L’amour entre femmes : livres choisis

La littérature mettant en scène des relations intimes entre femmes est souvent absente des rayons des librairies et bibliothèques traditionnelles. Pourtant, elle existe, et elle se porte bien : partons à la découverte de textes de femmes qui écrivent sur les désirs et les corps féminins.

CC Philippe Leroyer

La plupart des ouvrages que nous mettons en lumière dans l’article ont été recommandés par la librairie indépendante bruxelloise TuliTu, qui propose une riche sélection de littérature gay, lesbienne et queer. La bibliothèque Léonie Lafontaine, de l’Université des Femmes, possède également une belle collection de livres dans ce domaine.

Cavalcade amoureuse

« Dans mon corps rôde le désir, tu m’enveloppes et bientôt entres en moi. Tu soupires, le sexe en nage, électrique, les orgasmes scandent notre cercle magique. Ta chair se déchire sous mes doigts. Je reconnais ce regard doux planté dans mes yeux, l’envie de jouir sous ma langue ouverte aux pores secrets de ta peau. Comme une aveugle, à la recherche d’une trace invisible, un sillon, un grain de beauté, je caresse du bout des doigts une jeune cicatrice. Les souffles saturent l’espace sonore. À la lumière des réverbères qui éclairent la chambre noire, on découvre la jouissance, bientôt la souffrance. Nous avons dix-neuf ans, Paola et moi. »

Folio 2016. 224 p., 7,20 eur.

Après l’amour, premier roman de la Française Agnès Vannouvong, écrivaine et professeure en études de genre à Genève, raconte une rupture amoureuse douloureuse. Pour oublier Paola, la narratrice enchaîne les amantes jusqu’à la rencontre d’Héloïse, tellement belle quand elle sourit que la narratrice en a « mal au sexe ». Dans cette cavalcade amoureuse, célébration de la fulgurance du désir féminin, la narratrice souffre et pleure autant qu’elle jouit, et se lance impétueusement dans l’exploration du corps des femmes qu’elle rencontre.

Dans le secret

Le désir charnel occupe aussi de nombreuses pages d’Amours, de la Française Léonor de Récondo. C’est l’histoire de deux femmes, Victoire et Céleste, une épouse malheureuse et une bonne exploitée et abusée par l’époux. Quand Céleste tombe enceinte d’Anselme, Victoire adopte l’enfant pour sauver la réputation de son couple bourgeois. Peu à peu, cet enfant va  devenir un prétexte aux rencontres nocturnes des deux femmes. « Chaque soir, elles s’animent sans relâche, sans peur. Leurs corps, après des années d’inexistence, s’étirent et se déploient. Elles vibrent ensemble dans un unisson qui les mène au bout d’elles-mêmes, dans un lieu si profond qu’elles s’y perdent chaque soir, et s’y retrouvent sans cesse. »

Éditions Points 2016. 216 p., 7 eur.

La tension sexuelle se dessine en creux dans cette chambre sous les combles. L’amour et la sensualité entre les deux femmes les libèrent des corsets moraux qui les emprisonnent. « En pénétrant Céleste, Victoire laisse entrer à sa suite, le temps, les nuits et les jours, le cortège de l’éternité. Les deux femmes plongent l’une en l’autre, éberluées d’aimer. Ce lien qui unit maintenant leurs corps brise en un instant l’interdit de leur amour et des conventions sociales. Toutes ces épaisseurs inutiles, qui, lorsqu’elles sont nues, restent cousues à leurs habits. »

Léonor de Récondo parle de son roman “Amours”

Il s’en passe aussi, des choses secrètes, Derrière la porte, roman de Sarah Waters, autrice anglaise emblématique de la littérature lesbienne. Caresser le velours  ; Du bout des doigts (prix Somerset Maugham) ; Ronde de nuit… Ses romans, toujours consacrés à des histoires de femmes transgressant les codes et les mœurs de leur époque, sont empreints d’une tension charnelle et sexuelle.

Éditions 10/18 2016. 727 p., 10,20 eur.

Derrière la porte nous emmène en Angleterre en 1922. Frances habite avec sa mère. Elles accueillent un couple de jeunes mariés. Frances et Lilian, la jeune épouse, vont très vite se rapprocher. Sarah Waters décrit avec une plume affûtée ce qui se passe derrière la porte de Frances, où se dessine une passion dévorante entre deux femmes.

