Un moment historique : SECAL, le plafond est brisé !

Par N°230 / p. WEB • Juin 2020

La suppression du plafond de revenus pour l’accès au SECAL a été votée ce mercredi 17 juin en commission des finances de la Chambre. Un pas, un grand, dans ce dossier porté de longue date par de nombreux mouvements féminins et féministes et d’autres, comme la Ligue des familles ou Le Gezinsbond. Retour sur un long combat. Et points d’attention pour l’avenir.

CC Thiago Cerqueira / Unsplash

Enfin ! Avec ce vote pour la suppression du plafond de revenus pour y avoir accès, le SECAL devient un service universel, comme c’était prévu dans la loi qui l’a créé en 2003. Le moment est historique pour les femmes et pour les militant·es qui portent ce combat vieux d’un demi-siècle.

Deux heures après le vote, Hafida Bachir, secrétaire politique de Vie Féminine, ne cache pas son émotion : “Quand je vois tous les visages qu’il y a derrière cette avancée, toutes les femmes qui n’arrivaient pas à joindre les deux bouts, c’est énorme. Nous avons mis nos énergies sur le fait qu’il s’agit d’un droit, point à la ligne. Le législateur respecte enfin une loi votée en 2003… C’est très émouvant de voir que ce combat porte ses fruits.”

S’il s’agit d’une victoire pour toute la société, les femmes sont en effet particulièrement concernées : d’après les chiffres du SECAL, les démarches entamées pour recouvrir des pensions alimentaires impayées sont entamées à 95 pour cent par des femmes.

Le droit, enfin respecté

Le SECAL, pour Service des créances alimentaires, un service du SPF Finances, permet de verser des avances sur les pensions alimentaires impayées et d’aller récupérer l’argent auprès du débiteur, suite à une décision de tribunal ou une autre décision à portée équivalente.

“Dorénavant, tous les enfants verront leur droit respecté quant à l’obligation pour les deux parents de les entretenir selon leur capacité financière. À partir du moment où une décision judiciaire a été prise, la pension alimentaire est un droit pour tout enfant, quels que soient les revenus de la personne qui en a la charge principale”, avait déjà communiqué la Plateforme Créances alimentaires – qui regroupe les associations engagées sur ce dossier – après le vote de l’amendement en mai dernier, anticipant ce second vote.

Nous constatons avec joie que des parlementaires se sont saisis de cette question.

Une victoire pour les mouvements de femmes qui défendent ce droit depuis près de 50 ans. Et qui ont, durant le confinement, inlassablement retapé sur le clou. “On a réappuyé notre demande en alertant sur le risque d’absence ou de baisse de revenus à cause de l’arrêt de l’activité économique. Si nous déplorons le désintérêt du gouvernement fédéral pour les droits des femmes, nous constatons avec joie que des parlementaires se sont saisis de cette question”, explique Hafida Bachir.

Une année cruciale

En mai dernier, la commission des Finances approuvait un amendement PS à un projet de loi qui supprimait le plafond de revenus. L’autrice de l’amendement, Sophie Thémont, expliquait  : “De nombreuses familles, essentiellement des femmes avec enfants, sont plongées dans la précarité et celle-ci tend à s’accentuer lorsque des créances alimentaires ne sont pas payées. La crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui impacte d’autant plus durement ces familles monoparentales. Selon la Ligue des familles, plus de huit familles monoparentales sur dix ont de plus en plus de mal à boucler leurs fins de mois. Dès lors, le rôle du SECAL, fondamental en tout temps, est encore plus essentiel en cette période qui plonge de nombreuses familles monoparentales dans la précarité.”

La suppression du plafond était déjà dans l’air l’an dernier, juste avant les élections – et figurait parmi les revendications pré-électorales d’associations féministes de terrain : on découvrait, en épluchant les programmes politiques, que du MR au PTB en passant par DéFI, tous les partis francophones (sauf Ecolo, qui soutient la mesure sans l’avoir inscrite dans son programme, et le CdH) proposaient une suppression complète du plafond. Celui-ci avait été relevé à 2.200 euros en fin de législature – il était auparavant fixé à 1.800 euros, un plafond estimé “stigmatisant et arbitraire” par Vie Féminine, qui avait lancé une pétition exigeant sa suppression.

 5 lettres… et presque 50 ans de combat

Tout commence en 1973  lorsqu’un groupe de femmes de Vie Féminine suggère de mettre en place un système de “caisse de compensation” pour régler le problème des pensions alimentaires non payées ou payées de façon irrégulière. Ces non-paiements plongent en effet les femmes “dans une misère noire”, se souvient Marie-Thérèse Coenen, alors membre du Comité  de  Liaison  des  Femmes et de la Plateforme créances alimentaires. La sénatrice PSC Huberte Hanquet (décédée en 2018), pionnière dans la défense des familles monoparentales, fait alors une proposition de loi demandant la création d’un Office national de créances alimentaires. Mais l’attente sera longue…

Vie Féminine, les Femmes Prévoyantes Socialistes, le CFFB et de nombreuses autres organisations de femmes intègrent le sujet dans tous les mémorandums qu’elles envoient aux gouvernements successifs. Rien de concret ne se met en place.

