6. Sarah Schlitz : “La société civile a permis de politiser la question des féminicides”

Fin octobre 2022, le gouvernement fédéral, sous l’égide de la secrétaire d’État à l’Égalité des genres Sarah Schlitz (Ecolo), a adopté un projet de loi-cadre visant à doter la Belgique d’un ensemble d’instruments pour protéger les victimes de féminicide et mesurer ces crimes. Fait marquant : la future législation définit, officiellement et largement, la notion de féminicide.  Alors que le projet de loi poursuit maintenant son parcours législatif, axelle a souhaité en parler avec Sarah Schlitz en conclusion d’un dossier que nous consacrons à ce sujet. 

Sarah Schlitz.

Cet article est le sixième chapitre d’un focus consacré aux féminicides.

Pourquoi était-il important de créer une loi à ce sujet ?

“Pour moi, il est central de rappeler que c’est la société civile qui a permis de politiser la question des féminicides et de la mettre à l’agenda politique. Il était important de prendre le relais. C’était une demande qui nous était directement adressée. Avec cette loi, nous nous dotons d’une série d’outils qui vont notamment permettre de comptabiliser les féminicides. Cela signifie que ce ne seront plus les associations féministes qui devront le faire, à partir des articles de presse.

Pour pouvoir les comptabiliser officiellement, il nous a fallu travailler sur une définition. Qu’est-ce qu’un féminicide ? Nous avons finalement repris quatre types différents de féminicides, sur base des définitions de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes : le féminicide intime (par exemple d’une (ex-)compagne), non intime (par exemple d’une femme dans un réseau de prostitution), indirect (à la suite d’un avortement forcé ou d’une mutilation génitale féminine) et l’homicide fondé sur le genre (dans le cas d’une personne transgenre par exemple).

La législation définit également les différentes formes de violences qui peuvent précéder ce type de crime, comme la violence sexuelle, la violence psychologique et le contrôle coercitif.

Il était fondamental que le niveau fédéral s’en empare pour permettre à des mesures de protection des victimes de s’appliquer sur tout le territoire de la Belgique et pas uniquement en fonction d’un arrondissement judiciaire, dont on sait que certains fonctionnent mieux que d’autres sur ces questions, ce qui crée une inégalité.”

Donc le féminicide n’entrera pas dans le Code pénal, comme c’est le cas dans d’autres pays ?

“Nous n’avons pas choisi cette option, mais nous nous sommes assuré·es que les violences sur base du genre soient mieux prises en compte dans la nouvelle mouture du Code pénal. Par exemple la question du harcèlement ou encore les coups qui peuvent entraîner la perte du fœtus chez les femmes enceintes – on sait que la grossesse est un moment où les violences conjugales augmentent. La violence sur base du genre sera reconnue comme une circonstance aggravante dans tous les faits préjudiciables.

Nous avons également obtenu dans la future loi que les magistrat·es et les policiers/ères soient mieux formé·es à propos des violences sur base du genre. Ces professionnel·les comprendront le concept de cycle des violences et auront plus d’empathie pour les victimes. Si les bons mots sont utilisés dès le début de l’enquête lors d’une plainte, dans le PV d’audition, cela va impacter tout le reste de la procédure judiciaire. Certain·es juges d’instruction ne comprennent pas pourquoi les victimes restent vivre avec leur bourreau. Il faut expliquer les violences économiques et la dépendance qui est créée pour que les femmes violentées ne partent pas. Il faut éviter ces violences secondaires, qui arrivent dans un deuxième temps .”

Qu’en est-il de la prévention, avant que les violences ne se produisent ?

“Au niveau fédéral, il n’existe pas beaucoup de leviers concernant la prévention. Il est évident qu’il faut aussi un changement de mentalité. À mon niveau, j’ai débloqué des moyens supplémentaires pour les associations de terrain, qui ont beaucoup d’impact grâce à leurs actions percutantes et qui sont en lien direct avec leur public. J’ai veillé à les consulter, ainsi que différentes expertes, dans l’élaboration de cette loi et je vais continuer à le faire. Ces retours venant du terrain sont nécessaires.”