La rectrice de l’ULiège, seule dans la tempête ?

Suite à tous les témoignages et constats présentés dans notre article “Les étudiantes de l’ULiège s’arment face au sexisme”, nous étions impatientes de rencontrer celle qui va incarner le changement attendu par les étudiant·es. Anne-Sophie Nyssen nous a octroyé une longue entrevue, dans son futur ex-bureau de vice-rectrice au bien-être.

Anne-Sophie Nyssen © Quena SCS

 

Qu’est-ce que la campagne #Respect ?

“Elle a été lancée en 2019. C’est une campagne de lutte contre toutes les discriminations. Lorsque je suis devenue vice-rectrice au bien-être, il m’est apparu essentiel de travailler sur ces questions. Nous étions un peu après #MeToo, toutefois je ne voulais pas m’attaquer qu’aux violences faites aux femmes, mais à toutes les discriminations. Nous sommes plus efficaces si nous avançons sur toutes les formes plutôt que sur un seul type. L’ensemble de la communauté peut davantage porter le changement de culture que je souhaite mettre en place. Nous avons donc voulu travailler sur le racisme, le sexisme, les stéréotypes, le harcèlement et d’autres formes de discriminations qui existent à l’université, comme partout ailleurs.”

Vous avez présenté le “plan genre” pour l’Université de Liège. Il s’applique au personnel, mais aussi aux étudiant·es ?

“Oui, ce plan inclut les membres du personnel de l’université mais aussi les étudiant·es. Il a été mis en place dans la foulée de la campagne. Il a été élaboré par tous les membres de l’institution qui voulaient travailler sur ces questions. Avec mon entrée en fonction, il sera renforcé. Parmi les actions phares, le soutien à la parentalité est une priorité. Une crèche sera bientôt accessible aux étudiant·es et au personnel.

Avant le Covid, nous avions des rendez-vous réguliers avec des groupes d’étudiant·es qui voulaient avancer sur plusieurs dossiers, notamment le consentement. En mars dernier, nous avons mis en place les ateliers slam autour du thème du consentement. L’idée était d’aider les étudiant·es à parler sur les sujets des violences. La démarche artistique proposée par L-Slam [collectif féministe de slameuses, voir axelle n° 246, ndlr] nous semblait être un bon vecteur pour verbaliser ce que certain·es vivent. Je suis évidemment à l’écoute d’autres thématiques qu’ils et elles souhaitent aborder.”

Très peu de plaintes sont déposées pour l’instant au sein des structures académiques (l’ULiège reçoit en moyenne 7 à 8 dossiers par an). Ne pensez-vous pas qu’il faudrait réfléchir à créer une structure de prise en charge différente ? Peut-être avec les cercles étudiants ?

“Les affaires étudiantes travaillent déjà beaucoup avec d’autres étudiants. Cela peut certainement être renforcé et amélioré, évidemment. Parmi les pistes, il y a aussi la création d’une cellule de médiateurs/stewards référents dans chaque faculté. Nous avons par ailleurs mis en place un numéro spécial d’écoute et de conseils [le 0800 35 200, ndlr]. Tous ces outils sont nécessaires pour une meilleure prise en charge.

Nous avons par ailleurs mis en place un numéro spécial d’écoute et de conseils.

Je pense qu’il faut aussi prendre le temps d’analyser les faits, c’est fondamental. Quand les faits sont reconnus, des mesures doivent être prises – disciplinaires, mais aussi créatives. Les procédures disciplinaires sont lourdes à mettre en place, mais nous le faisons. Mais nous avons d’autres mesures correctrices qui peuvent être tout à fait envisagées, avec l’accord des deux parties. C’est souvent de la médiation.

L’une des difficultés que nous rencontrons, c’est aussi la communication. Parfois, nous avons péché par manque de communication. Il arrive que les victimes demandent l’anonymat et/ou la discrétion, et c’est primordial de respecter leur volonté. Mais il faut tout de même trouver le moyen de dire quand l’université a réagi suite à un fait de violence ou de harcèlement.”

