“Exposer Bastien Vivès, c’est participer à la banalisation de la culture du viol”

Par N°257 / p. Web • Mars-avril 2024

Le 12 avril dernier, 200 personnes ont manifesté contre l’ouverture d’une exposition d’œuvres du dessinateur français Bastien Vivès dans une galerie d’art bruxelloise. En France, cet auteur a récemment fait l’objet de plaintes pour diffusion de bandes dessinées contenant des images pédopornographiques et des scènes de banalisation de l’inceste. Une semaine après l’ouverture de l’exposition, axelle publie cette carte blanche signée par 172 personnalités issues en majorité du monde culturel belge. Elles expliquent pourquoi elles estiment que cette exposition contribue à banaliser la culture du viol et la pédocriminalité.

Le 12 avril 2024, 200 personnes ont manifesté contre l’ouverture d’une exposition d’œuvres du dessinateur français Bastien Vivès dans une galerie d’art bruxelloise. © Ennio Cameriere

“L’auteur de BD français Bastien Vivès est exposé à la galerie Huberty & Breyne à Ixelles depuis le 12 avril et jusqu’au 11 mai. La galerie le décrit comme “un auteur à la fois adoré et critiqué […] qui [aurait] connu une année particulièrement tumultueuse induite par l’annulation de son exposition au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême en 2023, pour cause de polémique”.

Ce n’est pas une “polémique”

La glorification de l’inceste, de la pédophilie et du viol dans des œuvres artistiques n’est pas une “polémique”. Diverses associations françaises ont porté plainte contre ses œuvres, notamment Les Melons de la colère (2011), La Décharge mentale (2018) et Petit Paul (2018).

La première bande dessinée est décrite sur le site de la Fnac avec ces mots : Les Melons de la colère en constitue un contrepoint aussi jouissif que nécessaire. Fini de chouiner comme un bébé, place au sexe. Du fin fond de la campagne française, Les Melons de la colère narre les chroniques tendres et crues d’une jeune fermière qui en a plus dans le soutien-gorge que dans le ciboulot. Le jeune prince de la BD française prouve que les romantiques peuvent aussi être des salauds et signe les scènes de viol aussi dures que sera la vengeance finale.”

Dans La Décharge mentale, un homme est invité à passer une soirée dans une famille de trois enfants, à l’issue de laquelle des actes sexuels ont lieu avec les enfants et les adultes. Petit Paul, sur le site de Glénat, éditeur de l’ouvrage, est décrit ainsi : “Petit Paul vit à la campagne avec son père et sa sœur Magalie. Et il est ce qu’on pourrait appeler un enfant précoce. Bien qu’il ne soit pas encore en âge de penser à la chose, le voici doté d’un formidable attribut difficile à dissimuler et qui déclenche chez les chastes femmes de son entourage les plus violentes des pulsions. À la ferme familiale, chez ses amis ou en classe, notre pauvre petit paysan se retrouve ainsi propulsé, bien malgré lui, dans des situations aussi lubriques qu’absurdes et embarrassantes… Bastien Vivès met à nouveau en scène les héros aussi candides que généreusement pourvus par la nature […] L’auteur de Polina se nourrit des quiproquos pour coucher sur papier ses fantasmes les plus inavouables et prouve, une fois de plus, que son dessin épuré et virtuose lui permet tout. Aussi immoral que réjouissant ; aussi cru que chaud, Petit Paul nous montre qu’il est parfois bon de rire, même si c’est mal.” Il est d’ailleurs signalé sur la couverture de l’œuvre : “ouvrage à caractère pornographique.” Face à l’inceste, l’une des organisations françaises ayant porté plainte, indique sur son site internet que : Ces trois bandes dessinées illustrent sans équivoque le contenu grossier et explicite de la pédopornographie.”

Fiction ? Pas seulement

Les œuvres de Vivès sont des images fictionnelles, or selon le Code pénal belge, la représentation de mineur·es dans une scène pornographique est interdite par la loi (article 417/44 du Code pénal) : “La production ou la diffusion d’images d’abus sexuels de mineurs consiste à exposer, offrir, vendre, louer, transmettre, fournir, diffuser, mettre à disposition, remettre, fabriquer ou importer des images d’abus sexuels d’un mineur, par quelque moyen que ce soit. Cette infraction est punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d’une amende de cinq cents euros à dix mille euros.” C’est le cas des dessins comme le stipule l’article 417/43  : “des images réalistes représentant un mineur qui n’existe pas, se livrant à un comportement sexuellement explicite, ou représentant les organes sexuels de ce mineur à des fins principalement sexuelles.”

