Négociations gouvernementales : 20 mesures incontournables pour des organisations féministes de terrain

Hier, un ensemble d’associations féministes de terrain ont envoyé aux représentant·es des partis politiques une liste de 20 mesures “incontournables” qui, selon elles, doivent être prises en compte dans les négociations gouvernementales au niveau fédéral, régional et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Fabienne Richard, directrice du GAMS Belgique, nous explique leur démarche.

CC Gustave Deghilage

20 mesures. À partir de constats qu’elles dressent quotidiennement, ces associations ont mis en commun des revendications spécifiques et ont appelé, ce mardi 11 juin, les partis politiques à les écouter et à prendre en compte leurs priorités au cours des négociations des accords de gouvernement.

“Nous nous sommes mises ensemble, dans l’urgence, pour partager nos revendications spécifiques, mettre en avant ce que nous avons en commun et rédiger un texte collectif, décrit Fabienne Richard, directrice du GAMS Belgique, signataire de l’appel. Sur le papier, ces revendications peuvent paraître un peu abstraites, mais derrière, ce sont des réalités des femmes qui n’ont rien de théorique. Et ces revendications ne remplacent pas les mémorandums qu’on a déjà envoyés avant les élections, qui étaient beaucoup plus détaillés.”

Lutte contre les violences envers les femmes, pension, régularisation, assurance autonomie ou encore allongement des congés de maternité et de paternité : les “incontournables” concernent différents niveaux de pouvoir, du fédéral aux régions en passant par la Fédération Wallonie-Bruxelles. “Nous avons déjà reçu des accusés de réception de plusieurs partis, mais nous voudrions bien sûr que l’on nous invite autour de la table pour aller plus loin que ce document très synthétique”, précise Fabienne Richard.

Si elle doit retenir une priorité, c’est celle du développement d’un plan coordonné de lutte contre les violences, transversal à toutes les compétences, basé sur les recommandations du rapport alternatif de la société civile de février 2019 qui analyse la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul en Belgique. “C’est fondamental pour nous toutes. Nous y avons beaucoup travaillé, avec la coordination de la Voix des Femmes, et cette mesure est absolument essentielle.”

Les organisations de terrain constatent en effet que, malgré la ratification de la Convention d’Istanbul en 2016, la Belgique ne respecte pas ses obligations pour lutter contre les violences faites aux femmes et ne dégage pas les moyens et mesures nécessaires. Dans leur rapport alternatif nourri de leurs expériences, les organisations féministes constatent également le recul d’une lecture des violences sous l’angle des rapports sociaux de sexe et, en parallèle, le développement d’un discours qui évince la responsabilité de la société et des pouvoirs publics. Elles réclament aujourd’hui que la Belgique, à tous les niveaux de pouvoir, se dote d’un plan coordonné de lutte contre les violences en évaluant les manquements à ses propres engagements internationaux et en prenant les mesures urgentes et nécessaires.

“Nous invitons les partis politiques à prendre contact avec nous”, insiste Fabienne Richard. Les associations de femmes sont prêtes à mettre leur expertise à disposition des politiques : encore faut-il qu’elles soient entendues.

 

L’appel des organisations féministes aux partis et aux formateurs de gouvernements

À l’attention des partis politiques francophones et des formateurs de gouvernements. Nous, associations féministes travaillant dans la proximité et au quotidien avec les femmes, nous tenons à vous faire part des mesures incontournables que nous souhaitons voir dans les prochaines déclarations gouvernementales au niveau fédéral, régional et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

1. Développer un plan coordonné de lutte contre les violences budgétisé et transversal à toutes les compétences qui se base sur les recommandations du rapport alternatif de la société civile consacré à la mise en œuvre en Belgique de la Convention d’Istanbul. Il s’agit notamment de :

– Reconnaître les violences de genre comme une persécution d’un groupe social (les femmes) donnant droit à la protection internationale ;

– Permettre l’accès à l’hébergement d’urgence à toutes les femmes, y compris à celles en séjour précaire.

2. Garantir l’accès des femmes à la Justice aussi bien par des mesures de soutien financier que par une meilleure prise en compte des situations des femmes ainsi que des injustices et discriminations qu’elles vivent.

3. Rendre le Service des créances alimentaires (SECAL) plus accessible, plus performant et le doter de moyens suffisants pour répondre aux besoins de TOU-TE-S les bénéficiaires :

– La suppression du plafond de revenus donnant droit à une avance sur pension alimentaire.