Lorsqu’un professeur publie des propos sexistes sur les réseaux sociaux, comment doit réagir l’université ?

“Il y a des situations très claires qui sont punies par la loi. Si ce post rentre dans ce cas, la question ne se pose pas. Mais c’est vrai que souvent, ces posts sont mis sur les réseaux sociaux du professeur, et là, c’est compliqué pour nous. Mais nous allons tout de même mettre en place un cadre. Ce cadre permettra de clarifier ou d’expliciter nos recommandations par rapport à la prise de parole. Il y a évidemment la liberté individuelle et elle doit être respectée mais nous aimerions que, si ce genre de communication doit avoir lieu, l’auteur indique clairement qu’il s’exprime en son nom propre et pas au nom de l’institution. La liberté d’expression est essentielle pour moi mais, à force de ne donner aucun cadre, on ne donne aucune balise.”

Quelles sont les autres priorités de l’ULiège ?

“Nous n’avons que 26 % de femmes chargées de cours. Une grande priorité est d’améliorer l’équilibre, un travail déjà en route. Nous avons lancé différentes formations avec les administrations. Il faut que toutes les personnes qui siègent dans les commissions de sélection et de promotion soient formées au biais de genre. L’idée est de construire un comité genre reconnu qui va nous aider à avoir des réflexions sur ces thématiques-là. Une réflexion pourrait se faire pour intégrer de manière transversale la question de genre dans les cours : journalisme, droit, sciences politiques…”

Où en est l’ULG sur les dossiers #BalanceTonFolklore et #BalanceTonBar ?

“En janvier, nous avons participé à l’enquête européenne l’UniSAFE qui vise à mieux comprendre la prévalence des violences sexuelles et sexistes au sein des universités. Les données récoltées aideront à la mise en place d’outils concrets pour y mettre fin. Participer à cette enquête, c’est déjà une position forte : jamais de telles questions n’avaient été posées à l’université. Nous allons donc bientôt recevoir les conclusions. Nous pourrons les comparer à d’autres universités, voir où nous nous situons. L’objectif est aussi d’échanger les bonnes pratiques.”

Selon certains témoignages que nous avons obtenus, les femmes et les personnes racisées seraient souvent absentes des cours donnés à l’ULiège. Vous êtes consciente de ce problème ?

“Le problème, c’est que cela relève de la liberté académique. Donc… c’est compliqué. Mais mon objectif, c’est un changement de culture. Nous avons un phénomène de contamination positive au sein des étudiant·es, mais aussi des profs. C’est à nous de montrer le bon exemple. Et la formation est nécessaire.”

Qu’en est-il de La Basoche, ce cercle de droit qui a posé de nombreux soucis ces dernières années ?

“La faculté de droit a eu un geste très fort, elle a décidé de leur retirer leur local. Il y a eu effectivement plusieurs problèmes et plusieurs plaintes. La faculté a eu le courage de se positionner. Cela montre la détermination de l’université.”

Autre dossier “embêtant” pour l’ULiège, les témoignages de ce qu’il se passe à la faculté Agro-Bio-Tech de Gembloux. Une page Instagram a été créée pour aider les victimes à libérer la parole. Que comptez-vous faire ?

“Une enquête a été réalisée par des étudiant·es sur les réseaux sociaux l’an dernier. Le doyen avait été mis au courant et m’a envoyé leurs conclusions. Le souci, c’est la crédibilité de ce type d’enquête. Nous allons en tenir compte et agir, mais nous ne pouvons pas publier cette enquête comme s’il s’agissait de chiffres officiels et vérifiés. Nous n’avons aucune info sur la manière dont elle a été réalisée. Donc c’est délicat pour nous.”

Cette enquête ne relève-t-elle de la responsabilité de l’université ?

“Nous le ferons si une plainte est déposée officiellement. Nous avons envoyé une référente sur ces questions à Gembloux et un travail a lieu, en ce moment encore, sur le renforcement de la sensibilisation sur le site.”