(extraits)
À Dundalk, nous sommes en République d’Irlande, à moins de quinze minutes en voiture de l’Irlande du Nord. Avant l’Accord de paix de 1998 qui a mis fin à une guerre civile opposant catholiques nationalistes – souhaitant la réunification – et protestant·es loyalistes – se sentant pro-britanniques –, cette commune fut le théâtre de ce qu’on appelle ici pudiquement les “troubles”. Les militaires patrouillaient non loin de là, à pied ou en hélicoptère ; des fouilles étaient faites dans chaque véhicule. Sans parler de la peur des mères de voir leurs enfants partir jouer dehors et ne jamais revenir. Un attentat pouvait vite arriver. Il a fallu, à coups de milliards d’euros, financer des projets qui permettent aux populations de se rencontrer et de se parler. L’Union européenne y a activement participé à hauteur de 1,5 milliard d’euros en vingt-quatre ans.
Réussir à parler du passé
Or le Brexit change la donne. La sortie britannique de l’Union européenne, votée par référendum le 23 juin 2016 à 52 % et prévue pour fin octobre 2019 après de multiples rebondissements, met à mal les aides financières accordées à l’Irlande du Nord, dont “The Next Chapter” dépend.
Piloté par l’organisation Politic Plus, ce programme favorise la présence des femmes dans les instances politiques à la fois en République d’Irlande et en Irlande du Nord. Son financement de 1,5 million d’euros est soutenu par l’Union européenne et se termine fin décembre 2019. Ces financements européens, instaurés depuis 1995, favorisent le dialogue entre les deux communautés de part et d’autre de cette frontière de 500 kilomètres qui sépare les deux pays.
“À partir de la fin de l’année, on ne sait pas encore si nos financements continueront”, reconnaît Joanne Jennings, responsable des programmes. Elle soupire.
Attablées dans le café de Stormont, l’Assemblée locale nord-irlandaise basée dans la capitale, Belfast, Heather, Lori, Catherine et Deborah écoutent avec désespoir les propos de Joanne Jennings. Pour ces femmes âgées de 24 à 47 ans, le programme “The Next Chapter” représente bien plus que des réunions et des modules pour apprendre à “faire entendre sa voix”. Elles se sentent désormais faire “partie d’un mouvement”. Parmi plus de 400 volontaires, réparties dans dix groupes de part et d’autre de la frontière, de véritables amitiés se sont tissées. Elles discutent autant de leur quotidien que des sujets qui fâchent. Le passé, en particulier.
Vingt-et-un ans après le conflit qui a fait 3.500 mort·es, les plaies restent béantes. À “The Next Chapter”, on prend le temps d’écouter et d’échanger. “Il y aura toujours des personnes qui auront des points de vue opposés, ce n’est pas grave, mais il faut apprendre à se respecter”, commente Catherine, 24 ans, qui a grandi en République d’Irlande et fait ses études supérieures dans le “Nord”. Retourner vers le passé ? Jamais. Mais avec le Brexit, elles ont l’impression de faire marche arrière…
Acheter ce N° (2.5€)