La lagune bordée de palétuviers, ces grands arbres tropicaux qui poussent dans la vase de la mangrove, s’éveille dans la clarté matinale. Depuis plusieurs heures déjà, de petites embarcations colorées, manœuvrées par les pêcheurs locaux, sillonnent les 20 km² de la lagune de Chilaw, parée des nuances roses de l’aube. Dans cette localité située à 60 km de Colombo, la capitale du Sri Lanka, la pêche est l’activité principale des communautés côtières depuis des temps immémoriaux. Aux hommes, la pêche, aux femmes, le séchage du poisson et la vente sur les marchés. De père en fils, et de mère en fille, on adopte les mêmes rituels, on bénéficie des mêmes ressources, on remercie la nature pour ses bienfaits. Et la mangrove, on l’aime, chevillée au corps. Pourtant, ce rapport viscéral avec ces arbres majestueux aux racines enchevêtrées qui ressemblent à des araignées aquatiques, a bien failli être bouleversé. En cause ? La destruction de la mangrove, principalement en raison des élevages industriels de crevettes et de poissons qui ont défiguré le paysage côtier et pollué les eaux, contaminées par les déjections animales et les antibiotiques. Au plus fort de leur implantation, “près de la moitié de la mangrove avait disparu”, rappelle Anuradha Wickramasinghe, fondateur de Sudeesa. Cette ONG créée en 1992, au départ une association de petits pêcheurs locaux, s’est ensuite donné pour mission de former les habitant·es aux vertus de leur mangrove afin de les rendre acteurs/trices de sa protection.
La mangrove, trésor de biodiversité
La mangrove n’est pas une forêt comme les autres. En effet, les arbres de ces jungles marécageuses, qui poussent à la charnière des eaux douces des rivières et des eaux salées de la mer, absorbent plus de CO2 que n’importe quels autres écosystèmes, réduisant davantage les effets du réchauffement climatique. Et ils forment aussi, avec leurs racines entrelacées, des refuges idéaux pour la reproduction des poissons. Enfin, partout où la mangrove pousse, elle retient les sols et évite les affaissements de terrain.
L’étude comparative réalisée par l’Union internationale pour la conservation de la nature, un an après le tsunami qui a ravagé une partie des côtes sri-lankaises en 2004, causant la mort de 30.000 personnes, a montré que dans le village de Kapuhenwala, protégé par 200 hectares de mangrove, le tsunami n’avait fait que deux victimes. Au contraire, dans celui de Wanduruppa, où elle avait été saccagée pour des projets piscicoles et touristiques, les flots emportèrent près de 6.000 Sri-Lankais·es. Ces différents rôles joués par la mangrove méritaient bien quelques enseignements auprès des communautés locales qui, déracinées, “partant souvent vers la ville”, ont pu “oublier certaines bases”, estime Anuradha.
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