Sept fier·ères qui mettent l’amour en lumière

Par N°251 / p. 30-31 • Mars-avril 2023

Aujourd’hui encore, les personnes qui sortent de la norme hétérosexuelle et binaire doivent faire face à de nombreuses discriminations. Avec cette galerie subjective, nous avons voulu souligner leur courage, leur résistance, leur force, leur solidarité.

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Camille Pier
L’écriture du scandale

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

“Prothèse plus que privilège, la complicité patriarcale me protège. Comment résister à ce système qui prétend s’ignorer tout en se protégeant lui-même ? Se laisser pousser de longs cheveux, des fleurs sur la chemise, du vernis sur les ongles. Assumé androgyne, entre-les-deux, je funambule.” Camille Pier, artiste-comédien-chanteur-dessinateur-performeur queer, cherche, d’abord sous les projecteurs et dans les mots, “la masculinité qui ne lui a pas été assignée à la naissance”, écrit-il dans Bruzz, puis se meut et mute, au gré des projets et des envies, pour éviter la stagnation, l’assignation, la normalisation. Il s’appelle aussi Pierre Rococo pour la musique, Nestor pour le cabaret, le slam et le burlesque, ou Josie, pour le seul en scène. En 2016, il publiait La Nature contre-nature (tout contre), texte d’une conférence-spectacle coécrite avec la biologiste Leonor Palmeira invitant à explorer l’intimité naturelle dans le monde animalier. Un thème-prétexte à l’éducation populaire et à la vulgarisation scientifique autour des thématiques LGBTQIA+. Son glossaire contient des mots comme tabous, monstres, jouissance, scandale (le nom de son dernier recueil poétique, L’Arbre de Diane 2022), mort et bien sûr… amour.

Joëlle Sambi
Les mots des corps exclus

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

“La poétesse qui cogne et soigne à la fois”, comme la décrit joliment Catherine Makereel dans Le Soir. Joëlle Sambi, autrice et activiste féministe LGBTQIA+, multiplie les projets d’écriture, de slam et de théâtre, de radio. Vous vous souvenez peut-être de sa “Féministe Fiction” parue dans axelle en mai-juin 2022, Palabres gouines. Joëlle Sambi met à nu dans ses textes les oppressions et les violences du monde, policières, racistes, sexistes, homophobes, soulève des interrogations sur l’identité, la norme, l’appartenance. Croisant langues et luttes, l’artiste déterre les tabous, creuse des ailleurs, sculpte un territoire hospitalier pour l’étrange, les corps exclus, sans frontières et sans faux-semblants. Érotisme, amour, désir s’y frayent aussi un chemin, déclinés au pluriel et dans les marges. Lisez plutôt cet extrait de Caillasses, son premier recueil de poèmes (L’Arbre de Diane 2021). “C’est une histoire de meufs, de nanas, de gouines, de gougnottes, de tarlouzes, de dyke, d’homos, de femme, de bitch et de butch. C’est une histoire de filles. De filles, de femmes qui en aiment d’autres comme elles ou pas. Une histoire de lesbiennes. C’est universel, à peu près banal. Une histoire commune sauf qu’on parle de minou et de tarmac aux fougères. On aime ou on n’aime pas. On s’en fout.”

Suzan Daniel
La pionnière

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Parmi les grandes effacées de l’histoire, convoquons Suzan Daniel, militante lesbienne pionnière. Née Suzanne De Pues (Bruxelles, 1918-2007), elle a choisi son pseudonyme en référence à l’actrice Danielle Darrieux. Elle fonde milieu des années 1950 le Centre culturel de Belgique, premier groupe homosexuel bruxellois. Seule femme dans la direction, Suzan Daniel le quittera un an plus tard pour des raisons de lesbophobie, terme créé en 1998, confirmant que la discrimination préexistait à l’expression, exercée tant par des femmes hétérosexuelles que des hommes gays. Elle a donné son nom à un pont à Bruxelles. Mais surtout à un Fonds d’archives et centre de documentation homo/lesbien créé en 1996 à Gand. Ce fonds veut rassembler et classer les archives du passé homo/lesbien et transgenre mais aussi “faire croître une conscience d’archive : faire prendre conscience à toute personne concernée que ces traces du passé ont une valeur et sont importantes à sauvegarder.” Nelly, Nadine et Marian ne diront pas le contraire (lire ci-dessous).

