Il est deux heures du matin, ce lundi 26 septembre, quand Giorgia Meloni, dirigeante du parti italien de droite radicale Fratelli d’Italia, se présente sourire aux lèvres devant ses militant·es dans un luxueux hôtel de Rome. Son parti vient de remporter les élections législatives anticipées avec 26 % des voix. Permettant à la coalition des droites – avec La Ligue de Matteo Salvini (autre force d’extrême droite) et Forza Italia de Silvio Berlusconi (une droite plus modérée) – d’être majoritaire au Parlement.
Cette nuit-là, Giorgia Meloni n’exulte pas et son discours est sobre. Pourtant, le moment est historique pour son parti qui avait à peine dépassé les 4 % en 2018. “Pour beaucoup d’entre nous, c’est une nuit d’orgueil et de revanche”, déclare tout de même celle qui a été nommée Première ministre par le président de la République le 22 octobre. Une première pour une femme dans l’histoire du pays.
Un engagement précoce
Peu connue de la presse étrangère il y a encore quelques années, Giorgia Meloni n’est pourtant pas une novice sur la scène politique italienne. Son engagement commence à Rome en 1992, alors qu’elle n’a que 15 ans. Une amie la traîne à une manifestation du Front de la Jeunesse, la branche jeune du Mouvement social italien (MSI), un parti fondé en 1946 par des partisans du dictateur fasciste Benito Mussolini. Conquise par la foule de militant·es, la jeune étudiante s’intéresse de plus près à ce courant politique, raconte-t-elle dans son autobiographie Io sono Giorgia, publiée en 2021.
Peu connue de la presse étrangère il y a encore quelques années, Giorgia Meloni n’est pourtant pas une novice sur la scène politique italienne.
Le 19 juillet 1992, l’assassinat du juge Paolo Borsellino par la mafia sicilienne Cosa Nostra finit par la convaincre de militer. Cet été-là, Giorgia Meloni pousse donc la porte de la section du Front de la Jeunesse de son quartier populaire de Garbatella et y trouve sa “deuxième famille”, confie-t-elle dans son livre.
Très vite, la jeune militante intègre la section Colle Oppio. “Très identitaire, c’est l’une des premières sections à Rome du Front de la Jeunesse”, retrace pour nous David Broder, auteur du livre Les petits-enfants de Mussolini. Le fascisme dans l’Italie contemporaine (à paraître en 2023).
C’est en 2012 que Giorgia Meloni crée Fratelli d’Italia et devient la seule femme à la tête d’un parti politique.
Puis, tout s’accélère pour Giorgia Meloni. En 1998, à 21 ans, elle est élue conseillère provinciale à Rome. Quatre ans plus tard, elle prend la tête du mouvement des jeunes d’Alliance nationale, le parti qui a remplacé le MSI en 1995. À 29 ans, elle est vice-présidente de la Chambre, avant d’être nommée ministre de la Jeunesse en 2008, la plus jeune de l’histoire. Finalement, c’est en 2012, alors que le parti Alliance nationale a été dissous, qu’elle crée Fratelli d’Italia. Et devient la seule femme à la tête d’un parti politique. C’est une femme qui a “le courage, la force et l’envie de défendre ses idées. Qui a su se démarquer”, commente pour axelle Alberto Padovani, conseiller Fratelli d’Italia à Vérone.
Traditions du régime fasciste
Comme Giorgia Meloni, beaucoup de leaders de Fratelli d’Italia n’ont pas connu le régime fasciste (1922-1943) mais sont issu·es du MSI qui en “suit la tradition”, explique Giorgia Bulli, chercheuse en sciences politiques à l’Université de Florence. En 1995, Alliance nationale abandonne officiellement les références idéologiques au fascisme. Mais quelques ambiguïtés persistent. Interviewée en 1996 par la télévision française, Giorgia Meloni, alors âgée de 19 ans, estime que “Mussolini a été un bon politicien”. Encore aujourd’hui, elle se dit fière du symbole de son parti : une flamme aux couleurs du drapeau italien, utilisée dans le passé par le MSI. Toutefois, elle se distancie des leaders trop encombrant·es, comme Calogero Pisano, un candidat en Sicile qui vient d’être suspendu pour des posts Facebook de 2014 dans lesquels il acclamait Adolf Hitler.
