En Allemagne, l’écologiste Annalena Baerbock veut succéder à Angela Merkel

Par N°240 / p. 25-27 • Juin 2021

Son visage encore inconnu pour beaucoup d’électeurs/trices incarnera-t-il bientôt un changement politique radical en Allemagne ? C’est ce que laissent entendre les commentaires enthousiastes et les sondages qui ont suivi l’annonce de la candidature d’Annalena Baerbock, la cheffe du parti vert allemand, le 19 avril dernier, pour la course à la chancellerie. Portrait.

Annalena Baerbock aime se présenter comme une responsable politique qui reste connectée au réel et défend une approche "humaine et empathique". © Jakob Hoff via www.imago-images.de

Annalena Baerbock pourrait succéder à la chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel au pouvoir depuis 2005 à l’issue des élections législatives du 26 septembre prochain. L’émoi suscité par son investiture rappelle une fois de plus la particularité que revêt encore en 2021 l’accession d’une femme aux plus hautes fonctions du pouvoir. Ainsi, les un·es ont ramené Annalena Baerbock à son statut symbole de “femme quota” et de mère de jeunes enfants ; d’autres ont mis en doute sa capacité à mener une campagne électorale avec succès et à maîtriser l’art de gouverner…

Elle tranche… sérieusement

Son profil contraste avec celui des principaux candidats en lice. Âgée de 40 ans, cette juriste et politologue de formation ne possède aucune expérience de gouvernement. En face, ses autres concurrents, le ministre-président de la région allemande la plus peuplée, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Armin Laschet (CDU), et l’actuel ministre fédéral des Finances Olaf Scholz (SPD), ne sont pas seulement des hommes plus âgés, ce sont aussi de vieux loups de la politique qui occupent des postes de premier plan.

Mais la candidature d’Annalena Baerbock est d’autant plus prise au sérieux que son parti est très bien placé pour remporter les élections législatives ou, du moins, pour former une coalition avec un autre parti. Les sondages de début mai classaient Les Verts en première position avec 26,3 % des intentions de vote, devant les unions chrétiennes CDU-CSU qui rassemblaient 23,5 % des voix.

Experte et négociatrice

En réalité, si la jeune femme originaire d’une région rurale en Basse-Saxe a su se faire un nom et percer en quelques années, c’est grâce à sa grande force de travail, son expertise sur les questions climatiques – au cœur du programme des Verts – et à son pragmatisme. Certain·es la comparent d’ailleurs déjà à Angela Merkel en louant ses talents de négociatrice et sa capacité à trouver des compromis. Politisée très jeune, elle a grandi dans une famille de militant·es antinucléaires qui l’emmenaient déjà, petite fille, manifester.

Grande force de travail, expertise sur les questions climatiques et pragmatisme.

En 2005, elle adhère aux Verts et très vite sa carrière s’envole. En 2009, elle devient présidente des Verts dans le Brandebourg, la région qui entoure Berlin. En 2013, elle est élue députée au Bundestag (Parlement) puis, en 2018, elle prend les rênes du parti avec son binôme, le charismatique mais gaffeur Robert Habeck, son aîné de plus de dix ans.

Ancien ministre de l’Environnement et de la Transition énergétique du Schleswig-Holstein (région du nord de l’Allemagne), philosophe, l’homme est alors la coqueluche des médias allemands, qui voient en lui le futur chancelier. Annalena Baerbock ne se laisse pas impressionner et déclare qu’elle ne sera pas “la femme aux côtés de Robert Habeck”. Les mois et années qui suivent lui donnent raison.

Annalena Baerbock, cheffe du parti vert allemand, parle avec la chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel (de dos) lors d’une session du Bundestag (février 2018). © Kay Nietfeld/dpa

La “Realo”, c’est ainsi qu’on nomme les membres de l’aile pragmatique du parti, s’appuie sur sa popularité au sein de la base, développe ses réseaux de soutien et brille par sa connaissance pointue des dossiers, tandis que Robert Habeck apparaît confus à plusieurs reprises. Trois ans plus tard, Robert Habeck n’a plus d’autre choix que de lui laisser le champ libre, d’autant qu’il est important pour un parti comme Les Verts, attaché aux droits des femmes et à la parité, de se choisir enfin, pour la première fois, une candidate.

