Élections : un débat politique 100 % féminin, ça se passe comment ?

Par N°257 / p. Web • Mars-avril 2024

En avril, on ne perd pas le fil des campagnes électorales ! Et puisque les échéances sont cette année plus que jamais nombreuses, à quelques semaines des premières élections régionales, fédérales et européennes, le mouvement féministe belge Vie Féminine organisait le 20 avril le “Grand débat des présidentEs de parti”. Alors, ça change quoi, un panel 100 % féminin ? axelle, partenaire de l’événement, en raconte les coulisses.

De gauche à droite : Lyseline Louvigny (Les Engagés), Caroline Désir (PS), Rajae Maouane (Ecolo), Sofie Merckx (PTB) et Sophie Rohonyi (DéFI) étaient présentes au Grand débat des présidentEs de parti organisé le 20 avril 2024 par Vie Féminine. © Vanessa Vanderkelen / Bigoudis Photos

PrésidentEs de parti ? Enfin, presque, puisque dans notre pays, les partis politiques sont toujours présidés par des hommes, en immense majorité. Mais pour une fois, le panel du débat était 100 % féminin. Un événement organisé par les femmes de Vie Féminine, avec une envie commune : se rendre aux urnes le 9 juin prochain en pleine connaissance de leurs droits… mais aussi des programmes.

Petit comité et non-mixité

L’événement a débuté avec des tables de discussion entre femmes du mouvement sur des thématiques du ressort (notamment) de compétences régionales : le logement, l’accueil de la petite enfance, l’insertion socio-professionnelle, la lutte contre les violences masculines ou encore la lutte contre le “tout numérique” et le “non-recours” aux droits.

Ces tables d’échange, en petit comité et en non-mixité, ont permis aux participantes de confronter et d’étoffer leurs idées sur une thématique précise. Pour préparer ensemble le dialogue avec les candidates, trouver un consensus sur des questions à leur poser, puis débriefer entre elles une fois les candidates rencontrées. Un espace de renforcement entre femmes, mais aussi une (trop) rare occasion pour les participantes d’interroger directement des personnalités politiques.

Les candidates Ludivine de Magnanville (DéFI), Séverine de Laveleye (Ecolo), Armelle Gysen (Les Engagés), Kyriaki Michelis (PS, en photo ci-dessus) et Françoise De Smedt (PTB) ont circulé entre les différentes tables thématiques. © Vanessa Vanderkelen / Bigoudis Photos

Les candidates Ludivine de Magnanville (DéFI), Séverine de Laveleye (Ecolo), Armelle Gysen (Les Engagés), Kyriaki Michelis (PS) et Françoise De Smedt (PTB) ont donc circulé entre les différentes tables thématiques et rencontré les participantes pour un moment d’échange chronométré.

“J’ai été heureuse d’avoir cette rencontre avec toutes ces femmes de Vie Féminine notamment, témoigne Gwendolina Cramaro, bénévole à Vie Féminine à Namur. Ça fait du bien et ça permet de créer une belle énergie, de se sentir moins isolée, moins seule à vivre toutes ces discriminations, ces difficultés d’émancipation et ces situations de violence.”

Gwendolina Cramaro a toutefois ressenti un décalage avec les femmes politiques présentes. “Pendant les tables rondes, j’avais le sentiment parfois d’avoir un décalage entre la réalité de vie des femmes politiques et les nôtres, nos situations socioéconomiques ne sont pas du même niveau. On se demande comment une femme qui vient d’un milieu socioéconomique plutôt élevé, avec un patrimoine, un soutien logistique et financier, peut réellement se mettre à notre place. Donc je trouve que c’est essentiel d’intégrer dans la construction des programmes le milieu associatif, qui est en contact direct avec la réalité de terrain, la réalité des femmes !”

Après des tables rondes, un débat ouvert

Le grand débat des (presque) présidentes a ensuite pris place dans une atmosphère solidaire mais également de revendications. Dans le panel : Sophie Rohonyi (DéFI), Rajae Maouane (Ecolo), Lyseline Louvigny (Les Engagés), Caroline Désir (PS) et Sofie Merckx (PTB).

