Je rejoins Anaïs, 33 ans, en fin de journée à une terrasse de café. La masturbation a longtemps été absente de sa vie sexuelle. « Je ne me souviens d’aucun geste. Soit je n’en ai pas fait, soit je les refoule. Je crois que j’ai eu honte de mon corps pendant longtemps, j’avais un tabou avec mon corps, une sorte de dépersonnalisation, et l’impression que je ne pouvais pas me faire du bien. »
« J’ai trouvé ça beau »
Les tables sont serrées, si bien que le couple d’à côté peut tout entendre de notre conversation, mais Anaïs s’en fout. Évoquer son histoire de la masturbation revêt pour elle un sens libérateur. Anaïs a grandi en Bolivie avec ses parents belges. « À la différence des familles andines, marquées par une culture catholique et conservatrice, on parlait de sexualité librement à la maison », explique-t-elle. Mais pas un mot sur la masturbation. « On parlait de relations, de sexe. Ma mère me disait que se faire du bien, se caresser, c’est bien, mais ne prononçait jamais le mot en tant que tel. » Les premiers souvenirs d’Anaïs relatifs au plaisir solitaire remontent à ses 20 ans, soit cinq ans après sa première relation sexuelle. Avant qu’un événement tragique ne bouleverse son rapport au corps et au plaisir.
À 22 ans, elle est touchée par un cancer du col de l’utérus. « Après avoir consulté un tas de gynécologues qui me disaient qu’il fallait tout retirer, je suis tombée sur un médecin qui considérait qu’il ne fallait enlever qu’une petite partie de mon utérus. Ce médecin m’a montré mon col. Et ça a complètement démystifié la peur que j’avais par rapport à mon corps. J’ai trouvé ça beau. » Son accouchement, quelques années plus tard, la freine à nouveau dans son exploration. « Après mon accouchement, j’ai vraiment traversé un épisode où je ne sentais pas que je pouvais me faire plaisir. J’avais une impression de corps malade, des rapports douloureux à cause de l’épisiotomie que j’avais subie », raconte Anaïs.
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