Belgique : À la rencontre de jeunes marcheuses pour le climat

axelle a interrogé plusieurs femmes belges qui se sont engagées dans les “marches climat”. Elles nous ont raconté la responsabilité qu’elles portent sur leurs épaules devant un futur incertain.

À l’école provinciale de Ghlin, des enseignant·es ont soutenu le mouvement de jeunes pour le climat. D.R.

C’est en août 2018 que l’adolescente suédoise Greta Thunberg lance les grèves de l’école pour exiger des mesures ambitieuses contre le réchauffement climatique. Chaque vendredi, elle sèche les cours pour protester devant le parlement de Stockholm. Son message : “Pourquoi devrions-nous étudier pour un futur qui n’existera bientôt plus ?” De nombreux pays ont organisé des grèves scolaires et étudiantes, jusqu’en Antarctique. Aux États-Unis, c’est Alexandria Villaseñor, 13 ans, qui mène le mouvement. Des grèves qui sont bien suivies en Belgique, sous la houlette d’Anuna De Wever et d’Adélaïde Charlier, au sein de Youth for Climate.

Jeunes femmes aux yeux ouverts

Alors que les femmes se mobilisent depuis longtemps pour l’écologie, certain·es reprochent aux jeunes de prendre la parole en public pour critiquer l’inertie politique. On leur demande de retourner sagement à l’école. Anuna De Wever, qui se définit comme non-binaire, subit même du harcèlement sur internet. D’autres attaques sexistes visent les jeunes femmes dont les pancartes évoquent leur sexualité. Un exemple parmi d’autres vu lors des marches belges : “Ma chatte, la planète, protégeons les zones humides”. Pascale d’Erm, journaliste et autrice de Sœurs en écologie, analyse sur France24 : “Même si elles sont encore jeunes, ces femmes ont les yeux ouverts sur la mainmise des hommes sur la politique et dans les grandes conférences climatiques, la mainmise de ces costumes-cravates sur toutes ces décisions qu’ils ne prennent pas, ou qu’ils prennent, mais qu’ils n’appliquent pas.”

C’est plus facile d’en parler avec les filles. Les garçons se sentent moins concernés. Ce n’est pas normal. La question climatique concerne tout le monde !

Chloé Ledune, 18 ans, en rhéto à l’Institut Sainte-Marie à La Louvière, témoigne : “Pour moi, ça a commencé en janvier 2019. Avec ma sœur et ma cousine, nous avons rejoint la manifestation à Bruxelles. Au retour, on a été trouver le directeur de l’école pour voir ce qu’on pouvait faire ensemble.” Une réunion se tient alors, réunissant 50 élèves pour parler d’écologie et des marches climat. “Suite à cette réunion, une trentaine d’élèves se sont rendus à la marche suivante. J’en ai aussi organisé une dans mon école, parce que nous n’avions plus l’autorisation de sortir. Nous avons demandé plusieurs choses, comme avoir un compost, utiliser du papier recyclé, ce qui a été accepté !” Un groupe rassemblant professeur·es et élèves naît et formule d’autres propositions concrètes. “On a parlé de fontaines à eau, de nourriture en vrac, de bouteilles à la place des cannettes…” Quant aux raisons de son engagement, Chloé Ledune explique : “Je suis dérangée par la surconsommation. Même si je ne verrai pas les changements de mon vivant, je trouve ça important de se mobiliser à notre niveau pour changer les choses. Beaucoup de mes copines me disent que ça ne change rien d’utiliser ma gourde, mais je constate que les plus jeunes viennent nous poser des questions et se mettent, comme nous, à utiliser des boîtes à tartines et des gourdes.” Elle confirme la plus grande présence des femmes aux manifestations : “C’est plus facile d’en parler avec les filles. Les garçons se sentent moins concernés. Ce n’est pas normal. La question climatique concerne tout le monde !”

À l’école provinciale de Ghlin, des enseignant·es ont soutenu le mouvement de jeunes pour le climat. D.R.

