Travailleuses chez Delhaize : “Hier on nous applaudissait et maintenant on nous vend !”

Par N°251 / p. WEB • Mars-avril 2023

Le 7 mars, la direction de Delhaize a annoncé lors d’un conseil d’entreprise extraordinaire son intention de franchiser ses 128 magasins “intégrés”. Une grève générale a alors débuté. axelle est partie à la rencontre de Myriam Delmée, présidente du SETCa, Nora En Nadi, déléguée syndicale du SETCa itinérante sur Bruxelles, afin d’y voir plus clair sur la situation dans un secteur où les travailleurs/euses sont en majorité des femmes.

D.R.

Les caddies bloquent l’entrée, personne n’entre. Pour la quatrième semaine consécutive, plus de la moitié des magasins Delhaize intégrés sont fermés pour cause de grève. En Belgique depuis 155 ans, l’enseigne au lion compte près de 600 magasins franchisés et 128 magasins intégrés. Le 7 mars dernier, la direction de l’entreprise annonçait vouloir passer sous franchise le restant de ses magasins, estimant que sa marge de progression serait nettement plus élevée.

Les syndicats, eux, sont révoltés. En 2019, une convention collective de travail (CCT) avait été signée. Celle-ci permettait davantage de flexibilité et de polyvalence aux employé·es ainsi qu’une promesse de non-franchise jusqu’à la fin 2024. Mais en février dernier, la direction déclare vouloir dénoncer la CCT, ce qui implique un retour à l’ancienne organisation endéans les six mois. Une première bombe lâchée avant que la deuxième ne suive, l’annonce de la franchise début mars. À la suite de cette décision, de nombreux Delhaize intégrés partent en grève ; le mouvement sévit depuis plusieurs semaines.

“Je peux vous dire que ça a été très violent, ça a été un choc pour tout le monde, confie Nora En Nadi, déléguée syndicale SETCa. Hier, pendant le Covid, on nous applaudissait, et maintenant on nous vend.”

Des conditions salariales à la baisse

“Dans l’état actuel des choses, chez Delhaize, les horaires sont relativement fixes, précise Myriam Delmée, présidente du SETCa. Donc vous savez organiser votre vie privée autour de ces horaires. Demain, quand la personne sera chez un franchisé, elle n’aura aucune garantie que son horaire restera le même. Toute la construction de sa vie pourrait être balayée d’un revers de la main. Ces personnes n’auront pas d’autre choix que de quitter l’emploi parce que leur modèle familial ne sera pas adapté au modèle qu’on leur propose dans la franchise. Et ce sont des femmes qu’on va forcer à retourner dans leur foyer à défaut de pouvoir avoir une conciliation vie privée et vie professionnelle qui continue à être soutenable.”

Ce sont des femmes qu’on va forcer à retourner dans leur foyer.

Alors que dans les magasins intégrés les heures tardives sont payées davantage et que les dimanches sont fériés, ce n’est pas le cas dans les magasins franchisés. Les heures entre 18 et 20h seront payées au même tarif, il n’y aura pas de treizième mois, soit pas de prime de fin d’année, les horaires ne seront plus fixes et les salaires resteront les mêmes malgré 1h30 de travail en plus par semaine. “Ce sont toutes des choses qui, mises bout à bout, vont faire que ces personnes auront en pratique 20 à 25 % de conditions salariales en moins”, s’insurge la présidente du SETCa.

La mise sous franchise risque également de supprimer de nombreux postes, créant des équipes réduites avec davantage d’étudiant·es. “À un moment, les gens ont le droit de s’installer dans la vie. Le commerce, c’est 70 % de femmes dont la majeure partie travaille à temps partiel, ajoute Myriam Delmée. Comment est-ce qu’on fait pour assurer un job à toutes ces femmes et pour ne pas les renvoyer simplement au foyer ?”

Une guerre de communication

Les relations sont tendues entre la direction et les syndicats, personne ne veut en démordre. Plusieurs conseils d’entreprise extraordinaires ont été mis en place mais ont rapidement été écourtés. Le dialogue est plus que fermé. Myriam Delmée et Nora En Nadi dénoncent la pression constante de la direction.

La pression est constante

“Il y a des travailleurs qui n’ont encore jamais fait grève de leur vie chez Delhaize, pour les plus jeunes d’entre eux, raconte Myriam Delmée. Quand ils se déclaraient grévistes, la direction leur disait : “Toi, avec la tête que t’as et le nombre de jours de grève que tu fais, tu t’imagines quand même pas être repris chez un franchisé ?” La pression, elle est constante et tous les arguments sont bons. La direction met des notes dans les magasins en disant que les grèves sont illégales, que les gens seront en absences injustifiées, qu’ils risquent de se faire licencier. La direction essaye de diviser les gens en les faisant voter pour ou contre la grève.  Ils veulent assister systématiquement à toutes les assemblées du personnel que nous faisons. Ils ont déjà tout dit et n’importe quoi.”

“Ils essayent de diviser les travailleurs, explique Nora En Nadi. Il faut arrêter de croire la direction. Si on avait une garantie, jusqu’à la fin de notre carrière, de garder notre place et nos droits comme on les a aujourd’hui, forcément on aurait les magasins ouverts.”

À l’intérieur des magasins, les employé·es s’occupent avec du nettoyage ou du réassort de rayons. Au niveau des piquets de grève, des tournantes ont été mises en place pour permettre aux membres du personnel qui le désirent de travailler à certains moments pour assurer leur revenu.

Un nouveau conseil d’entreprise extraordinaire a eu lieu le 28 mars en matinée afin de trouver un accord. Les syndicats revendiquent au moins la loi Renault, obligeant l’employeur/euse à informer au préalable l’intention de licenciement collectif et à en notifier les motifs par écrit. Ils espèrent une possibilité de négociation. Pourtant, à l’issue du conseil, la direction demande la nomination d’un médiateur social et la proposition d’accord est soldée par un échec. La grève continue donc. Pour la suite, un conseil d’entreprise, cette fois ordinaire, aura lieu le 24 avril. D’ici là, la direction ne souhaite pas établir d’autres contacts avec les syndicats.