Congrès de Vie Féminine : “Pour que chaque voix compte et se tricote avec les autres”

Vie Féminine, mouvement centenaire belge de femmes, a tenu son congrès ce samedi 14 octobre. Au menu : la question des publics et de leur participation, et les liens du mouvement avec ses services. L’occasion de réaffirmer son identité et d’ouvrir des chemins pour l’avenir. Une invitation à se mettre au travail et en mouvement. Une journée chaleureuse pour appuyer l’importance d’être unies et solidaires malgré les divergences et les désaccords, de rester debout face aux menaces multiples qui pèsent sur les droits et les vies des femmes.

Le samedi 14 octobre 2023, Vie Féminine organisait son congrès à Namur. © Manon Legrand, pour axelle magazine

Bienvenue à notre Congrès, à votre Congrès. Nous nous sommes toutes levées pour nous rejoindre afin de préciser encore plus qui on est ensemble, ce qu’on veut être ensemble. […] La diversité chez Vie Féminine n’est pas un vain mot. Les us et coutumes, les manières de voir les choses, les priorités, les préoccupations – l’humour même parfois – peuvent varier assez fort, d’un territoire à l’autre. Et c’est une gageure de tenter de tricoter tous ces fils pour en faire un pull qui nous tienne chaud dans les années à venir.” C’est par ces mots que la présidente de Vie Féminine depuis 2018, Aurore Kesch, a ouvert le Congrès de Vie Féminine. La métaphore du tricot est délicieusement subversive pour le mouvement, moqué parfois pour ses activités “tricot”.

Près de 250 femmes se sont retrouvées à La Nef, église namuroise désacralisée qui, pour les plus anciennes du mouvement, constitue peut-être un clin d’œil à une grande décision prise il y a plus de 20 ans (lors de son congrès de 2001), celle de se départir de l’adjectif “chrétien”. Un choix qui avait d’ailleurs fait perdre quelques plumes au mouvement. Ce samedi d’octobre, l’ex-lieu de culte est transformé en agora citoyenne de femmes, intergénérationnelle et interrégionale.

Aurore Kesch, présidente de Vie Féminine. © Manon Legrand, pour axelle magazine

Un processus de deux ans

On ne tricote pas un pull en deux jours, surtout à autant de mains. On n’actualise pas un projet social et politique en quelques heures, mission impossible. Le congrès de Vie Féminine a nécessité deux ans de préparation et de travail. “Nous avons beaucoup travaillé à son accessibilité, pour entendre et donner envie à un maximum de femmes d’y participer, et toucher notre réseau le plus large”, nous expliquait Aurore Kesch en septembre dernier. Un processus qui, pour elle, “loin de n’être que méthodologique, est éminemment politique”. Deux années ponctuées de plusieurs étapes : le temps de la consultation – plus de 70 consultations auprès de 600 femmes en Wallonie et à Bruxelles – “pour que chaque voix compte et se tricote avec les autres”, selon les mots de la présidente ; le temps de l’analyse, “nécessaire pour mettre sur la table les échanges, les tensions, les divergences” afin d’aboutir ensuite aux premières conclusions qui ont été présentées et mises en discussion dans les différentes régions.

“Le processus était très intéressant sur le plan de l’éducation permanente”, relève Louise, responsable de la régionale de Bruxelles, pour qui ce congrès est le premier. “Travaillant avec des groupes de FLE [français langue étrangère, ndlr], on a dû faire de nombreuses adaptations lors des consultations, poursuit-elle. En matière de langage d’abord, mais aussi de contextualisation, car beaucoup de femmes viennent chez nous pour apprendre le français et pas vraiment pour être à Vie Féminine. Dans certains groupes, des choses sont sorties dans les consultations, et ont ouvert la réflexion à des thématiques à travailler.”

Des fondements et des tournants

“Accueillir les conflits est fondamental pour un mouvement comme le nôtre”, a défendu Aurore Kesch. “Avec ce long dispositif de consultation, de débats et d’assemblées mises en place, on a dès le départ voulu souligner ce qui faisait consensus, mais aussi identifier ce qui faisait désaccord, lourd ou léger. Identifier du commun tout en reconnaissant la légitimité des spécificités et des particularités sans se dresser les unes contre les autres, c’est très fort comme exercice démocratique. C’est aussi faire vivre nos solidarités politiques.” Le jour même du congrès n’était toutefois pas un lieu de grand débat puisque tout le travail avait déjà été fait minutieusement en amont.

