Les étudiantes de l’ULiège s’arment face au sexisme

Des profs qui utilisent parfois des mots ou stéréotypes sexistes, des étudiant·es qui changent de cours pour éviter des violences psychologiques, un cercle qui humilie et violente des condisciples… Voilà ce qui attend Anne-Sophie Nyssen, nouvelle rectrice de l’ULiège. Première femme élue à ce poste, l’ex-vice-rectrice au bien-être aura fort à faire pour redresser la barre et faire de l’Université de Liège un lieu de progressisme et de tolérance sur les questions de genre, de lutte contre le racisme et les violences. Plongée en Cité ardente à la rencontre des actrices de terrain et de témoins.

Une agente Gembloux Agro-Bio Tech (l’une des 11 facultés de l’Université de Liège) revêt une combinaison protectrice pour s’attaquer à un nid de frelons asiatiques. © Belpress

Un gros bâtiment gris au centre de Liège, entouré d’immeubles d’habitation, du Théâtre de Liège et de la Grand Poste. Un bâtiment qui a vécu et que l’on tente de camoufler avec quelques beaux graffitis et des terrasses de petits lieux étudiants branchés. Bienvenue à l’ULiège, sur l’un des quatre sites du campus.

Ces 10 et 11 mai a eu lieu le second tour de l’élection au poste de “recteur” de l’institution académique qui compte plus de 26.000 étudiant·es. C’est pour la première fois, en 200 ans d’existence de l’université, une femme, Anne-Sophie Nyssen, qui a été élue par les étudiant·es (votant·es minoritaires) et le corps professoral et académique de l’université liégeoise. De nombreux défis attendent l’institution. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles en fait partie ; Anne-Sophie Nyssen nous en parle dans cet article.

Amanda et Sidonie

Pour écrire cet article, nous avons passé un appel à témoins sur d’éventuelles violences sexistes ou d’autres types de violences au sein de l’université. Plusieurs étudiant·es et ex-étudiant·es nous ont répondu. Nous publions les témoignages de deux ex-étudiantes ; elles ont demandé à prendre un prénom d’emprunt.

La première est Amanda. Il y a quelques années, lors d’un examen oral, un professeur lui a tenu des propos validistes : “Lors de mon examen oral, mon professeur me fait remarquer que je suis très tendue. Je lui réponds alors que je suis une étudiante en situation de handicap.” Le professeur lui aurait alors répondu : “Le statut d’étudiant en situation de handicap, on peut le donner à tout le monde aujourd’hui, quand je vois qu’il y a des étudiants qui ont de simples “dys” [troubles de l’apprentissage, ndlr] qui obtiennent ce statut. Ce sont des privilèges, alors qu’ils savent très bien dans quoi ils s’engagent en venant à l’unif…” Amanda, choquée, lui répond qu’elle-même est autiste. “Là, son comportement a changé et il m’a dit : “Ah, mais ça, ça va, alors.”” Un échange qui s’avère particulièrement heurtant pour Amanda : “J’ai dû me battre pour pouvoir aller dans l’enseignement supérieur et arriver là où j’en étais.” Amanda a donc décidé de quitter le cours de ce professeur, même s’il l’intéressait beaucoup.

Je vois que certains hommes, que nous avions dénoncés à l’époque, signent des cartes blanches dans les médias ou sur les réseaux pour lutter contre les violences et le sexisme… C’est hallucinant !

Quant à Sidonie, ancienne doctorante de l’Université de Liège, elle raconte avoir été victime de mépris et témoin de remarques sexistes à plusieurs reprises de la part de certains professeurs de l’université. “Je sais aussi qu’il y a déjà eu des agressions sexuelles ou du harcèlement.” Sidonie estime qu’une “culture sexiste” se perpétue au sein de l’institution. “Beaucoup de profs se permettent de draguer des étudiantes. Certaines acceptent d’avoir des relations avec eux. Ce sont des relations consenties entre deux adultes, bien entendu, mais ça met une drôle d’ambiance au sein de la faculté. Il y a aussi parfois des conflits d’intérêts flagrants. Certaines étudiantes sont parfois en couple avec le professeur censé juger leur thèse…  Et puis il n’y a déjà pas beaucoup de femmes qui donnent cours, mais il n’y a jamais non plus aucune femme invitée lors des grandes conférences de l’université.” Cette absence avait effectivement déjà été dénoncée par le collectif féministe La Barbe ; en 2019, elles montent même sur scène pour une action éclair.

Sidonie et quelques autres étudiantes avaient alors décidé d’alerter, en interne, sur le sexisme ambiant, au manque de femmes et de diversité. Leur mail provoque des remous au sein de la communauté de l’ULiège ; Sidonie et les autres signataires espèrent alors un changement. Mais aujourd’hui, selon Sidonie, rien ou presque n’a changé. “Je vois aussi que certains hommes, que nous avions dénoncés à l’époque, signent des cartes blanches dans les médias ou sur les réseaux pour lutter contre les violences et le sexisme… C’est hallucinant !”