Classiques

« Je creusais dans son cou avec mes dents, j’aspirais la nuit sous le col de sa robe : les racines d’un arbre frissonnèrent. Je la serre, j’étouffe l’arbre, je la serre, j’étouffe les voix, je la serre, je supprime la lumière. »  Dans un registre moins contemporain, notre bibliothèque érotique compte aussi Thérèse et Isabelle de Violette Leduc, romancière française sulfureuse tombée follement amoureuse de Simone de Beauvoir, à qui elle consacre d’ailleurs un cri d’amour dans L’Affamée. Dans Thérèse et Isabelle, écrit en 1954 (mais dont la version intégrale non censurée ne sera publiée qu’en 2000), elle raconte la passion physique qui naît entre deux adolescentes dans un pensionnat.

Folio 2013. 160 p., 5,90 eur.

« J’essaie de rendre le plus exactement possible les sensations éprouvées dans l’amour physique. Il y a là sans doute quelque chose que toute femme peut comprendre. Je ne cherche pas le scandale mais seulement à décrire avec précision ce qu’une femme éprouve alors », expliquera l’autrice. Cette histoire est fortement inspirée de sa vie, comme tous ses romans, puisque Violette Leduc elle-même, pensionnaire dans les années 1920, vivra deux amours interdites avec une camarade et une surveillante.

Éditions L’âge d’homme 2014. 160 p., 10 eur.

On pense aussi au magnifique Rempart des Béguines (1951) de la Belge Françoise Mallet-Joris, où Hélène, une jeune fille de quinze ans, s’abandonne à des plaisirs intenses, hors-la-loi et douloureux avec l’affranchie Tamara, l’amante de son père.

Directs et visuels

Dans un registre plus cash et mis en images, citons Anne Archet, le pseudonyme d’une autrice-blogueuse montréalaise. Dans Le carnet écarlate. Fragments érotiques lesbiens, forme de journal intime, elle raconte, avec une plume crue et subversive, le désir et l’érotisme lesbiens dans leur multiplicité, évoquant sa première fois, ses expériences de sadomasochisme ou encore de sexe à trois. « Chaque nuit je m’endors cul nu, les cuisses poisseuses et la main dans sa culotte – jamais l’inverse. » Les textes sont illustrés par Mélanie Baillairgé, dont le crayon est également affranchi du « sexuellement correct ».

Éditions du remue-ménage 2014. 144 p., environ 20 eur.

Du côté de la bande dessinée, on pense évidemment à l’album Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh, histoire lesbienne adolescente, de même qu’à Corps sonores, son dernier album, qui raconte des histoires d’amour et de désir hétéro- et homosexuelles.

Glénat 2010. 160 p., 17,50 eur.

 

Glénat 2017. 160 p., 17,50 eur. 304 p., 25,50 eur.

Incontournable également : Alison Bechdel. Son nom ne vous est pas inconnu : c’est elle qui est à l’origine du « test de Bechdel » pour évaluer la présence féminine dans les œuvres artistiques. Ce test a été créé dans l’un des épisodes de Dykes to Watch Out for (Des gouines à suivre). Cette série, construite de 1983 à 2008, dépeint la vie de lesbiennes et bisexuelles dans un décor de contre-culture américaine. Alison Bechdel y évoque tout ce qui fait la vie : amitiés, questions politiques, mariages, ruptures, et forcément… sexe !

Éditions Même pas mal 2016. 224 p., 25 eur.

Crise politique : Vie Féminine demande aux président·es des partis francophones de “prendre leurs responsabilités”

Ce lundi 26 juin, le mouvement féministe Vie Féminine (qui édite le magazine axelle) a fait parvenir aux président·es de partis francophones une lettre ouverte inquiète, craignant de voir “des dossiers essentiels pour les femmes bloqués à jamais alors que nombre d’entre eux faisaient l’objet d’avancées significatives.”

Hafida Bachir, présidente de Vie Féminine © Novella Di Giorgi 2014

axelle reproduit ici la lettre ouverte signée par Hafida Bachir, présidente de Vie Féminine, au nom du mouvement (les liens externes sont de la rédaction). 

