Halimata Fofana : “L’excision existe encore, parce qu’on n’en parle pas”

Par N°252 / p. WEB • Mai-juin 2023

Fin mai, le GAMS Belgique (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines) a lancé une campagne nationale de prévention de l’excision avant les départs en vacances – un moment de risque pour les filles concernées. Les nombreuses rencontres organisées par l’asbl ont été l’occasion de porter la lutte contre les mutilations génitales féminines dans l’espace public. Car le tabou fait des ravages : Halimata Fofana, autrice et marraine de cette campagne, milite pour la libération de la parole autour de l’excision. Elle et Fabienne Richard, directrice du GAMS Belgique, nous parlent de leur engagement.

© Olivier David

Halimata Fofana est française, d’origine sénégalaise. Elle travaille comme éducatrice à la Protection judiciaire de la jeunesse d’Évry et publie en 2015 son premier roman Mariama, l’écorchée vive (Karthala) dans lequel elle met des mots sur l’excision dont elle a été victime à l’âge de 5 ans, lors d’un voyage au Sénégal. En 2022, elle signe son deuxième roman, mi-fictif mi-autobiographique, À l’ombre de la cité Rimbaud (Éditions du Rocher) et réalise la même année le film documentaire, À nos corps excisés, sur Arte. Autrice, réalisatrice et oratrice aux mots flamboyants, Halimata Fofana s’engage aux côtés du GAMS Belgique et de Fabienne Richard, sage-femme et directrice de l’association.

“Ça se passe sous nos yeux”

Halimata Fofana parle de la publication de son premier livre comme d’une déflagration : “Des gens avec qui j’ai grandi n’en revenaient pas. Une prof m’a un jour écrit pour me demander pardon parce qu’elle n’avait pas vu, et qu’elle, comme d’autres, était à mille lieux d’imaginer qu’il y avait des jeunes filles dans sa classe qui avaient subi une excision. Certaines personnes me disent : “Ah, ça existe encore l’excision ? “Oui, ça existe encore, malheureusement.”

Certaines personnes me disent : “Ah, ça existe encore l’excision ? “Oui, ça existe encore, malheureusement.

Selon elle, “il faut que les gens sachent ce qu’est l’excision, qu’ils arrêtent de penser que ça ne se passe que loin, en Afrique, que ça ne les concerne pas. Les victimes sont des citoyennes françaises, belges ou canadiennes, et il est temps que ça soit dit comme ça dans les médias.”

En Belgique, rappelle Fabienne Richard, on estime à 23.000 le nombre de femmes excisées et à 12.000 le nombre de petites filles qui risquent de l’être (IEFH, 2022). Là se trouve aussi le cœur de la campagne du GAMS Belgique : faire de la sensibilisation et de la prévention avant les vacances. Parce que des petites filles, nées à Liège ou à Bruxelles, partent en vacances dans leurs villes et villages d’origine et peuvent courir le risque d’y être excisées à la demande de personnes de leur famille.

L’excision est en effet une norme sociale très contraignante. Dans les communautés où elle est pratiquée, les filles non excisées, qu’elles vivent directement sur le sol ou qu’elles soient issues de la diaspora, peuvent subir, de même que leur famille, de nombreuses formes de pression et d’exclusion sociale. Comme le pointe la directrice du GAMS Belgique, malgré la distance, “ça se passe sous nos yeux”.

Moi, j’en suis persuadée, si elle se pratique ailleurs en Europe, pourquoi ne le serait-elle pas en Belgique ?

Mais l’excision se pratique aussi ici, c’est une réalité. Ainsi que l’explique Fabienne Richard, “certes, elle est interdite, mais les gens détournent la loi. Nous recevons beaucoup de témoignages. Si actuellement en Belgique il n’y a pas eu de condamnation comme c’est le cas en France, en Angleterre ou en Hollande, je dis toujours que ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’excision sur le sol belge. Moi, j’en suis persuadée, si elle se pratique ailleurs en Europe, pourquoi ne le serait-elle pas ici ?”