Un cercle sexiste et violent

Pour mieux comprendre cette “culture sexiste” dénoncée par Sidonie, nous nous sommes intéressées à un cercle en particulier : “La Basoche”. Un cercle d’étudiants en droit, très récemment  (2020 ou 2021, selon nos informations) ouvert aux femmes. Il est fréquenté par des hommes dont certains sont aujourd’hui professeurs (ou ex-professeurs), ou membres éminents du barreau liégeois, et a été plusieurs fois accusé de couvrir des comportements sexistes, voire des agressions. Deux exemples concrets : un “journal” édité depuis au moins 1996 établit un classement des étudiant·es (“la plus moche”, “le plus con”…). En 2016, après un article du magazine Le P’Tit Toré (depuis retiré du site), une tempête médiatique force les autorités universitaires à réagir : elles condamnent cette publication et annoncent son interdiction… En 2022, le journal existe toujours.

Autre exemple : en novembre 2021, sur son mur Facebook, une jeune femme expliquera avoir été victime d’une agression lors d’une soirée du cercle. Face au tollé sur les réseaux sociaux, et après un nombre important de nouvelles plaintes, la faculté de droit prive le cercle de local.

Encercler le machisme

“Nous pensons qu’il aurait fallu dissoudre cet ordre, tout simplement”, estime le cercle féministe. Les deux femmes qui ont accepté de répondre à nos questions pour cette enquête s’expriment en tant que “cercle féministe”, non pas individuellement : elles sont toujours au sein de l’université et veulent se protéger.

Le cercle a été créé en 2017. “Au départ, il s’agissait d’un très petit groupe et, depuis un an, on s’élargit, on veut proposer des activités de sensibilisation aux étudiant·es et travailler avec l’université… Même si, pour l’instant, nous n’avons pas été sollicitées. Nous nous revendiquons d’un féminisme intersectionnel et nous aimerions donc travailler avec d’autres cercles : LGBTQIA+, les étudiant·es racisé·es, etc.”

Cette volonté est d’autant plus forte qu’elles pointent aussi, comme nos témoins, des problèmes profonds. “L’ULiège est un bastion patriarcal. Tous nos profs ou presque sont des hommes. Nous entendons des propos sexistes régulièrement, nous n’étudions que des hommes en cours ou presque. Nous apprenons même, dans certains cours, des théories masculinistes… Aucun·e théoricien·ne noir·e ou racisé·e n’est enseigné·e, ou presque. La diversité n’existe pas. Lors des cours, on constate aussi que les garçons ont beaucoup plus de temps de parole que les femmes, il n’y a rien qui est concrètement mis en place pour l’éviter, aucune prise de conscience.”

Tous nos profs ou presque sont des hommes. Nous entendons des propos sexistes régulièrement, nous n’étudions que des hommes en cours ou presque.

Aucune prise de conscience, pire, des attaques lorsqu’elles dénoncent ce qu’elles constatent : “Nous avons beaucoup de colère et de frustrations au quotidien. On ne se sent pas soutenues, même parfois par les autres étudiant·es, qui sont influencé·es par l’état d’esprit des professeurs et de l’environnement dans lequel on vit. On a peur aussi. On n’ose pas toujours parler, on sait que des étudiant·es ont été victimes de retombées négatives après la dénonciation de certains faits. Quelques professeurs nous soutiennent. C’est rare mais ça suffit pour donner beaucoup de force et de courage. Et puis les victimes qui nous contactent comptent sur nous. Ça nous motive aussi.”

De l’espoir

“Dans ce contexte, ajoute le cercle féministe, on comprend que les étudiantes, quand elles ont un problème, ne s’adressent pas à l’université mais balancent sur les réseaux sociaux ou viennent nous parler. Nous constatons qu’il n’y a pas ou peu de plaintes pour violence au sein de l’université, alors qu’on sait qu’il y a des agressions. Nous avons donc demandé à être l’intermédiaire entre l’université et les victimes. Ça sera peut-être plus facile pour elles de nous parler à nous. D’autant plus que nous avons appris que, dans certains cas, l’université propose une “médiation” avec l’agresseur. Cela veut dire qu’on propose à la victime de discuter avec son agresseur ! Ça ne va pas.”

Il faut des mesures précises et claires, notamment des positions fermes sur la question des sanctions contre les auteurs d’agressions et de harcèlement sexiste ou sexuel.

Elles placent de l’espoir dans ce nouveau rectorat. “On espère beaucoup de Madame Nyssen. On attend d’elle et de son équipe qu’elles collaborent avec les acteurs et actrices de terrain qui sont expert·es dans ces domaines, mais aussi avec les étudiant·es. Il faut des mesures précises et claires, notamment des positions fermes sur la question des sanctions contre les auteurs d’agressions et de harcèlement sexiste ou sexuel. Il faut aussi un travail autour des étudiant·es trans ou non-binaires, sur la diversité, sur la parentalité, sur la précarité étudiante.”

Et il semble que le cercle féministe ne soit pas le seul à vouloir construire, avec la rectrice, les bases d’une université plus safe pour tous·tes puisqu’une partie importante des cercles étudiants est en train de préparer un programme d’actions. Le document, en cours de rédaction, devrait être remis à la nouvelle rectrice dans le courant de l’année académique.