Allô ? Le suivi postnatal au bout du fil

Par N°202 / p. 28 • Octobre 2017

À la suite de la série d’articles que nous avons récemment publiés au sujet des séjours raccourcis en maternité (ici et ), nous avons reçu ce témoignage de la part de « A. », travailleuse à mi-temps dans un call center médical. Désemparée face au décalage entre sa mission et les besoins réels des mères qui viennent d’accoucher, elle décrit des pratiques professionnelles culpabilisantes pour les femmes.

© Aline Rolis

Standardiste à mi-temps dans un call center médical, je prends les appels, fixe les rendez-vous et laisse des messages. C’est mon mi-temps « alimentaire », celui qui me permet de payer mes factures et de m’épanouir l’autre moitié du temps dans un métier différent.

Au bureau, nous avons récemment commencé à prendre des appels pour un service de suivi post-partum, c’est-à-dire des sages-femmes qui se déplacent au domicile d’une femme qui est sortie d’un service de maternité.

Je dois donc décrocher, remplir des champs obligatoires qui me permettent d’enregistrer la demande et poser un tas de questions dans un vocabulaire qui ne m’est pas familier : je n’ai aucune compétence médicale ni formation à l’écoute.

Et puis, il y a des maternités où le corps médical est tellement surchargé qu’il « responsabilise » les mères en leur demandant de faire elles-mêmes les démarches.

Chaque appel est différent. Je tombe souvent sur des infirmier·ères débordé·es qui appellent depuis les maternités pour un suivi « retour précoce », comme on dit dans le jargon. Elles/ils sont excédé·es par mes questions, confondent parfois les dossiers, mais « ce n’est rien, tout est noté dans l’enveloppe ! » Sauf exception, les jeunes mamans quittent l’hôpital au bout de trois, voire souvent seulement deux jours, avec pour seul bagage cette fameuse enveloppe. Précieux sésame contenant toutes les informations nécessaires à la sage-femme qui viendra une ou deux fois à domicile pour, entre autres, faire les examens qui ne sont plus faits à l’hôpital comme le « test de Guthrie », une prise de sang détectant des maladies chez le bébé.

Et puis, il y a des maternités où le corps médical est tellement surchargé qu’il « responsabilise » les mères en leur demandant de faire elles-mêmes les démarches. Ces femmes viennent de subir un accouchement, puis une phénoménale chute d’hormones, et ne sont généralement pas en état de se transformer en spécialistes. Je suis pourtant contrainte de les bombarder de questions que, ni elles ni moi, ne comprenons vraiment.

Et là, c’est le drame. Elles ne savent pas répondre. Pas parce qu’elles sont de « mauvaises mères » comme elles disent, simplement parce que ce n’est pas leur travail de savoir au gramme près le poids de leur bébé ou la seconde à laquelle il a poussé son premier cri. Elles ont l’impression d’être incapables de « gérer » puisqu’elles ne connaissent pas les réponses aux questions que je leur pose. Culpabilité, panique, larmes de leur côté ; incompréhension de part et d’autre de la ligne téléphonique.

Comme si cela ne suffisait pas, il reste mes collègues. Certain·es raccrochent, sur les nerfs, car « elle ne savait même pas ça ! » ou « pauvre enfant qui a une mère indigne ! » Ce genre de remarques me glace le sang, me révolte intérieurement, mais, comme me l’a fait remarquer la direction, difficile de s’opposer aux exigences du « client », l’organisme qui gère les sages-femmes à domicile et qui impose sa procédure de prise en charge.

J’ai donc décidé d’écrire ce témoignage pour démontrer, à mon sens, l’absurdité de ces « retours précoces » et pour dénoncer le manque d’encadrement. Là-bas, je prends sur moi, fais tout ce que je peux pour les femmes au bout du fil et puis, malheureusement, je passe à l’appel suivant.