Lettre ouverte à :

Monsieur Olivier Chastel, président du MR

Monsieur Élio Di Rupo, président du PS

Monsieur Patrick Dupriez, coprésident d’Écolo

Madame Zakia Khattabi, coprésidente d’Écolo

Monsieur Benoît Lutgen, président du cdH

Monsieur Olivier Maingain, président de Défi

Madame, Messieurs,

Après la décision du cdH de mettre un terme à la coalition avec le PS dans les entités fédérées, Vie Féminine souhaite vous faire part de sa grande inquiétude de voir des dossiers essentiels pour les femmes bloqués à jamais alors que nombre d’entre eux faisaient l’objet d’avancées significatives.

Nous ne pouvons admettre que les avancées obtenues depuis deux ans soient effacées d’un revers de la main suite à des changements dans les majorités gouvernementales.

Si depuis une semaine, les débats ont surtout porté sur les stratégies des un·es et des autres ou sur les conditions nécessaires à la bonne gouvernance, il nous paraît urgent de remettre le focus sur des enjeux fondamentaux pour les citoyen·nes, pour les institutions, les services et organisations dont le sort se trouve lié d’une manière ou d’une autre aux décisions des entités fédérées.

Nous ne pouvons admettre que les avancées obtenues depuis deux ans soient effacées d’un revers de la main suite à des changements dans les majorités gouvernementales. C’est la raison pour laquelle Vie Féminine insiste pour que, lors des contacts en cours et des négociations à venir en vue de constituer de nouvelles majorités gouvernementales dans les entités fédérées, vous mettiez impérativement à vos agendas les dossiers suivants :

Le statut des accueillantes conventionnées à domicile

Après de longues années entre espoirs et déceptions, le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a permis de réelles avancées pour les accueillantes d’enfants. Il s’était engagé sur la mise en place, à partir d’octobre 2017, d’un projet-pilote accordant le statut de salariées à une première sélection d’accueillantes conventionnées. Le travail d’opérationnalisation avec l’ONE et les représentants du secteur était proche de l’aboutissement.

Le transfert du FESC (Fonds des équipements et services collectifs)

En ce qui concerne le transfert des moyens du FESC à l’ONE, une concertation avec le secteur avait abouti sur des propositions concrètes d’adaptation des arrêtés pour l’accueil extrascolaire et l’accueil d’enfants malades à domicile, ainsi que sur des recommandations destinées à préserver l’offre d’accueil. La mise en suspens de ce dossier risque de renforcer les inquiétudes des opérateurs de projet et des travailleuses du secteur.

La réforme des milieux d’accueil de l’enfance

Mis en route depuis 2014, l’immense chantier de la réforme du secteur accueil de la petite enfance de l’ONE laissait entrevoir des perspectives intéressantes en termes de qualité et d’accessibilité pour les familles utilisatrices, ainsi qu’un espoir de renforcement structurel pour les milieux d’accueil garantissant leur viabilité. La réforme devait, de plus, intégrer l’accueil flexible et l’accueil d’urgence, anciennement liés au FESC, et qui sont toujours en attente d’un cadre réglementaire adapté.

Droits des femmes

La question des droits des femmes doit rester une priorité pour les entités fédérées.

Suite à la mobilisation des organisations de femmes, le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles avait été le seul exécutif du pays à avoir en son sein une Ministre des droits des femmes, mettant ainsi la question des droits des femmes à l’agenda politique. Si ses compétences et ses budgets étaient à nos yeux trop restreints, nous pouvons néanmoins nous réjouir du travail de collaboration réalisé avec les associations de femmes. La question des droits des femmes doit rester une priorité pour les entités fédérées.

Financement du secteur socioculturel

L’avant-projet de décret sur l’emploi socioculturel devait passer prochainement en première lecture au Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Par ailleurs, un important travail d’évaluation du Décret relatif au soutien de l’action associative dans le champ de l’Éducation permanente a été entamé avec les représentant·es du secteur. Osons espérer que ces deux initiatives ne seront pas remises en cause et pourront aboutir dans le timing prévu.

Violences contre les femmes

Un décret permettant de pérenniser le financement des services ambulatoires d’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales était en discussion au sein du Gouvernement wallon. Jusqu’à présent, ces services étaient soumis à un financement annuel ou pluriannuel, impliquant une précarité de moyens, comme par exemple pour Le Déclic, service spécialisé de Vie Féminine créé dans une région (Chimay-Thuin) où il y a peu de services accessibles pour accompagner les femmes victimes de violences.