Debout sur l’estrade : Élodie Blogie, conseillère politique de Vie Féminine. Dans le panel de gauche à droite : Caroline Désir (PS), Lyseline Louvigny (Les Engagés), Rajae Maouane (Ecolo), Sofie Merckx (PTB) et Sophie Rohonyi (DéFI) © Vanessa Vanderkelen / Bigoudis Photos

Dans le public, quelque 140 femmes (et quelques hommes !) étaient au rendez-vous pour entendre et questionner ces candidates sur les grandes priorités identifiées par les bénévoles et travailleuses de la cellule politique de Vie Féminine. Des sujets comme l’autonomie économique des femmes, l’accès à la santé, la migration, la lutte contre le racisme et, enfin, la lutte contre les violences masculines, ont ainsi chapitré le débat. Chacun des temps était introduit par la lecture de témoignages de femmes directement concernées par ces thématiques.

J’ai aussi mon mot à dire !

“Il y a ici un aspect démystifiant, analyse Ibtissem Jebri, animatrice Vie Féminine à Charleroi, car beaucoup de femmes peuvent penser : “Oh non, moi, un débat politique, je n’ai pas les connaissances !” Mais en fait, quand elles se retrouvent impliquées dans ce genre d’événement, elles se disent : “Finalement j’ai quand même de l’expertise, ne serait-ce que dans ma vie et par mes expériences. Donc j’ai aussi mon mot à dire !” Et cela peut fortement influencer la participation des femmes dans la vie politique. C’est un travail que l’on fait déjà à Vie Féminine pour que les citoyennes prennent conscience du poids électoral qu’elles représentent.”

Ibtissem Jebri, animatrice à Vie Féminine Charleroi © Vanessa Vanderkelen / Bigoudis Photos

Selon Ibtissem Jebri, la balle est surtout dans le camp politique. “Lorsqu’on fait face à des politiciennes qui ne maîtrisent pas les sujets ou répondent de manière un peu superflue, il y a aussi un découragement. Alors les femmes peuvent penser : “J’ai perdu mon temps… La politique c’est toujours comme ça, je n’ai plus confiance !” Donc bien sûr, la participation de chacune est importante. Mais le plus important, c’est une participation plus sérieuse des partis politiques, pour que les femmes s’engagent…”

Les participantes interviewées par axelle se disent ravies de cet après-midi d’échanges en non-mixité et de ce débat où le manterrupting (la fâcheuse tendance des hommes à couper la parole aux femmes) n’était pas au programme. Certaines sont un peu plus nuancées quant à l’implication des politiques et regrettent le manque d’approche genrée de certains partis sur des sujets comme le logement ou la fracture numérique.

Clara Stenzel et Amani Mezidi, animatrices à Vie Féminine Bruxelles, rappellent que même si la représentation des femmes en politique évolue, toutes les politiciennes ne sont pas forcément féministes. Celles qui le sont restent souvent tributaires des décisions, plutôt masculines, de leur parti. De plus, la lutte contre les violences faites aux femmes ne semble toujours pas être une priorité dans tous les programmes…

Même si des efforts restent à faire pour réduire la fracture entre citoyennes et élues, les candidates, de leur côté, se disaient ravies de ces panels 100 % féminins (“Quel débat courtois, ça change !”, soufflait Caroline Désir à la fin de l’événement), mais aussi impressionnées d’avoir rencontré une telle audience féminine. Cela rejoint finalement une hypothèse formulée par Clara Stenzel et Amani Mezidi : de cette journée, ce sont sans doute les candidates qui en ont appris le plus.

Car tout comme Gwendolina Cramaro et Ibtissem Jebri le racontent aussi, ce qui a profondément marqué les femmes de Vie Féminine au cours des échanges, c’est l’ignorance largement partagée par les partis sur les réalités de terrain éprouvées par les femmes. Qui demandent des solutions concrètes, espèrent que leurs invitées politiques ont bien pris note des témoignages partagés lors du débat. Pas question qu’elles soient oubliées quand viendra l’heure des négociations.