Interviewée en 1996 par la télévision française, Giorgia Meloni, alors âgée de 19 ans, estime que “Mussolini a été un bon politicien”.
Consciente de la nécessité stratégique de débarrasser son parti d’une étiquette post-fasciste, la candidate a mené une opération de dédiabolisation pendant la dernière campagne électorale. Dans une vidéo publiée le 10 août, en français, espagnol et anglais, elle assure qu’“il y a plusieurs décennies que la droite italienne a relégué le fascisme à l’Histoire”. Un message qui s’adressait à la presse étrangère, qu’elle accuse de la dépeindre “comme un danger pour la démocratie”. Le 22 septembre, l’hebdomadaire allemand Stern lui consacrait sa une en titrant : “La femme la plus dangereuse d’Europe”. Le jour même, en meeting à Rome, Giorgia Meloni s’en amusait : “Ils disent que je fais peur. Je vous fais peur à vous ?”, demandait-elle à un public conquis.
Les “deux visages” de Meloni
Paradoxalement, avec Giorgia Meloni, la droite radicale a connu un “basculement féminin” qui la rend “plus respectable et plus rassurante”, constate Giorgia Serughetti, chercheuse en philosophie politique. Être une femme serait l’une des clés de son succès, comme cela a été le cas avec Marine Le Pen en France. D’ailleurs, certains éléments de la cheffe du Rassemblement National se retrouvent chez Giorgia Meloni, constate à son tour Giorgia Bulli. Toutes les deux présentent “une image absolument pas agressive, en décalage avec le ton que bien souvent elles utilisent”, explique-t-elle.
Paradoxalement, avec Giorgia Meloni, la droite radicale a connu un “basculement féminin” qui la rend “plus respectable et plus rassurante”.
Pour Giorgia Serughetti, “Giorgia Meloni a deux visages”. D’un côté, celui de la femme moderne, qui a eu une enfant hors mariage. De l’autre, un ultraconservatisme basé sur l’identité italienne et la famille traditionnelle, “naturelle”, fondée sur le mariage, “où les rôles des hommes et des femmes sont bien définis”, continue la chercheuse. Elle a pour devise “Dieu, Patrie, Famille”, rappelant celle du fascisme, même si la cheffe de file le conteste.
Projet politique
Une des obsessions de Giorgia Meloni : que les Italiennes fassent des enfants. Et les dissuader d’avorter. Toutefois, elle assure ne pas vouloir toucher à la loi autorisant l’avortement. Elle n’en aurait d’ailleurs pas besoin : “telle qu’elle est formulée, la loi permet déjà d’y restreindre l’accès”, explique Giorgia Serughetti. En effet, 65 % des gynécologues en Italie refusent de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse au nom de leur morale ou religion.
Dévouée à la famille traditionnelle, Giorgia Meloni rejette le mariage ou encore l’adoption par des couples homosexuels.
Dévouée à la famille traditionnelle, Giorgia Meloni rejette le mariage ou encore l’adoption par des couples homosexuels. À plusieurs reprises, elle s’en est prise à un certain “lobby LGBT” et à “la théorie du genre”, une expression inventée pour décrédibiliser les études de genre et affirmer qu’il n’existe que le sexe “naturel”.
Enfin, sur la question migratoire, sa politique est claire : contrôler le plus possible les frontières. Giorgia Meloni s’oppose aussi farouchement au droit du sol (qui accorde automatiquement la citoyenneté aux personnes nées dans le pays) et au “Ius Scholae” (qui octroie la nationalité aux jeunes étudiant·es né·es en Italie ou arrivé·es avant 12 ans).
Sur la question migratoire, sa politique est claire : contrôler le plus possible les frontières.
L’accès au pouvoir de Giorgia Meloni fait-il pour autant craindre une dérive autoritaire du pays ? Giorgia Serughetti n’y croit pas. “Dans l’immédiat, elle va essayer de rester raisonnable pour conserver cette image plus modérée qu’elle s’est construite auprès des interlocuteurs internationaux”, explique la chercheuse. De plus, l’Italie a “une Constitution solide et des organismes de contrôle”, continue-t-elle. Sans compter la capacité de mobilisation du réseau militant qui, trois jours seulement après les élections, a réuni des dizaines de milliers de personnes à travers le pays pour défendre le droit à l’avortement.
Article mis à jour le 26 octobre 2022