Allocations familiales

Le transfert des allocations familiales vers les entités fédérées devait être effectif pour le 1er janvier 2019 et s’accompagner d’un renouvellement du système, plus clair, plus adapté aux familles actuelles et garantissant une certaine solidarité avec les familles aux revenus plus modestes. Or, il reste pas mal d’étapes à franchir pour garantir la continuité du paiement des allocations et mettre en place une réforme qui concerne environ 1 228 000 enfants en Wallonie et à Bruxelles.

Handicap

Fin mai, le Gouvernement wallon a approuvé un ensemble de mesures et de budgets afin d’améliorer l’hébergement et la prise en charge des personnes handicapées. Il s’est également engagé à créer des places nouvelles pour le handicap de grande dépendance ainsi qu’à dégager des nouveaux budgets pour soutenir la prise en charge des « cas prioritaires ». Ces engagements sont essentiels pour les femmes qui continuent à pallier le manque de politique volontariste de prise en charge des personnes dépendantes.

Assurance autonomie

La création d’une assurance autonomie wallonne était également en train d’aboutir. C’est un des dispositifs nécessaires pour permettre une prise en charge collective du soin aux personnes âgées. Sinon, ce travail repose trop souvent sur les épaules des femmes, en plus de leurs autres tâches. Par ailleurs, les femmes sont également surreprésentées dans la population âgée et très âgée et vivent parfois avec des revenus très modestes.

Nous espérons ne pas devoir expliquer aux femmes de notre réseau que les partis politiques composant les nouvelles majorités ont décidé de laisser tomber l’un de ces dossiers.

La plupart des dossiers que nous épinglons dans ce courrier ont fait l’objet d’un travail de collaboration intense entre les cabinets ministériels, les administrations et les associations de terrain. Ce fonctionnement qui se base sur la concertation est une garantie de bonne gouvernance que nous vous invitons vivement à intégrer parmi vos priorités. Dans cette optique, nous insistons tout particulièrement sur la prise en compte et l’articulation avec des organisations de femmes qui portent un regard particulier sur des enjeux qui, à première vue, semblent neutres.

Cette dernière crise politique que nous traversons risque de renforcer encore plus la perte de confiance, fortement entamée par les différentes « affaires » et les politiques d’austérité, dans les institutions politiques. Dans ce contexte, nous espérons ne pas devoir expliquer aux femmes de notre réseau que les partis politiques composant les nouvelles majorités dans les Régions et la Fédération Wallonie-Bruxelles ont décidé de laisser tomber l’un de ces dossiers.

Nous restons plus que jamais mobilisées et déterminées à faire entendre les réalités de vie des femmes.

Racisme et sexisme à l’IHECS ? Le Collectif Mémoire Coloniale réagit

Le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations réagit à la polémique autour des récents propos d’un professeur de l’IHECS : lors d’une conférence, ce dernier a multiplié les stéréotypes, en particulier sur la sexualité des femmes noires. Ce n’est pas un hasard, selon Kalvin Soiresse Njall.

Deux militantes afro-féministes, Mireille-Tsheusi Robert (auteure et membre de l'asbl Bamko, à droite, en veste noire) et Sama M. protestent contre les propos tenus par le professeur Demeuldre.

Il y a deux mois, l’IHECS (Institut des hautes études des communications sociales) invitait un professeur de musicologie, monsieur Demeuldre, dans le cadre d’une conférence sur les origines du hip-hop. Au lieu du thème prévu, les étudiant·es ont assisté à une suite ininterrompue de clichés à l’égard : des touristes japonaises, des hommes homosexuels, des handicapé·es et tout particulièrement des femmes noires.

À l’écoute de l’enregistrement de la conférence, on ignore si le professeur s’exprime au sein d’une école qui forme de futur·es professionnel·les de l’information et de la communication ou plutôt depuis le café du commerce. Sans aucun esprit critique, il érotise les femmes noires, les animalise, les essentialise : de quoi nous rappeler l’imaginaire colonial et la longue histoire de la fascination occidentale pour la sexualité des femmes d’Afrique subsaharienne. À grand renfort d’ « imitations » et de références à sa vie privée – dont sa vie intime et sexuelle –, le professeur décrit des pratiques culturelles et des traditions sans aucune posture scientifique. Son ton est badin, grivois. Nous sommes perdues : est-ce de l’humour ? Pense-t-il ce qu’il dit ? Est-ce acceptable ?

