Le privilège du vote : “Vous devez être la voix des sans-voix”

Par N°257 / p. 22-24 • Mars-avril 2024 | conectionconection Contenu complet (pdf)
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En juin prochain, nous élirons des représentant·es auprès de l’Union européenne. Ces élections impacteront les vies de 448 millions de personnes, dont plus de 228 millions de femmes. En Belgique, ce scrutin est particulier : nous voterons aussi pour le fédéral et les Régions. En octobre enfin, les citoyen·nes seront appelé·es à voter pour les élections communales et provinciales. Tous·tes les citoyen·nes ? Pas tout à fait. Les personnes sans papiers, par exemple – plus de 112.000, d’après les estimations de la VUB –, n’ont pas le droit de voter. Deux d’entre elles, Sarah et Fathiya, défenseuses de la démocratie, font entendre leur voix autrement.

© Marion Sellenet

Les résident·es non belges n’ont pas le droit de voter aux élections fédérales et régionales, mais les membres de l’UE peuvent voter aux européennes et aux communales. Quant aux personnes ayant la nationalité d’un pays hors de l’UE, elles peuvent, sous certaines conditions (plus de 5 ans de résidence, notamment), voter aux communales. Autre condition : il faut avoir un titre de séjour valable et être inscrit·e aux “registres de la population ou des étrangers”. Cela exclut donc les personnes sans papiers.

Parmi elles, Sarah et Fathiya. Installées en Belgique depuis de nombreuses années, elles aimeraient pouvoir voter, “pour faire entendre la voix des sans-voix”. Au lendemain du nouvel an, c’est à la maison Yoo Fan, lieu d’accueil liégeois pour femmes migrantes et sans papiers, qu’elles me reçoivent. Ce lieu est, disent-elles, un cocon dans lequel elles peuvent échanger, s’écouter et se sentir respectées. Je n’ai pas le temps d’enlever mes chaussures que le thé est déjà servi. Nous nous installons toutes trois dans le salon. J’allume mon enregistreur et Sarah commence son récit.

L’histoire de Sarah

Sarah est tunisienne. À 47 ans, cela fait déjà 15 ans qu’elle est en Belgique. Rien ne la destinait à cette vie “d’invisible”, m’explique-t-elle. Née aux Pays-Bas dans les années 70 après que son père a fui la Tunisie, elle a grandi dans la culture néerlandaise. “J’ai toujours été rebelle, j’ai toujours voulu faire comme les garçons. J’avais été rendre visite à un cousin en Allemagne, il terminait ses études d’ingénieur informatique, je voulais faire comme lui.” Mais lorsqu’elle atteint ses sept ans, son père décide de la renvoyer seule en Tunisie, chez sa grand-mère. Loin de ses frères, de sa mère et de son environnement familier, Sarah vit un premier choc dans cette partie de sa famille qu’elle découvre conservatrice. “J’étais une fille, je devais apprendre à être une bonne épouse, apprendre l’arabe, apprendre à être soumise aux hommes. Ça n’allait pas du tout.” Après plusieurs années, le reste de sa famille vient la rejoindre. “À 18 ans, mon père a voulu me forcer à épouser un homme de 43 ans, hyper-religieux. J’ai refusé. J’ai commencé à travailler dans l’industrie de la mode. J’étais douée.” Mais en 2008, sa vie bascule à nouveau : “J’ai appris que j’aurais pu demander, dès mes 18 ans, la nationalité néerlandaise. J’étais née sur ce sol, j’étais néerlandaise. Mais cela faisait 13 ans que le papier officiel avait été envoyé à la maison : mon père l’avait intercepté et caché. Quand je l’ai appris, j’ai explosé”, confie Sarah.

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