Les propos de l’auteur sont clairs et ne laissent place à aucun doute : J’ai fait avec les fantasmes qui m’excitent personnellement, affirmait-il pour parler de Petit Paul auprès du HuffPost. Il soutient également sur le média MadmoiZelle en 2017 : Moi l’inceste, ça m’excite à mort.

Exposer Bastien Vivès, c’est participer à la banalisation de la culture du viol. De plus, la galerie présente l’annulation de la carte blanche de “l’artiste” au festival d’Angoulême comme une source d’inspiration pour ses œuvres : “Pour Vivès, cette exposition est aussi l’occasion de dévoiler l’impact que les récentes polémiques ont eu sur son travail et sa personne. Toujours par le biais des composantes qui le caractérisent ; le rire et l’absurde, bien que l’on ne puisse le résumer à cela.”

Un problème de santé publique

La pédocriminalité n’est pas une affaire de mœurs, c’est un problème de santé publique. La pédocriminalité fait des victimes tous les jours. Le monde de l’art et de la culture a un rôle à jouer dans la lutte contre la pédopornographie afin de lutter contre sa normalisation. La sexualité imposée n’a rien d’un amusement ni d’une distraction artistique. Nous sommes fatigué·e·s de voir l’art et la culture du viol encore liés.

Les conséquences d’œuvres fictionnelles sur les lecteurs et lectrices sont, elles, toujours bien concrètes et réelles. On parle de traumatismes avec de véritables impacts : impacts psychodramatiques, tentatives de suicide, déscolarisation, marginalisation, addictions, mutilations, etc. En Belgique, il n’existe aucune statistique officielle sur l’inceste. C’est pourtant un fléau majeur : en France, par exemple, selon les chiffres de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, on estime qu’un enfant est victime d’inceste toutes les 3 minutes, soit 160.000 enfants chaque année. En Belgique l’ASBL SOS Inceste, qui propose une ligne d’écoute téléphonique pour les victimes, a reçu en 2023 environ 2.000 appels, soit 5 à 6 appels par jour selon les chiffres donnés par RTL.

Culture du viol et du déni

Le cas de Bastien Vivès est un exemple parmi tant d’autres d’une société symptomatique. Les galeries d’art sont parties intégrantes de la société, et elles ne peuvent ni contribuer à l’impunité ni ignorer les mécanismes qui justifient et perpétuent les violences sexuelles. Elles ont une responsabilité sociale et éthique comme tout un chacun. La culture se fait protectrice de la culture du viol et de l’inceste si elle accepte de rester sourde et aveugle face aux luttes contre le sexisme et les violences sexuelles.

Non, Bastien Vivès n’est pas sujet à “controverses et polémiques”. Non, ce n’est pas être “un génie provocateur” que de banaliser la pédopornographie et la pédocriminalité. Non, ce n’est pas être subversif ni défendre “la liberté d’expression” et “la censure” que de lui vouer une exposition. Bien que les œuvres d’art fassent partie du champ de la fiction, elles ont le pouvoir de façonner des réalités sociales et politiques. Choisir de programmer un auteur qui banalise des comportements pédocriminels et qui tend à faire perdurer un modèle sexiste est un exemple de plus du maintien de la culture du viol et du déni dans les milieux artistiques. Programmer un tel artiste est une prise de position. C’est une décision réfléchie que nous ne pouvons soutenir au regard du vécu des personnes concernées.

L’art et la culture ont une responsabilité sociétale, et doivent dès lors répondre de leur choix politique. Nous nous levons aujourd’hui, car nous souhaitons défendre une culture accessible, inclusive, décoloniale, qui protège les victimes au lieu de promouvoir et de visibiliser des artistes qui fantasment sur l’inceste et qui font l’apologie des violences sexuelles sur mineur·es. Ignorer cette réalité c’est mépriser les survivant·es et victimes de violences sexistes et sexuelles et surtout être complice.”