– La multiplication de points de contact de proximité par la mise en place d’antennes du SECAL dans les Maisons de Justice ;

– Le renforcement du personnel du SECAL ;

– Lancer une réflexion sur l’instauration d’un Fonds universel des créances alimentaires en Belgique.

4. Supprimer le statut de cohabitant·e dans une logique de couverture sociale individualisée, de revenu décent et de renforcement des solidarités tant au sein d’une famille qu’entre individus sans lien de parenté.

5. Prendre en compte le travail à temps partiel et les carrières morcelées dans toute politique en matière de pension.

6. Instaurer une trajectoire de prise en charge des mères et nouveau-nés après l’accouchement adaptée à chaque situation que ce soit à l’hôpital ou à domicile (et non l’imposition à toutes d’un retour rapide à domicile).

7. Supprimer l’assimilation au congé de maternité de la liste des absences pour maladie dans les 6 semaines précédant l’accouchement.

8. Allonger le congé maternité de 15 à 20 semaines minimum et le congé paternité de 10 jours à 2 semaines.

9. En matière de régularisation (article 9 bis de la loi du 15/12/1980), fixer dans la loi des critères clairs et permanents qui tiennent compte des femmes, de leurs parcours, de leurs expériences, des violences spécifiques qu’elles vivent, des attaches qu’elles ont développées en Belgique (emploi, école de leurs enfants, engagement associatif…) ainsi que de toute situation humanitaire urgente (maladie, impossibilité de retour au pays…).

10. Instaurer une assurance autonomie qui prend en compte tous les besoins, dans leur diversité : aide à domicile, services de répit, soins de nuit, mobilité et participation à la société, centres de jour…

11. Mettre en place un Crédit d’Heures d’Aide aux Familles (CHAF) : cent heures d’aide en services, accordé d’office, à toutes les familles, à l’occasion d’une naissance ou de l’adoption d’un enfant de zéro à trois ans.

12. Mettre en œuvre les engagements pris dans le cadre des Plans grande dépendance wallon et bruxellois adoptés en 2014 pour développer des places dans des services diversifiés à destination des adultes handicapé·es de grande dépendance.

13. Créer des logements en suffisance, accessibles financièrement, de qualité, adaptés aux besoins tout au long de la vie, avec une attention particulière aux situations d’urgence et de précarité qui caractérisent de nombreux parcours de vie de femmes. Il s’agit également de prendre des mesures pour éliminer les discriminations directes, indirectes et croisées (sexistes, racistes et classistes).

14. Poursuivre l’implémentation complète du statut de salariée pour toutes les accueillantes conventionnées à domicile de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

15. Intégrer explicitement la notion de genre (égalité fille/garçon et femme/homme) dans tous les décrets et textes officiels qui organisent l’enseignement.

16. Générer les conditions qui rendront effectives l’égalité et la diversité dans le paysage audiovisuel et médiatique en FWB, que ce soit dans les équipes qui composent les rédactions, au sein des ressources humaines et dans les contenus, afin que la société soit représentée dans son ensemble.

17. Mettre en place des mécanismes de transition écologique et sociale qui intègrent les principes d’égalité entre les hommes et les femmes et de lutte contre la précarité.

18. Organiser en collaboration avec les mouvements féministes des Assises des droits des femmes afin de dresser un bilan en matière des droits des femmes et d’adresser des recommandations précises à mettre en œuvre par les pouvoirs publics.

19. Appliquer de manière stricte la loi de gender mainstreaming adoptée par la Belgique en 2007, qui vise à intégrer, à tous les niveaux de prise de décision politique, une évaluation d’impact que ces décisions peuvent avoir sur les femmes et les hommes. Il s’agit également d’adopter une approche transversale des problématiques d’inégalité et des discriminations liées au genre, l’origine et à la classe et une vigilance quant à la manière dont ces discriminations interagissent et se renforcent.

20. Élaborer un plan de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance sur base d’une concertation avec les acteurs de terrain et en y associant également les organisations de femmes ayant une expertise en matière de croisement entre le sexisme et le racisme.

Le Collectif des Femmes de Louvain-la-Neuve, le GAMS Belgique, Le Monde selon les Femmes, le MEFH asbl, l’Université des Femmes, La Voix des Femmes, Vie Féminine, Be-Feminist.