Ce cours aurait pu tomber dans l’oubli, tant il n’a suscité aucune réaction de la part des étudiant·es qui y ont assisté ; mais il a ressurgi après la publication de son enregistrement audio. Indignées par les propos du conférencier, des étudiantes de l’IHECS ont décidé d’interpeller la cellule afro-féministe du Collectif Mémoire Coloniale. Ce collectif, sous la plume de deux de ses membres, Geneviève Kaninda et Lesly Makoso, a publié un communiqué afin de dénoncer la teneur raciste et sexiste des propos du professeur.

Dans un communiqué de presse, l’IHECS s’est ensuite excusé… d’avoir mis en ligne le podcast, et a joint un courrier du professeur qui présente sa démarche pédagogique en faisant appel à de multiples références scientifiques, et qui regrette le « lynchage médiatique » autour de sa personne.

Pour en savoir plus sur le fond de cette polémique, axelle a interrogé Kalvin Soiresse Njall, le président du Collectif Mémoire Coloniale.

Ces étudiantes ont été choquées par les propos du professeur, mais aussi par le fait que ce cours était une matière d’examen !

Comment avez-vous été informé·es des propos tenus par le professeur Demeuldre ?

Kalvin Soiresse Njall : « Dans notre collectif, nous avons une cellule de veille qui rapporte des choses qui pourraient nous interpeller, notamment des actes ou des propos qui perpétuent l’héritage colonial belge et sur lesquels nous pouvons réagir. Nous avons également une cellule afro-féministe, qui travaille sur l’intersectionnalité entre le racisme et le sexisme. La responsable de cette cellule a été interpellée par des étudiantes de l’IHECS, afro-descendantes ou non. Ces étudiantes ont été choquées par les propos tenus il y a deux mois, mais aussi par le fait que ce cours était une matière d’examen ! Vous vous rendez compte ? C’est là qu’elles ont eu l’idée de nous communiquer l’enregistrement audio. Cet enregistrement est une chance. Sans lui, on nous aurait traités d’affabulateurs. »

Dans votre communiqué, vous dénoncez l’intervention du professeur Demeuldre et vous la qualifiez de « raciste » et « sexiste ». Ce sont des termes très forts et spécifiques. Pourquoi les avoir choisis ?

La conférence était aussi teintée de racisme car ce monsieur, sur le ton de la désinvolture encore, imite des accents rwandais et congolais de manière péjorative.

« Nous n’avons pas dit que le professeur était raciste mais que ses propos étaient « teintés de racisme et de sexisme ». Nous considérons que le racisme est conscient, mais aussi inconscient. On se rend compte qu’il s’agit d’un professeur qui a tout ce bagage et cette expérience, dont une expérience scientifique, culturelle et personnelle en Afrique : malgré cela, il ne prend pas de précautions scientifiques. Il ne contextualise pas ses propos que nous estimons donc teintés de sexisme car, sur le ton de la désinvolture, le professeur présente « la femme » et son sexe comme un fantasme, un objet. C’est pour cette raison que nous avons dit que c’était absolument sexiste. D’ailleurs, depuis le cours, nous avons reçu des plaintes d’étudiantes afro-descendantes à qui l’on a dit : « Veux-tu que je te titille le clitoris ? » [en référence à l’un des propos tenus par le professeur, ndlr] Ce qui est grave ! La conférence était aussi teintée de racisme car ce monsieur, sur le ton de la désinvolture encore, imite des accents rwandais et congolais de manière péjorative. Il n’a mis aucun filtre scientifique à son discours. Le sens de notre intervention ne s’en prenait donc pas au professeur mais à ses propos, tout simplement. »

Lorsqu’on écoute le professeur, on est étonnées d’entendre des propos d’un autre âge qui rappellent le « fantasme indigène » des colonisateurs, avec leurs représentations et leurs discours racistes et sexistes.

« Monsieur Demeuldre explique qu’il a eu une femme rwandaise, qu’il a fait beaucoup de choses positives en Afrique. Mais ce qui est choquant, c’est qu’il parle de sa femme comme d’un objet de fantasme. Il n’y a pas de respect dans ses propos. Le racisme peut être inconscient, intégré. Il y a par exemple des colons qui ont eu des enfants métis alors qu’ils étaient racistes. Cela ne veut rien démontrer.

