Des rires d’enfants résonnent, brisant le silence monastique. On en voit quatre, emmitouflé·es dans leurs manteaux et écharpes. Le pâle soleil de fin d’hiver n’est pas encore venu à bout des plaques de neige qui s’agrippent au bitume. C’est ici que les mômes ont installé des cages de football bancales et tirent à tour de rôle dans les filets. L’un des moines, traits juvéniles, s’est pris au jeu. Dans sa longue robe noire, père Vasile alterne les buts et les passes, riant de bon cœur malgré les frissons qui secouent son corps. En face de ce terrain improvisé, de l’autre côté de la route, se dresse le monastère de Sihastria Putnei, un immense bâtiment soigneusement repeint, surplombé de croix orthodoxes.
Passer la frontière
“Au départ, on était assez stressées, parce que c’est un monastère d’hommes et nous ne savions pas comment nous comporter. Mais nous avons vite compris que nous étions dans un endroit bienveillant.” La voix vient d’Iryna, surnommée Ira. Les bras croisés, elle surveille les enfants au bord du terrain. Ses yeux noirs en amande font écho à sa chevelure brune, coiffée d’une longue natte. Elle montre du doigt deux des garçons : Myha, son aîné de 12 ans, et Vladyslav, le cadet, 8 ans. Ensuite, il y a Sofia et Hlib, les enfants de sa meilleure amie, qui porte le même prénom qu’elle, Iryna. Son bébé, Hordiy, n’est pas là ; il somnole dans son landau à l’intérieur de la maison. “Myha et Sofia sont camarades de classe depuis sept ans. On s’est rencontrées comme ça avec Iryna”, explique Ira.
Les deux femmes ont quitté l’Ukraine, laissant derrière elles leurs familles. “On s’est réveillés un matin, le 2 mars. Nos maris nous ont dit qu’on allait se rendre dans une ville encore en paix en Ukraine, Tchernivtsi, qu’ils allaient nous y laisser un moment et qu’ils reviendraient à la fin de la guerre. Et nous les avons crus.” Iryna a rejoint notre conversation. Elle est coiffée comme son amie, d’une longue tresse qui dépose sa chevelure blond foncé sur son épaule. Elle pointe un van usé, garé à quelques mètres de là. C’est ce fourgon qui les a amené·es jusqu’ici. Derrière le pare-brise, on voit encore le mot “enfants” écrit en ukrainien sur une feuille A4, mince protection contre les bombes russes et les dangers de la route. “Difficile à croire que cette épave a réussi à rouler”, sourit-elle avant de reprendre le récit de leur fuite.
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