“Le combat commence par les mots”

Pour Halimata Fofana, avoir posé des mots et fait l’exercice de l’écriture, ça a été un point de bascule : une façon de guérir son corps et de se libérer d’un silence et d’une souffrance qu’elle vivait seule. “L’excision existe encore, parce qu’on n’en parle pas. Et tant que c’est le cas, cela se répétera. Il va falloir briser le silence, propre d’ailleurs à toutes les violences faites aux filles et aux femmes, et c’est là que les choses pourront commencer à changer”, partage l’autrice.

Dans son documentaire, elle fait le tour de problématiques corollaires à l’excision (enjeux d’identité et de culture, de transmission, mariages forcés…) et montre comment l’ensemble fait système et participe à fabriquer le silence dans lequel les femmes excisées sont maintenues.

“Affronter le tabou est une vraie épreuve, explique Halimata Fofana, c’est aller à l’encontre d’une manière de penser et à l’encontre d’une éducation qui les enjoint à rester dans ce schéma de répétition. C’est un vrai et long travail sur soi.” En témoigne le cheminement de sa mère que l’on entend dans le film. Au début, lorsque Halimata Fofana prononce devant elle le mot “excision”, elle lui répond de ne surtout pas prononcer ce terme, mais elle finit par dénoncer la pratique et par vouloir en protéger des petites filles.

Affronter le tabou est une vraie épreuve… C’est un vrai et long travail sur soi.

Pour les deux femmes, sensibiliser est une priorité qui commence donc par les mots. “Nous devons dire “excision” et y entendre “violence” d’autant plus que, trop souvent, on y entend “fait culturel”. L’excision est une violence. Faite aux filles, faite aux femmes. On ne peut faire abstraction du fait que c’est une violence au nom de la culture. La culture ne peut servir d’excuse pour fermer les yeux”, insiste Fabienne Richard.

Ainsi, le travail d’une association comme le GAMS Belgique permet aux femmes et aux familles concernées – y compris aux hommes – d’accéder à des espaces où s’informer, échanger, poser des mots, comprendre, être accompagnées dans ce processus. Halimata Fofana mesure quant à elle l’ampleur de l’impact de sa parole publique : si tant de femmes lui écrivent et osent lui raconter leur excision, c’est parce qu’elles ont vécu la même chose. Quand une porte est ouverte, que les victimes savent qu’elles pourront être entendues sans être jugées, alors leur parole se libère.

“Une responsabilité politique”

Pour Halimata Fofana, il est fondamental de penser plus largement les corps des femmes comme politiques : “Nous exciser, c’est contrôler nos corps. Il est alors évident qu’un engagement politique est nécessaire.” Les deux militantes sont sans équivoque : il faut voir le problème d’un point de vue global. Il est indispensable, selon elles, de former et d’informer toutes les sphères de la société… et, par exemple, que soit considéré comme une faute médicale le fait qu’un·e professionnel·le de la santé dise “Je n’ai pas osé en parler” et n’accompagne ni n’ouvre le dialogue avec sa patiente, comme Fabienne Richard explique que c’est souvent le cas.

Nous exciser, c’est contrôler nos corps. Il est alors évident qu’un engagement politique est nécessaire.

La directrice du GAMS Belgique le dit sans détour : “La société civile, nous, on fait notre job. Mais il faut un engagement de l’État.” Elle explique : “Lors des nombreuses formations qu’on donne, on dit toujours qu’on veut que chaque petite fille qui part en voyage [dans une zone géographique concernée, ndlr] ait un entretien médical pour évaluer le risque d’excision, pour discuter avec les parents et leur faire signer un engagement sur l’honneur de connaissance du droit belge – qui les rend condamnables si leur fille revient de l’étranger excisée.”

Les nombreux outils et procédures créées par le milieu associatif sont vues comme des “bonnes pratiques” mais ne sont jamais systématisées, déplore Fabienne Richard, car leur application dépend du bon vouloir des professionnel·les. Les deux militantes appellent donc le niveau politique à s’engager avec elles, aux côtés des réseaux associatifs.

Comme le revendique haut et fort Halimata Fofana, “la liberté s’acquiert par la connaissance”. Et pour que personne ne puisse plus dire que sur le corps des femmes se voit “la trace de l’ignorance”.

Pour contacter le GAMS Belgique

https://gams.be ou 02 219 43 40. Adresse : 6, rue Gabrielle Petit, 1080 Molenbeek-Saint-Jean.