Nelly Mousset-Vos et Nadine Huong
Les papillons dans le ventre

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

L’amour entre Nelly et Nadine a jailli comme les coquelicots dans le camp de concentration de Ravensbrück. Cette histoire ne nous serait jamais parvenue si le réalisateur suédois Magnus Gertten n’y avait pas consacré un documentaire. Et si la petite-fille de Nelly, Sylvie Bianchi, n’avait pas enfin ouvert la boîte à archives laissée par sa “mamina”, qui contient cette histoire d’amour placée sous le double sceau du secret, celui des camps, celui de l’amour lesbien. Dans la boîte, un journal qui retrace les années où Nelly Mousset-Vos, chanteuse belge d’opéra devenue une espionne de la Résistance française, a survécu dans un camp de concentration. Dont ce coup de foudre, un soir de Noël avec Nadine lui demandant de chanter Madame Butterfly. Ces archives “intimes” par miracle conservées contiennent aussi des images filmées par Nadine qui a documenté leur vie commune de rescapées amoureuses, considérées jusqu’alors par Sylvie et la famille comme de “bonnes amies”… À travers ce destin, surgissent aussi d’autres femmes que l’histoire n’a pas voulu voir, ou bien regarder.

Marian Lens
Mémoire vive

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Marian Lens est une figure historique du militantisme lesbien, que les balades féministes organisées depuis quelques années à Bruxelles ont sans nul doute contribué à faire connaître. Née à une époque “où il n’y avait pas de mot pour dire qu’on était amoureuse d’une fille”, elle fonde la première librairie lesbienne belge, Artemys, en 1985. Marian Lens n’avait pas peur d’ouvrir des portes bien verrouillées puisqu’elle avait aussi consacré son sujet de mémoire à “l’idéologie de la différence hommes-femmes dans un système hétéro-patriarcal”, jugé “pamphlétaire” par l’ULB, comme on peut le lire dans le portrait que lui a consacré Louis Van Ginneken pour Médor. Sa librairie – lieu de mémoire, de lutte, mais aussi de soin et de liens – disposait d’une vitrine translucide, à dessein, pour ne plus se cacher. Aujourd’hui, Marian Lens continue son travail de visibilisation et de transmission à travers les L-tours, parcours lesbiens et arc-en-ciel à Bruxelles. Conserver les traces, “c’est sécuriser la mémoire d’un mouvement de plus de 50 ans”, dit-elle dans Médor. C’est aussi se donner les outils pour appréhender un futur où les droits des femmes et des minorités peuvent très vite reculer.

Angèle
Balance tes injonctions

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Été 2020, la chanteuse Angèle s’affiche sur les réseaux sociaux avec un T-shirt portant le message “Portrait de femmes qui aiment les femmes”. Une sortie qui rappelle le “Je t’aime” d’Adèle Haenel adressé à sa compagne lorsqu’elle reçoit son premier César en 2014. Des moments qu’on peut qualifier de politiques, parce que ce n’est pas rien, quand on est une femme, une femme artiste, célèbre, de parler d’amour, et de proclamer publiquement ses sentiments pour une autre femme. Dans son documentaire sur Netflix, Angèle revient sur son coming out “volé” par un animateur télé qui l’a annoncé en direct et avant elle. La chanteuse avait précisé sa démarche au magazine Elle : “L’idée [avec cette photo, ndlr] était de dire : oui je suis tombée amoureuse d’une femme, mais regardez, ça n’a rien changé, en fait. […] Je trouverais merveilleux que ce ne soit plus un sujet, même si objectivement, ça l’est encore. […] Il est important d’en parler car on a tous besoin de représentations.” La chanteuse est aussi revenue sur sa bisexualité au micro de la chroniqueuse sexo Maïa Mazaurette dans le documentaire Désir : ce que veulent les femmes. Elle y raconte s’être débarrassée “des règles établies, codifiées, réglementées” et par là, avoir “forcément déconstruit sa façon de penser et de désirer”. Queen A !