Des attentes et une nouvelle génération

Son succès, Annalena Baerbock le doit aussi à une communication parfaitement orchestrée et contrôlée. Tantôt, elle met en avant son passé de sportive en se laissant filmer par la télévision sur un trampoline, tantôt elle met en scène son humour dans une série de photos pour un magazine allemand. Elle multiplie les apparitions dans des émissions populaires de débats politiques.

Une communication parfaitement orchestrée et contrôlée.

Son apparence – tout en restant relativement sobre, elle ne dédaigne pas, en comparaison avec la chancelière Angela Merkel, le port de vêtements “féminins et tendance” – contribue, elle aussi, à façonner l’image d’une femme moderne et compétente sans pour autant paraître radicale.

Annalena Baerbock a conscience des attentes que suscite sa candidature, notamment auprès de l’électorat féminin et des mères particulièrement éprouvées après une année de pandémie.

Contrairement à d’autres générations de femmes politiques qui n’avaient pas d’enfants ou, quand c’était le cas, qui passaient ce sujet sous silence (parfois stratégiquement, dans une société encore patriarcale où la maternité représente un frein objectif aux carrières des femmes), Annalena Baerbock aborde ouvertement et régulièrement le défi de la conciliation famille et travail. Dans ce domaine, elle peut, semble-t-il, compter sur son mari, un consultant en relations publiques, qui prend en charge une grande partie des tâches liées à l’éducation de leurs deux petites filles âgées de 9 et 5 ans.

À l’image de la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern ou de la Première ministre finlandaise Sanna Marin, Annalena Baerbock incarne une nouvelle génération de femmes politiques qui ne craint pas de mettre en avant son genre et sa vie de femme tout en proposant un “autre” art de gouverner.

Dans ses discours, et c’était frappant lors de l’annonce de sa candidature, elle aime se présenter comme une responsable politique qui reste connectée au réel et défend une approche “humaine et empathique”. Parmi ses priorités politiques, l’éducation et l’égalité des chances, l’amélioration des conditions de travail des aides-soignant·es et la protection du climat, projet phare du programme électoral des Verts. Pour le reste et notamment en matière de politique européenne, l’écologiste n’a pas encore précisé ses intentions.

Dossiers féministes : à suivre

Elle possède le soutien des voix féministes de son parti.

De même, elle n’a pas évoqué les dossiers féministes lors de son investiture. Chez Les Verts, ses convictions féministes ne font pas débat : “Elle possède le soutien des voix féministes de son parti”, assure Stefanie Lohaus, directrice au sein du groupe de réflexion allemand EAF qui travaille sur les questions de parité et de diversité. Mais les attentes à son égard n’en restent pas moins immenses.

Le quotidien berlinois TAZ a commenté, le jour de son investiture : “Angela Merkel n’a abordé les questions relatives aux femmes que vers la fin de sa carrière, et encore, de manière ponctuelle. En tant que représentante d’une nouvelle et jeune génération de femmes, en tant que féministe, ce en quoi Baerbock s’est présentée de manière tout à fait crédible, la nouvelle chancelière potentielle devra montrer qu’elle agit différemment.”

Au cours des dernières années, Annalena Baerbock a bien évoqué ces sujets, soulignant la nécessité d’avoir enfin plus de femmes au Parlement, l’urgence de mettre en place une véritable loi sur l’égalité des salaires (avec 19 % d’écart en 2019 entre les femmes et les hommes, l’Allemagne se place dans le peloton de queue en Europe), son souhait d’investir davantage dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Mais on ne l’a pas encore entendue parler de politique étrangère féministe, par exemple.

“D’un point de vue stratégique, il faut d’abord qu’elle s’adresse à l’ensemble des électeurs”, décrypte Stefanie Lohaus. Et la recette semble plutôt bien fonctionner jusqu’à présent. Mais comme on le dit en allemand, le diable se niche souvent dans les détails. L’entrée dans la phase concrète de la campagne électorale permettra d’en savoir plus sur ses positions. Ce qui ne sera pas sans risques pour la candidate et sa courbe de popularité.