Dans notre société, il y a encore des stéréotypes et des préjugés issus de la colonisation qui sont profondément ancrés dans les têtes et dans les habitudes. Ils persistent aussi dans les milieux politique et universitaire, où l’on entend des propos absolument inacceptables sur les femmes noires. Cela vient de l’hypersexualisation. On se rappelle la « Vénus hottentote  » qui a été amenée d’Afrique à cause de ses formes. Elle est devenue un objet de foire. C’est notamment de là que vient ce fantasme de la femme africaine noire aux formes proéminentes, qui serait lascive, qui serait plus ouverte que les femmes blanches, avec une sexualité débridée. Ce fantasme est profondément ancré. Quand les colons sont arrivés, ils ont transformé les populations, dont les femmes, en objets. Je pense que les propos de monsieur Demeuldre ne sont pas étrangers à cet ancrage, à ces stéréotypes propagés par la propagande coloniale. »

Dans votre communiqué, vous insistez sur le fait que ces propos ont été tenus dans un cadre académique, et que ce contexte est particulièrement scandaleux.

Il est nécessaire de mettre en place des outils pour décoloniser la mentalité des étudiants et des institutions.

« C’est scandaleux car, quand on se trouve dans un cadre scientifique, on doit avoir une attitude scientifique. Ce que monsieur Demeuldre n’a pas eu. Ce qui est également choquant, c’est que les responsables académiques et scientifiques de l’IHECS n’ont pas pris leurs responsabilités : ils défendent le professeur. Dès lors, ils ne soutiennent pas les valeurs qui sont prônées par la Fédération Wallonie-Bruxelles et par notre société : c’est-à-dire le refus du sexisme et du racisme.

L’autre scandale, c’est que la construction coloniale de cette « hypersexualité » de la femme noire et métissée n’est pas étudiée, ou très peu. Il est donc nécessaire de mettre en place des outils pour décoloniser la mentalité des étudiants et des institutions. »

Il est vrai que la réaction de l’IHECS est quelque peu étonnante. L’école ne condamne aucunement les propos du professeur. Au contraire, elle tente de les minimiser, allant jusqu’à en justifier certains.

« L’IHECS défend les propos du professeur, fait preuve de lâcheté en ne se prononçant pas sur le fond et nous accuse de diffamation. Or, nous avons écouté l’extrait audio et nous l’avons disséqué. Mais cette réaction ne nous étonne pas. »

Certain·es étudiant·es ont même écrit une lettre ouverte pour dénoncer le « lynchage médiatique » dont serait victime leur professeur. Qu’en pensez-vous ?

« En tant qu’enseignant, je suis déçu et inquiet. D’abord, ces étudiants, qui parlent de « lynchage médiatique », considèrent que ce qui est scandaleux, ce n’est pas le contenu du cours, mais la réaction des médias. Nous considérons donc qu’ils soutiennent les propos du professeur.

Je pense que l’objectif d’une école et d’une université, c’est d’amener les élèves à avoir un sens critique, à avoir du recul par rapport à la société dans laquelle ils vivent, pour la faire avancer. Ces étudiants ont montré qu’ils n’avaient aucun sens critique. Je ne sais pas quelles valeurs on leur enseigne. Aucun n’a levé la main pour s’insurger contre ces propos, ce qui m’interroge sur leur formation universitaire, de même que sur la cohésion sociale : la majorité des signataires de cette lettre sont blancs et ne sont pas directement concernés par les propos du professeur. »

En effet, à l’écoute de l’enregistrement, on entend dans la salle des rires, des silences, mais personne ne s’indigne ouvertement des propos tenus par le professeur. Comment expliquez-vous cela ?

Dans nos rues, mais aussi dans les mentalités, ces stéréotypes coloniaux sont devenus une banalité.

« Notre pays, la Belgique, n’a fait aucun travail de décolonisation. Lorsque vous êtes dans notre espace public, vous vous rendez compte de la manière dont l’histoire coloniale a profondément marqué la Belgique. C’est plus de 80 ans d’histoire, de propagande, d’initiatives, d’exploitation économique qui ont amené notre pays à devenir la deuxième puissance économique du monde à la fin du 19e siècle. Dans nos rues, mais aussi dans les mentalités, ces stéréotypes coloniaux sont devenus une banalité. Ces étudiants rigolent parce qu’ils entendent ça tout le temps. Pour eux, c’est devenu banal. La « Rwandaise qui aime le sexe », c’est devenu banal. C’est tellement ancré en eux que c’est devenu inconscient. Je pense que c’est ce qui s’est malheureusement passé. »

La plupart des médias qui ont repris l’information se sont surtout focalisés sur les propos tenus par le professeur concernant des pratiques sexuelles rwandaises liées au clitoris des femmes. Pourtant le cours, que nous avons écouté dans son intégralité, regorge de propos racistes et sexistes. Est-ce que ce traitement de l’information n’est pas précisément l’illustration de cette curiosité malsaine ou de ce voyeurisme pour la sexualité des femmes noires ?

