Pas de vacances pour la charge mentale des femmes

Été, plage, farniente ? Le repos estival ne se dessine pas de la même façon pour les femmes et pour les hommes, parce que la division sexuée des responsabilités ne disparaît pas avec l’éloignement du foyer.

© Diane Delafontaine pour axelle magazine

Elles cherchent des bons plans ; ils valident. Elles font les valises ; ils les casent dans la voiture. Ils font (parfois) à manger ; elles font la vaisselle… Vision caricaturale dépassée ? Avant, pendant et après le voyage, quel qu’il soit, les charges liées aux vacances continuent à se répartir de façon inégalitaire au sein des couples hétérosexuels. Pour la plupart des femmes, le temps des p(l)ages blanches semble encore loin et la liste des tâches peut être longue : choix de destination, réservations, budget, assurances, trousse médicale, lessives, bagages, activités sur place, repas, bien-être familial…

Il m’est arrivé, rien qu’à l’idée de tout ce qu’il fallait faire, de ne plus du tout avoir envie de partir tellement c’était contraignant.

Si la répartition s’organise de façon différente au sein de chaque couple ou famille, le moment de détente commun repose encore trop et trop souvent sur une prise en charge plus importante par les femmes. “Il m’est arrivé, rien qu’à l’idée de tout ce qu’il fallait faire, de ne plus du tout avoir envie de partir tellement c’était contraignant”, confie Marie, 38 ans, en couple, mère de deux enfants de 2 et 6 ans. Elle n’est pas la seule ; plus d’une femme sur cinq ressent l’organisation des vacances comme un défi, quasiment une sur quatre l’estime stressante et presque une femme sur dix la qualifie d’accablante, montre une étude européenne…

La charge n’est pas que mentale

L’historienne féministe française Michelle Perrot rappelait récemment que “les femmes se sentent responsables, de l’intérieur, de l’emploi du temps, de ce qu’il y aura à manger, des devoirs des enfants, etc. Donc, il y a encore, dans la matérialité des faits et dans les idées, l’idée que les femmes sont responsables de l’intérieur”, responsabilité qui ne les quitte pas par le miracle d’un changement de décor.

Cette responsabilité et la charge matérielle effective lourde qu’elle entraîne sont par ailleurs minimisées, invisibilisées et dévalorisées, alors qu’elles sont absolument indispensables, comme la crise du coronavirus l’a démontré. D’autre part, les vacances, signifiant promesse de repos et idée “de ne rien faire” (dans le sens de “ce que l’on veut”), sont considérées comme un temps improductif, dont la prise en charge – dans cette logique d’opposition entre productif/rémunérateur/utile/masculin et détente/dépenses/futile/féminin – échoit de façon mécanique… aux femmes. Alors même que ce temps vacant s’est vu, lui aussi, peu à peu colonisé par l’omniprésente injonction de l’idéologie néolibérale à la rentabilité, à l’utilité, à l’efficacité : conseils des magazines pour des vacances “réussies”, corps au top, endroits à “faire”, souvenirs incroyables à produire et à diffuser sur les réseaux sociaux…

Du plaisir à la corvée

Il reste très difficile de s’extraire de ce schéma inégalitaire de répartition des responsabilités, même à situations professionnelles égalitaires, voire inversées. Céline, 46 ans, indépendante, mère de deux ados, raconte : “C’est moi qui travaille le plus, ramène le plus gros salaire et rentre le plus tard, mais c’est moi qui fais tout”, planification des vacances comprise. “Ça me prend un temps fou : je compare, je fais mon tour… Au début par plaisir. À la longue, ça pèse. Hyperactive et perfectionniste, je suis dans un cercle vicieux. À force de tout organiser, je deviens difficile. Je remarque que passer par une agence, c’est plus cher, etc. Si je demande, mon mari aide, mais pas de façon spontanée. Pendant les vacances, le reste de la famille ne sait pas ce qu’il va faire le lendemain. Parfois, c’est pesant. J’ai des épisodes de décompensation. Récemment, je me suis sentie au bord du burn-out, j’ai explosé. Mon mari ne s’en était pas trop rendu compte.”

À situations professionnelles différentes, l’argument travail extérieur rémunérateur “utile” peut servir de justification au peu d’investissement ou à la non-implication du partenaire dans l’organisation des vacances. “Comme mon fils me le rappelait, j’ai toujours travaillé moins [travail rémunéré, ndlr], j’ai donc plus de temps “pour moi””, rapporte Isabelle, 49 ans, mère de deux grands ados et employée à 4/5e temps. “C’est devenu une habitude, j’organise les vacances. Ce n’est pas une charge à proprement parler, mais c’est juste que j’aimerais partager davantage avec mon mari ; il pourrait s’impliquer plus sans mettre en danger son travail.” De là à penser que travaillant plus (à l’extérieur), l’homme est aussi plus fatigué et a donc besoin de plus de repos, ou que, gagnant plus, il mérite aussi plus de repos, le pas se franchit encore dans l’imaginaire collectif patriarcal.

Poids des stéréotypes de genre

“C’est cliché, sourit Marie-Thérèse, 62 ans, mon mari prépare les repas pour notre groupe de cinq couples, les femmes font la vaisselle. En fin de location, les épouses nettoient la maison et les hommes mettent un temps fou à caser les bagages dans les coffres…”

Hommes au barbecue (en extérieur), à la conduite de la voiture, aux questions “techniques”, femmes aux tâches les plus répétitives, les moins créatives : les stéréotypes ont la dent dure. “L’avantage de tout organiser, remarque Céline, c’est que j’ai tout en main, je sais où on va, je fais “à ma sauce” et je programme ce que j’ai envie de faire tout en essayant que tout le monde soit content.” Même si Céline injecte une dose de choix personnel, le bien-être global de la famille ne la quitte pas pour autant : la charge émotionnelle n’est jamais loin.

Et quand les choix s’avèrent peu judicieux ? “Il y a toujours une part d’inconnu, reconnaît Isabelle, j’avais choisi un camping pas top ; les vacances ont été moins chouettes. Du coup, la responsabilité m’en incombe.” 

Et la charge de la santé ? Marie : “On ne va pas manger tous les jours n’importe quoi juste parce que c’est les vacances…” À nouveau portée par les femmes. Enjointes par ailleurs, par leur conjoint, la société, et parfois même par des professionnel·les, journalistes, coachs, psys… à se détendre, à profiter, lâcher du lest, privilégier l’harmonie (c’est les vacances !) : une fameuse culpabilisation secondaire… Les rapports de pouvoir au sein des couples hétérosexuels ne prennent pas de vacances. Ils alourdissent celles des femmes.