Identifier du commun tout en reconnaissant la légitimité des spécificités et des particularités sans se dresser les unes contre les autres, c’est très fort comme exercice démocratique.

Durant la matinée, l’assemblée a passé en revue 16 articles, votés à une large majorité, ainsi qu’une motion. Certains articles ont réaffirmé des choses qui faisaient déjà partie de l’ADN de Vie Féminine, sur lesquelles il était nécessaire de “refaire culture commune”, “pour une conscience élargie”. D’autres articles relèvent davantage de “pas en avant”, voire de “tournants” du mouvement – toujours avec un œil dans le rétro – pour rester connecté aux réalités des femmes qui le composent aujourd’hui. L’article 13 par exemple “reconnaît que les groupes spécifiques (répondant aux besoins de certaines femmes partageant des réalités ou des discriminations communes) ont toute légitimité” et qu’ils ont besoin de moments “de renforcement entre pairs pour consolider les luttes collectives”. Les articles 10 et 11 redonnent des balises à la participation. “Vie Féminine considère que la liberté des femmes de venir, de venir comme elles sont, de partir, de revenir, à leur rythme, soutient leur participation à notre Mouvement” (article 10). “Il n’y a pas d’échelle de valeurs dans la participation à Vie Féminine. Être là, c’est déjà participer”, souligne l’article 11. Une question qui, dans sa mise en pratique, concerne les participantes, mais aussi les conditions d’accompagnement que les bénévoles et salariées offrent aux femmes. Et qui a fait réfléchir en amont. “Cette question de la liberté est intéressante, car elle remonte vraiment du terrain. Mais elle peut aussi être difficile à gérer pour les animatrices. On en a beaucoup discuté pour arriver à l’idée que c’est le projet qui est le moteur des femmes, c’est là que réside leur engagement”, relève Dominique de Huy-Waremme.

C’est important de se réapproprier les termes, anciens comme nouveaux, et de voir quel sens ils ont pour nous.

Lors du congrès, certains articles ont fait l’objet d’interventions de différentes régionales appelant à de la vigilance dans leur mise en œuvre concrète. L’article 9 a ainsi suscité une prise de parole autour de l’utilisation de l’adjectif “vulnérables” qui pourrait renvoyer à une “fragilité” des femmes, contradictoire pour un mouvement qui entend émanciper et empuissancer les femmes.

Des femmes rappellent également l’importance de “travailler aussi avec les hommes”. On le sent, les façons d’agir prennent diverses formes, sans hiérarchie. Et l’espace est ouvert au dialogue et au travail. “C’est important de se réapproprier les termes, anciens comme nouveaux, et de voir quel sens ils ont pour nous”, souligne Dominique. Comme… le féminisme par exemple ! L’article 12 stipule : “Il existe différents féminismes. Celui qui fait consensus à Vie Féminine est intimement lié à notre histoire et nos pratiques d’Éducation Permanente : il donne le temps aux expériences individuelles et spécifiques de construire une parole collective pour l’émancipation de toute les femmes.”

Durant la matinée, l’assemblée a passé en revue 16 articles, votés à une large majorité, ainsi qu’une motion. © Manon Legrand, pour axelle magazine

Enfin, la motion votée engage le mouvement dans quelque chose d’ambitieux : “Vie Féminine est consciente des oppressions spécifiques et systémiques subies par les femmes lesbiennes, bisexuelles et trans. En tant que Mouvement féministe, nous souhaitons contribuer à une société vraiment inclusive. Dans un premier temps, nous nous engageons à mettre en place, le plus rapidement possible, une sensibilisation de notre réseau (via des formations, des ateliers, des animations, des stands, etc.) basé sur la récolte des vécus, besoins et réalités concrètes de terrain.”

Vie Féminine est consciente des oppressions spécifiques et systémiques subies par les femmes lesbiennes, bisexuelles et trans. En tant que Mouvement féministe, nous souhaitons contribuer à une société vraiment inclusive.

“Je m’attendais à ce que les gens soient contre. Et au final, ça a été accepté et c’est une super nouvelle”, s’enthousiasme une participante. “Cela montre qu’on discute de choses importantes concernant la société actuelle. On doit apprendre ces nouveaux langages et ces réalités mises sur la table aujourd’hui qu’on ne comprend pas toujours”, abonde sa voisine. Celle-ci souligne aussi le défi désormais de traduire cette motion inclusive en actes : “On ne sait pas encore comment concrètement on va faire ou réagir dans nos groupes. Il y a du boulot.”