« Bien sûr ! Notre société est marquée par le fantasme de « la femme noire ». La société occidentale est marquée par cela. Ce fantasme dégueulasse se perpétue. Je suis sûr que si le professeur n’avait pas parlé de sexe ou de clitoris, il n’y aurait pas ce déchaînement médiatique. Avec le Collectif Mémoire Coloniale, nous faisons souvent des communiqués, des manifestations, mais qui ne font pas un tel bruit dans la presse. Les médias ont repris l’information pour cette raison aussi. »

L’affiche de la “Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine” (Nations Unies)

Selon vous, qu’est-ce que cet événement, présenté comme un fait divers, nous dit sur la société ?

« Ce n’est pas un fait divers : nous considérons que c’est la énième manifestation d’un phénomène qui suit d’autres événements sexistes et racistes dans les universités. Qu’est-ce que ça dit de notre société ? Ça dit que depuis l’indépendance du Congo, le travail de décolonisation n’est pas fait. Or, il y a des moyens de travailler cette décolonisation : par l’enseignement, l’éducation, le travail sur l’espace public. C’est d’ailleurs dans ce sens que l’ONU a décrété 2015-2024 Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, tant les stigmates sur ces personnes sont persistants. Jusqu’ici, on se demande ce que la Belgique a fait dans ce cadre. Surtout quand on voit les réactions de certaines personnes, qui ont trouvé scandaleux que nous prenions la parole pour dénoncer ces propos. »

50-50 ? 125 réalisatrices belges réclament la parité dans le cinéma

La Fédération Wallonie-Bruxelles fête actuellement les 50 ans de l’aide à la création cinématographique, et met 50 films à l’honneur… dont six seulement ont été réalisés par des femmes. Interpellées par cette inégalité, 125 réalisatrices dénoncent la sous-représentation des femmes dans le cinéma, et appellent à la parité.

© Marie-Françoise Plissart

Pour les 50 ans d’aide à la création cinématographique, la Fédération Wallonie-Bruxelles a choisi en effet de marquer le coup, en mettant 50 films à l’honneur. C’est la campagne « 50/50 » : cinquante ans de cinéma belge, cinquante ans de découvertes. Les réalisateurs et réalisatrices des films mis en lumière par la Fédération étaient invité·es la semaine dernière à participer à une photo-souvenir (41 ont effectivement pris la pose).

L’élément déclencheur

Comment est-ce possible qu’en 2017, nous ne soyons que 6 sur 41 ?

Sophie Bruneau, cinéaste (Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Arbres) et professeure à l’INSAS, était conviée. « Sur 41 réalisateurs, il y avait… six femmes [Au total, 9 films réalisés par des femmes figurent parmi les 50 sélectionnés, ndlr]. Cette disproportion a déclenché chez nous, et notamment chez la réalisatrice Géraldine Doignon, une interrogation : comment est-ce possible qu’en 2017, nous ne soyons que 6 sur 41 ? Notre réaction n’est pas contre la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais contre cette image frappante de l’inégalité entre les femmes et les hommes. La représentation des femmes aurait dû être un critère ! C’est d’autant plus criant que la majorité d’entre nous apparaissent à l’arrière de la photo… »

50 films pour 50 ans, d’accord, mais bien loin des 50-50 entre les femmes et les hommes. Les réalisatrices décident donc de prendre une autre photo, à leur manière, pour rendre visibles les femmes qui, aujourd’hui, réalisent des films en Belgique francophone. Leur mot d’ordre : « 50/50 : où sont les femmes du Cinéma belge francophone ? Les réalisatrices se rassemblent pour dénoncer une sous-représentation et réclamer la parité ». En quelques jours, elles sont 125 à signer un court manifeste et à témoigner de leur indignation et de leur solidarité. Une partie d’entre elles se sont retrouvées samedi 10 juin au Mont des Arts, à Bruxelles.

