Des policières en civil contre le harcèlement sexiste : un dispositif efficace ?

Par N°237 / p. Web • Mars 2021

Pour lutter contre le harcèlement de rue, un nouveau dispositif policier a été créé en Belgique. Décryptage des risques de ce procédé avec l’association Vie Féminine.

CC Isabela Kronemberger/Unsplash

Ces derniers mois, un nouveau dispositif a vu le jour à Liège : des policières habillées en civil se sont promenées dans l’espace public pour permettre de verbaliser les auteurs d’agressions sexistes. Un peu plus d’une trentaine de personnes ont depuis été interpellées et ce procédé fait des émules, par exemple dans les villes de Mons ou de Namur.

Au cœur de ce dispositif se trouve la loi de 2014 contre le sexisme dans l’espace public. Pour rappel, la loi punit d’une peine d’emprisonnement d’un mois à un an et/ou d’une amende de 50 à 1.000 euros l’auteur·e de tout geste ou comportement qui a pour but d’exprimer un mépris à une personne en raison de son sexe, que ce soit dans la rue, au travail, et dans d’autres lieux publics.

Alors que 98 % des femmes déclarent avoir déjà subi une agression sexiste dans l’espace public, cette loi semble difficilement applicable en l’état, notamment parce qu’elle reste trop peu connue et que la charge de la preuve de l’agression repose sur la victime, qui doit filmer les faits à ses risques et périls ou convaincre des témoins de l’accompagner au commissariat pour porter plainte.

L’association Vie Féminine a réagi à ce nouveau dispositif par voie de communiqué. Nous avons interrogé à ce sujet Laetitia Genin, coordinatrice nationale au sein de Vie Féminine.

Quelle est votre position sur ce nouveau dispositif policier ?

Pour nous, il y a plusieurs risques. D’abord, il s’agit uniquement de miser sur le répressif, c’est-à-dire quand le fait a déjà eu lieu, puisque l’idée derrière ce procédé est celui du flagrant délit. Dans la manière dont le dispositif est pensé également, les policières sont amenées à vivre des situations désagréables, voire violentes. C’est le principe de la femme-appât. Cela pose la question de la manière dont sont considérées les policières car elles servent d’appât et ce sont leurs collègues masculins qui marchent à une certaine distance derrière elles qui verbalisent. Il y a une distribution des tâches en fonction du genre.

Dans la manière dont le dispositif est pensé, les policières sont amenées à vivre des situations désagréables, voire violentes.

Enfin, il ne faudrait pas utiliser cette manière de faire à des fins de discriminations raciales ou sociales, en se rendant plus dans certains quartiers par exemple. Il ne faudrait pas utiliser la loi de 2014 de manière stigmatisante, ce qui de toute façon ne refléterait pas la réalité du sexisme, qui est un système de domination des hommes sur les femmes, et non de certains hommes dans certains quartiers seulement. C’est une réalité quotidienne pour les femmes, et partout.
Or, malgré ces risques, nous voyons que le dispositif est médiatisé de manière positive, qu’il y a des projets pour faire pareil dans d’autres villes et qu’il a même reçu deux prix ! Il nous faut donc réagir et interpeller sur ces risques mais aussi sur le caractère insuffisant de la répression.

CC Markus Spiske/Unsplash

Vie Féminine a publié des témoignages de femmes qui parlent du traitement par la police des affaires de harcèlement sexiste dans l’espace public. Ces témoignages montrent que les femmes sont fréquemment remises en question ou que parfois les policiers et policières ne connaissent pas la loi. À les lire, la loi semble difficilement applicable en l’état. Qu’en pensez-vous ?

Oui, plusieurs associations féministes ont interpellé sur le caractère non opérationnel de cette loi, qu’elle n’est pas facilement applicable. On sent désormais une volonté politique de faire appliquer cette loi ; ce qui nous dérange, c’est avec quels moyens. Ces nouveaux dispositifs répressifs ne vont pas faire baisser radicalement les violences sexistes dans les rues. On sait que les policiers en profitent pour faire des rappels à la loi ou discuter avec l’homme interpellé pour essayer de le sensibiliser, ils ne distribuent pas uniquement des amendes. Mais c’est parfois fait maladroitement. Il y a un cas où un policier répond à un jeune garçon pris en flagrant délit de harcèlement sexiste : “Si j’avais dragué ma femme comme cela, je ne serais pas marié”. Dans les mots du policier, il y a confusion entre la drague et le harcèlement, qui est une violence. Il y a un manque de formation des policiers pour pouvoir faire ce travail de sensibilisation sur le terrain. Le dispositif risque de rater son objectif.

Ces nouveaux dispositifs répressifs ne vont pas faire baisser radicalement les violences sexistes dans les rues.

Vie Féminine a pourtant demandé l’adoption de cette loi, non ?

On la réclamait et on n’a pas changé d’avis. On a été enthousiastes après son adoption et nous continuons de dire que la loi doit exister. Elle doit répondre à ses manquements mais il s’agit d’un signal fort que ces violences ne sont plus acceptables dans notre société. Le sexisme est puni par une loi, et même si la définition du sexisme dans la loi laisse à désirer selon nous, le terme apparaît et c’est important. Il manque cependant à cette loi la partie sur la prévention des actes sexistes et la partie sur la protection des victimes, à côté de la répression des auteurs. Il faudrait aussi accompagner cette loi de moyens de communication suffisants pour qu’elle soit connue du grand public mais aussi pour que les personnes qui vont devoir l’utiliser, comme les policiers et les policières, soient formé·es à ce que cette loi raconte pour ne plus confondre de la drague avec une agression sexiste.

Il manque à cette loi la partie sur la prévention des actes sexistes et la partie sur la protection des victimes.

Qu’est-ce que vous répondriez à une femme qui se réjouit de ce nouveau dispositif ?

Que nous non plus, on ne le rejette pas complètement. Cela bouge, cela fait l’objet de discussions, on essaie des choses et c’est très bien. Mais nous ne pouvons pas éviter de porter un regard critique sur les risques de ce dispositif. Je comprends très bien sur quoi se baserait un enthousiasme par rapport à cette annonce : sur le sentiment d’insécurité, sur le fait que les femmes en ont marre de vivre des agressions sexistes dans l’espace public. Les femmes n’investissent pas les rues sereinement. On peut donc se dire que cela va aider, mais avec une lecture critique, on se rend compte que ce n’est pas vraiment le cas. Pour être efficace, il faut vraiment articuler et coordonner les trois champs d’action : le préventif, la protection des victimes et le répressif.

Pourquoi cela n’est-il pas fait ?

Cela rejoint une certaine orientation de la société et notamment la manière dont la vie politique belge est organisée. Les mandats politiques sont courts, il faut du résultat et ce qui va en donner le plus rapidement, c’est parfois la répression. On peut communiquer sur le nombre de PV dressés, etc. C’est beaucoup plus rapide que les effets de la prévention, de la sensibilisation, qui se passent plutôt sur le long terme.