La Marche Mondiale des Femmes de l’an 2000 est l’occasion de faire entendre à tous les niveaux politiques la revendication d’un service universel des créances alimentaires. Suivent plusieurs va-et-vient et reports de vote d’une loi de plus grande ampleur. Dont un blocage, en 2002, par le sp.a Johan Vande Lanotte, alors ministre du Budget : il pointe les “risques d’abus”

Finalement, 30 ans après les premières mobilisations, le 21 février 2003, est votée la loi fixant la création du Service des créances alimentaires. À l’époque, axelle a d’ailleurs marqué le coup  en publiant une série d’articles engagés relatant le combat des femmes à l’origine de cette loi.

Mais le service des avances ne devient vraiment effectif que le 1er octobre 2005, date à laquelle il commence à avancer les créances alimentaires impayées… Toutefois, avec un plafond d’accès, et uniquement pour les enfants, alors que les mouvements féministes demandaient aussi son accès pour les femmes afin de “compenser” un différentiel de revenus à la suite de la séparation, dans un contexte d’inégalités structurelles en défaveur des femmes.

Un droit universel et automatique

Depuis, les mouvements féministes n’ont pas cessé leur combat pour améliorer le SECAL. Avec, en ligne de mire, la suppression du plafond d’accès. Ce plafond, estiment les féministes, a été fixé de manière arbitraire, sans tenir compte du seuil de pauvreté, des frais de logement, de la situation particulière des familles monoparentales, etc.

Nous avons toujours défendu le SECAL comme un droit. Il n’est donc pas question de lier ce droit à un état de besoin ou à une enquête sur les revenus.

“Nous avons toujours été en présence de deux logiques dans le SECAL, nous explique Marie-Thérèse Coenen. La logique du droit, et donc une obligation irrémédiable pour les parents de payer une contribution alimentaire, de prendre leur responsabilité parentale. La deuxième logique est celle de la lutte contre la précarité et la pauvreté infantile. Dans cette logique, il s’agit d’une aide sociale, liée à des conditions de revenus. Mais nous avons toujours défendu le SECAL comme un droit. Il n’est donc pas question de lier ce droit à  un état de besoin ou à  une enquête sur les revenus. À l’État de respecter le droit. Il doit aller à la source. Si le paiement n’est pas fait, l’État passe le prendre. Si la personne est insolvable, c’est l’État qui verra comment régler l’insolvabilité.”

“On s’est battues pour un service universel pour tous les ayants droit  et pour une automaticité de ce droit afin d’endiguer le non-recours”, rappelle Hafida Bachir. En effet, de nombreuses femmes ne recourent pas au SECAL par peur de représailles ou de chantage de l’ex-conjoint.

“Aujourd’hui, les personnes qui introduisent un dossier ont des difficultés pour percevoir les créances suite à un conflit avec l’ex-conjoint, continue Hafida Bachir. Nous plaidons pour un service universel de créances alimentaires, qui prenne en compte toutes les créances alimentaires de façon automatique dès qu’elles sont fixées dans une décision de Justice. Il n’y aurait plus de liens entre les ex-conjoints. Le débiteur verserait la somme à payer directement au Fonds universel des créances alimentaires, qui payerait en retour le créancier d’aliment. Cela permettrait de rendre plus effectif le paiement des pensions alimentaires, d’aller vers davantage de neutralité des relations entre les ex-conjoints, ainsi que de résoudre les difficultés financières que rencontre actuellement le SECAL.”

Marie-Thérèse Coenen ajoute : “Jusqu’à aujourd’hui, des personnes [les débiteurs d’aliments, ndlr] ne savent pas payer, les caisses du SECAL sont vides, c’est une spirale sans fin.” Et cela participe aussi au non-recours : l’insolvabilité – réelle ou non – des débiteurs, comme le dénoncent des mères, peut décourager les personnes concernées à avoir recours au SECAL…

Enfin, ainsi que le pointe Hafida Bachir, la suppression du plafond vient enlever le poids de la stigmatisation qui pesait sur les femmes, sommées de prouver qu’elles se trouvaient dans le besoin. Le plafond pénalisait aussi les travailleuses à temps plein qui, parfois, doivent choisir entre leur emploi et leur droit à la pension alimentaire.

Le nerf du SECAL

Reste que cette suppression du plafond ne viendra pas tout régler d’un coup de baguette magique. Encore faut-il que les femmes soient informées de l’existence du SECAL et décident d’y avoir recours. “C’est un vrai problème, constate Marie-Thérèse Coenen, les femmes ne demandent plus l’aide alimentaire. L’enfant grandit donc sans droit, et pire, en confondant droit et cadeau…”

Selon les chiffres fournis par le SECAL, les demandes ont d’ailleurs baissé : on est passé entre  2014  et 2019 de 3.692 dossiers introduits à 2.479. Et de 3.762 à 2.479 entre 2018 et 2019 ! Avec de fortes différences régionales : 1.420 en Flandre, 937 en Wallonie et 392 à Bruxelles.

Il faudra aussi que le SECAL soit financé. D’autant que l’impact budgétaire de la suppression du plafond est estimé à 16 millions d’euros. “Ce service est en déficit chronique. La Cour des comptes alerte chaque année sur la nécessité d’un refinancement. C’est sous l’autorité du ministre des Finances et cela témoigne d’une mauvaise gestion”, explique Hafida Bachir.

La Plateforme Créances alimentaires a donc encore du pain sur la planche. D’autant qu’elle demande aussi une augmentation du montant des avances sur les contributions alimentaires (plafonnées à 175 euros par enfant), l’extension de celles-ci aux frais extraordinaires ainsi que la mise en place de mesures complémentaires pour lutter contre le non-paiement.