« Il y avait une belle énergie, raconte Sophie Bruneau. Si on n’avait pas fait cette image dans l’urgence, on aurait pu être le triple. J’ai senti une vraie envie, une émulation. Il y avait cette diversité entre nous, ces différentes générations, ces différents backgrounds, et en même temps cet enjeu fédérateur sur lequel nous nous retrouvons toutes. »

Un constat, des chiffres

« Il faut aujourd’hui réfléchir à la représentation des femmes dans les écoles et dans l’aide au cinéma, analyse la cinéaste. Car nous avons des chiffres auxquels nous référer : il faut passer à l’étape suivante. »

Nous avons des chiffres auxquels nous référer : il faut passer à l’étape suivante.

En effet, l’an dernier, est parue Derrière l’écran : où sont les femmes ?, une étude exploratoire sur la place des femmes dans l’industrie cinématographique en Belgique francophone, menée par les asbl Engender et Elles Tournent pour le cabinet de la ministre des Droits des femmes. Cette étude a fourni un état des lieux chiffré pour le milieu du cinéma et a permis d’objectiver le profond déséquilibre de la place des femmes dans une industrie par ailleurs très dynamique, et largement soutenue par les finances publiques.

À la lecture de l’étude, décortiquée dans axelle en septembre 2016, se dégagent quelques tendances claires. Tout d’abord, dans les cursus d’études liées au cinéma, les filles sont majoritaires (sauf en technique de l’image) ; mais quand il s’agit d’exercer le métier, il n’en reste que 25 %. Ensuite, peu de femmes déposent des demandes d’aide à la réalisation.

« Je suis enseignante à l’INSAS, explique Sophie Bruneau. Il y a certes de plus en plus d’étudiantes, mais quand on regarde la profession, on les perd, surtout en long métrage et en fiction, pour lesquels la concurrence est rude et les enjeux financiers accrus. » On le voit bien dans l’étude, en effet : plus les besoins de financement sont importants, plus les femmes disparaissent. Pourquoi ? Réseaux dominés par les hommes, peu de modèles, ou manque de confiance en soi, métier trop dur… « Attention !, relevait Marie Vermeiren de Elles Tournent dans nos pages ; parler de manque de confiance, c’est responsabiliser les femmes. Il faut surtout que le ‘boys club’ s’ouvre ! »

Façonner les imaginaires

Nous avons la responsabilité de construire de nouveaux récits.

« Être réalisateur, c’est un poste de pouvoir, symbolique et économique », explique Sophie Bruneau. Or les femmes sont porteuses d’un imaginaire et d’une singularité. C’est important qu’on les retrouve. Dans notre métier, nous sommes à la source de l’imaginaire et des représentations – comme des héroïnes en action, par exemple : c’est un enjeu collectif, qui nous dépasse personnellement et qui concerne toute la société. Mais nous aussi, nous sommes prises dans nos propres processus d’éducation, nous avons intégré cette sous-représentation. Il faut bouleverser cela ; nous avons la responsabilité de construire de nouveaux récits. »

Pour des politiques volontaristes

« Dans un premier temps, notre photo était un cri pour dire : quelque chose ne va pas, ce n’est plus possible. Et puis un collectif va se créer, qui sera un groupe de réflexion et d’action. Nous allons nous réunir, faire connaissance. C’était tellement joyeux de se rencontrer ! Tout à coup, on s’est mises à se parler… Nous voulons que les choses bougent, et la photo le montre », raconte Sophie Bruneau.

Les réalisatrices souhaitent tout particulièrement réveiller les consciences et, avec la Fédération Wallonie-Bruxelles – qui est pour elles un partenaire privilégié –, mettre en place des mesures concrètes pour transformer la réalité. Sophie Bruneau pense notamment à des critères dans l’attribution des subventions, ainsi que le mettent en œuvre le Québec et la Suède. « Si on ne passe pas par des politiques volontaristes et des leviers stratégiques, je ne vois pas comment on peut y arriver, conclut-elle. Il faut mettre en place des critères pour plus d’égalité entre les femmes et les hommes. C’est bien sûr valable pour toute la société en général, mais parce que le cinéma draine de l’argent, les rapports de domination y sont plus aigus qu’ailleurs. »