Capables, elles aussi (Belgique / Argentine)
« Capacitisme » est un terme dont la joueuse Tine Debaets n’a jamais eu connaissance. Le « capacitisme » désigne le fait qu’au sein d’un groupe, certain·es seront plus ou moins valorisé·es car considéré·es comme « capables » ou non. La sœur de Tine a, quant à elle, bien saisi l’impact d’un tel système de valeurs sur l’émancipation des personnes invalides : « Ma sœur a eu beaucoup de crises d’épilepsie. C’était difficile pour nous de la laisser se mettre en danger sur un terrain de foot alors qu’elle avait déjà 30 ans ! D’autant que notre frère a eu une commotion cérébrale à cause de ce sport. » Seule la coach, Martine Vanrobaeys, nommera le « handicap », quasiment imperceptible. « Tine et ses 17 coéquipières souffrent de déficiences mentales, visuelles ou auditives, dit-elle. LE FC Gullegem est la seule équipe 100 % féminine qui joue au football avec ce type de trouble mental et physique en Belgique. Les autres jouent en équipe mixte. »
À l’âge de 40 ans, Tine est dotée d’un solide sens de l’humour. « Tu sais, j’ai eu une histoire avec le numéro 3 des Diables Rouges…, dit-elle. On a longtemps partagé le même numéro. » Collectionneuse de vannes – en anglais, en français ou en néerlandais –, Tine chante l’hymne national. Autour de la table, ses coéquipières lèvent le coude : l’équipe nationale masculine belge affronte la Suisse en Ligue des Nations.

À 12.000 kilomètres de là, en Argentine, dix femmes jouent au cécifoot (voir photo). Au bord du terrain, un passant reste scotché : « C’est incroyable, je n’ai jamais vu ça ! » La vitesse de jeu, les corps qui se déplacent de façon agile et sans heurt : le spectacle a de quoi surprendre et laisse admiratif. Les joueuses signalent leur position par un « Voy » et savent où se trouve le ballon grâce au son des grelots qu’il contient. La pensée, difficilement contrôlable, traverse l’esprit : « Moi qui suis valide, je ne saurais pas faire ça. »
Laura, malvoyante et footballeuse depuis trois ans, confirme que c’est du boulot ! Et s’empresse de préciser que ce n’est pas si extraordinaire : « Ma vie n’est pas plus dure à cause du fait que je ne peux pas voir. Ce qui est difficile, ce sont certaines attitudes et des barrières physiques. Ce « tu n’es pas capable » qu’on entend à longueur de temps. » Hors du terrain, cette journaliste de formation travaille dans une association de défense des droits des personnes handicapées. Très investie dans le débat sur la légalisation de l’avortement, elle veille à ce que toutes les femmes puissent rester maîtresses de leurs choix.
Texte : Aurélie Moreau et Laure Derenne / Collectif Huma
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