“Ce projet social et politique va nous mettre en mouvement, c’est sûr. Toute la question sera de voir comment on va faire avancer ça désormais sur le terrain et comment les bénévoles et animatrices continueront d’être impliquées, quel temps et quels moyens on va se donner”, observe aussi Louise de Vie Féminine Bruxelles. Aurore Kesch l’a bien souligné : “Nos temporalités en éducation permanente sont vraiment longues, mais elles sont aussi une résistance au “monde qui va trop vite” et qui nous divise.” Et de donner rendez-vous aux femmes dans les mois qui viennent “pour concourir à la traduction de ce texte” et “porter haut et le plus loin possible les revendications”.

Faire lien avec les services

En seconde partie de journée, le congrès a acté une mise au travail, dans les mois et les années à venir, du mouvement avec ses services. En effet, Vie Féminine, outre ses missions d’éducation permanente, regroupe aussi la Fédération des services maternels et infantiles (FSMI) qui coordonne et fédère 12 associations organisant l’accueil de l’enfance (lire à ce sujet l’interview d’Anne Teheux), Le Déclic, service spécialisé dans l’accueil et l’accompagnement pour les femmes victimes de violences, le CEFM (Centre d’écoles de promotion sociale et de formation socio-professionnelle de Vie Féminine), Mode d’Emploi, centre d’insertion socio-professionnel qui vient de fusionner ses 7 centres régionaux répartis sur la Wallonie et la Frauenliga de la région germanophone.

Le chantier portera autour de quatre grandes questions qui ont été soumises au vote et approuvées : “Qu’a-t-on en commun aujourd’hui ? Et pour demain ? Quels liens entre nous voulons-nous ou ne voulons-nous plus ? Quelles seraient les conditions nécessaires et de réussite pour créer/entretenir ces liens ?”

“Nous avancerons sans tabou. Nous répondrons à ces quatre questions, non pas pour les détricoter mais pour les faire évoluer comme les histoires particulières de chacune des composantes de ce mouvement social, comme a évolué aussi notre histoire commune”, a souligné Hyacinthe Gigounon, secrétaire générale, rappelant la force de Vie Féminine “de jongler entre héritage, son histoire et sa continuité, évolution, avenir et innovations” en vue “de répondre au mieux aux besoins des femmes”.

Être visibles

Aurore Kesch a conclu la journée devant un parterre d’invité·es extérieur·es rassemblant notamment la ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles Bénédicte Liénard (qui compte parmi ses compétences la Culture, les Droits des femmes ou l’Enfance), mais aussi la présidente du MOC Ariane Estenne ou encore Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC ou encore des représentantes du mouvement Soralia (anciennement Femmes Prévoyantes Socialistes). La présidente de Vie Féminine a notamment dévoilé quelques exigences du mouvement en vue des élections de 2024 : l’individualisation des droits, la fin du statut de cohabitant·e, la poursuite de la lutte contre les violences faites aux femmes et les inégalités organisées dans la sphère du travail des femmes qu’il soit gratuit ou salarié, la poursuite de la lutte contre le racisme, l’augmentation significative de places d’accueil pour la petite enfance, etc. Des combats collectifs essentiels pour défendre, arracher et garantir des droits qui, dans un contexte de post-pandémie, de crises multiples, de guerre et de montée de l’extrême droite, sont d’autant plus fragilisés, menaçant les femmes en première ligne.

Comment faire valoir ses droits dans un monde dans lequel on ne compte pas, qui ne nous voit même pas ?

“Il y a ce sentiment lourd de transparence, d’invisibilité aux yeux des pouvoirs publics qui tenaille les femmes avec qui nous travaillons. Comment faire valoir ses droits dans un monde dans lequel on ne compte pas, qui ne nous voit même pas ? Comment avoir envie d’approfondir nos façons de vivre ensemble quand on se sent si peu exister aux yeux des autres ?”, a encore partagé Aurore Kesch.

En ce jour de congrès, les femmes étaient là, réunies, mobilisées et solidaires. Leurs prises de parole, applaudissements, rires et étreintes ont illustré qu’à Vie Féminine, par Vie Féminine, les femmes composent et tissent – ensemble avec leurs spécificités et leurs particularités – un grand filet soyeux et résistant.