Une enseignante et ses élèves

Wendy Cauchies est professeure de philosophie et citoyenneté au sein de l’école provinciale de Ghlin (de l’enseignement spécialisé pour 170 élèves de 6 à 13 ans). Elle est l’une de ces enseignant·es qui ont soutenu le mouvement. “Nous n’avons pas tout de suite pensé à manifester. Nous avons d’abord créé un groupe où les élèves pouvaient s’exprimer sur ces questions. Nous avons parlé notamment de l’huile de palme dans certaines pâtes à tartiner. Les enfants ne voulaient plus de gobelets en plastique à la cantine, ils ont pu venir le dire.” Les élèves ont créé une charte. “Nous pensons que s’ils participent à l’élaboration eux-mêmes, ils en seront plus respectueux.”

Une manifestation est ensuite organisée. “Ils se sont vraiment lâchés. On a eu des pancartes très drôles, comme “Rejoins le côté nature de la force””, sourit Wendy Cauchies. Du côté des parents, les réactions sont globalement positives. “Il y a juste un papa qui a dit à son enfant qu’on lui mettait des choses dans la tête et qu’il ne fallait pas exagérer avec le réchauffement climatique.” La professeure conclut : “J’essaie de me remettre en question dans mon quotidien, de penser à l’avenir des enfants. À l’école, c’est clairement un travail d’équipe, sinon ça ne fonctionnerait pas.”

À l’école provinciale de Ghlin, des enseignant·es ont soutenu le mouvement de jeunes pour le climat. D.R.

“C’est dégueulasse qu’on nous laisse tout ça à réparer”

Adèle (prénom d’emprunt), 19 ans, étudiante, fait partie d’un groupe qui estime que les actions de Youth for Climate peuvent être à double tranchant. “On se demande si marcher, avec l’accord des policiers, sur un parcours prévu à l’avance, a beaucoup d’impact. Le mouvement parle énormément des énergies renouvelables et de la voiture électrique, mais leur coût écologique est quand même important. On a aussi peur que les jeunes se disent : “J’ai marché, je n’utilise plus de papier aluminium, c’est suffisant.””

Avec son groupe, Adèle informe les manifestant·es sur la récupération du mouvement par les partis politiques. “On leur parle aussi de “capitalisme vert”, quand le capitalisme récupère les luttes écologiques. On leur explique que l’État protège le capitalisme. Au début, c’était difficile, parce qu’ils sont à l’école, où on leur apprend à suivre les règles et les lois. Mais de plus en plus de jeunes se posent des questions face aux marches du jeudi, qui n’ont pas fait bouger grand-chose du côté des décideurs politiques.” Ce sentiment d’inutilité, Adèle l’a ressenti lors d’une des dernières marches : “Il y avait quelques centaines de participants et ils n’étaient autorisés qu’à marcher sur les trottoirs ! Les policiers engueulaient ceux qui débordaient !” Selon elle, des actions de blocage seraient plus utiles, dans des grands magasins par exemple. “C’est sûr que ça demande beaucoup de courage, il peut y avoir de la répression policière, concède-t-elle. Une répression qu’elle a connue pendant une manifestation. “On marchait avec les gilets jaunes anticapitalistes. Certaines personnes du mouvement climat ont pris mes amis par les bras pour les amener à la police. C’était très choquant, on avait vraiment l’impression que les “vieux bobos”, même si je n’aime pas ce mot, attaquaient les plus jeunes…”

On a aussi peur que les jeunes se disent : “J’ai marché, je n’utilise plus de papier aluminium, c’est suffisant.”

Si Adèle cherche à mener des actions collectives, c’est pour une raison toute personnelle qu’elle s’est engagée : “Je viens du sud de la France, j’aime beaucoup la nature. Si le réchauffement continue, ma ville va être engloutie par les eaux. C’est dégueulasse qu’on nous laisse tout ça à réparer.” Les experts consultés par Youth for Climate ont remis en mai leurs recommandations ; ils appellent, comme Adèle, à un changement systémique. Histoire de ne plus trahir le slogan des marches : “Change the system, not the climate” (changez le système, pas le climat).