ce rôle militant. Les mouvements féministes américains des années 1970 et 80 ont marqué le début de ce type d’écrits, entre littérature et activisme, comme le rappelle la publication, aux Éditions Cambourakis – toujours au taquet – de Je transporte des explosifs, on les appelle des mots. Poésie & féminismes aux États-Unis. Le bouquin (dont axelle vous fait gagner 5 exemplaires en ce mois d’avril !) s’ouvre sur l’essai de Jan Clausen, Un mouvement de poétesses : pensées sur la poésie et le féminisme (1982). Elle y écrit : “La poésie est apparue comme l’opportunité la plus évidente pour rendre compte directement de l’expérience des femmes.” Suivent les créations d’une vingtaine de poétesses et activistes féministes – à moins que ce ne soit l’inverse – de 1969 à aujourd’hui, connues ou moins connues, femmes de couleur ou blanches, lesbiennes ou hétérosexuelles, porteuses d’un handicap ou valides, intersexes…, chacune son impulsion intime, sa voix, son écriture ; la mise en volume amplifiant le son.

Les Midis de la poésie / “Luttes, lettres et forces” avec Bwanga Pilipili et Rokia Bamba, le 31 mars de 12h40 à 13h30 aux Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles.

Le succès des rencontres des Midis de la poésie, plus près de nous, signe le retour en grâce d’un genre littéraire longtemps intimidant. La programmation du 31 mars prochain approfondit la veine drainant expressivité littéraire et militantisme. Intitulée Luttes, lettres et forces, elle donne la parole à Bwanga Pilipili, autrice et comédienne belge d’origine congolaise qui, “entre hip-hop et poésie, viendra parler des textes qui nourrissent son travail”, ainsi qu’à Rokia Bamba, DJ et artiste sonore.

Aujourd’hui, les femmes venant de tous horizons partagent leurs expériences sur le terrain poétique, en renouvellent les formes et les sujets, slameuses en tête, passant parfois par les outils numériques, Instagram, Facebook, scandant et fabriquant un langage créatif et politique.