Manon Rondeau, Galerie Magmatic, magmatic@magmatic.be

Signataires

ABDIL (fédération des Auteurices de la Bande Dessinée et de l’Illustration)

Mathilde Merchiers, Galerie La Forest Divonne, Bruxelles

la Maison du Livre, asbl du secteur socioculturel

Perrine Ledan, Échevine culture d’Uccle, Écolo
atelier210 (Bruxelles), asbl, salle de spectacle pluridisciplinaire

Ladyfest Bxl, Festival Féministe Transdisciplinaire et Inclusif

Pauline Rivière, co-fondatrice des Ateliers du Toner et animatrice radio

Catherine Morenville, féministe, échevine Égalité des chances et des genres commune de St-Gilles, Écolo

Manon Schied, étudiante à La Cambre, Bruxelles

Festival Voix De Femmes asbl

Matthieu Goeury, directeur des Halles de Schaerbeek

Romane Armand, autrice et éditrice chez En 3000 éditions, Bruxelles

Sarah Bouhatous, coordinatrice de la plateforme Scivias

Benjamin Monteil, auteur, graveur et musicien, Bruxelles

Morgane Somville, autrice de bande dessinées, illustratrice et enseignante

Julie Beauzac, créatrice du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte

Léonard Garcia, artiste

Dounia Largo, chercheuse en anthropologie et initiatrice de la pétition contre Vivès

Luz de Amor, artiste et programmateur/curateur Maison poème

Mélanie Godin, co-directrice Maison poème

Florent Le Duc, co-directeur Maison poème

Bilou Dricot, musicien.ne, réalisateurice et créateur d’images

Coline Caussade, artiste

Les Équinoxes Festival

Vincent Wagnair, illustrateur

Lucie Miguet, artiste

Hélène Drénou, artiste plasticienne

Bettina Zourli, autrice, journaliste et militante féministe

Morgane Griffoul, illustratrice

BICOLI Collective, bibliothèque féministe autogérée bruxelloise,

Élise Gérard, photographe

asbl ELI – ateliers du Toner

Juliet Flasse, étudiante

Marion Lartigue, maquilleuse, modèle et illustratrice

Joanna Lorho, autrice, enseignante

Guillaume Penchinat, auteur, illustrateur

Exaheva, autrice de bande-dessinée

Kat dems, illustratrice

Rosie Lehance, performeur·euse

Amélie Fuseau, architecte

Lison Ferné, autrice de bande dessinée et illustratrice

Collectif des éditions Mardi Soir

Louise Ollivier, autrice et illustratrice

Lasse Wandschneider, illustrateur, artiste

Liza Reichenbach, autrice de bande dessinée

Léna Cheynel, tatoueuse

Marion Henry, artiste et autrice

Adeline Molle, illustratrice

Ivonne Gargano, illustratrice et auto-éditrice

Racha Belmehdi, autrice

Yann Le Razavet, musicien

Amandine Bertholet, autrice de Bande Dessinée

Elius Bec, auteurice de bande-dessinée et membre de Stachmoule

Stachmoule, collectif de microédition féministe et queer

Collective Fémixion

Camille Van Hoof, autrice de bande dessinée

Coralie de Bondt, illustratrice et sérigraphe

Muriel de Crayencour, artiste et journaliste culture

Cathie Bagoris, artiste

Mathilde Hervé, militante féministe

Camille Mormino, professionnelle de la culture

Amélie Pécot, Illustratrice et autrice de bande dessinée

Camille Lamy, designer

Marine Forestier, autrice et membre de La Satellite

Margaux De Re, féministe, députée Écolo au Parlement

Rajae Maouane, féministe, coprésidente Ecolo

Barbara Dupont, chercheuse et autrice du compte féministe @dou.interjection.dexasperation

Estelle Depris, Autrice, Éducatrice antiraciste du compte @sansblancderien

Paul Marique, graphiste et artiste

Mariel Nils, typographe et graphiste, membre de Byebye Binary et Velvetyne

Cécile Barraud de Lagerie, designer et illustratrice

Morgane Batoz-Herges, travailleuse de la culture

La guilde des illustratrices

Caroline Bertolini, travailleuse de la culture et photographe

Plan SACHA, plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif,

Fanny Dreyer, autrice, illustratrice

Ntumba Matunga, Tétons Marrons

Betel Rose, créateurice du podcast “Rose is the new black”

Mathilde Pecqueur, designeuse textile, co-fondatrice de Maak & Transmettre

Salomé Corvalan, designeuse textile, co-fondatrice de Maak & Transmettre

Camille Pirritano, Graphiste et illustratrice

Carbonaro Camille, éditrice et photographe

Banana Bill, Illustrateur

Fat friendly, association bruxelloise de lutte contre la grossophobie

Camille Loiseau, journaliste freelance

  1. Ottenwaelter, être humain (mon métier ne définit pas la valeur de mon opinion)

Léno/a Zipper, artiste

Apolline Labrosse, co-fondatrice de la revue artistique et féministe Censored

Ichraf Nasri artiste et fondatrice de Xeno- ASBL

Léa Charlet, féministe, improvisatrice, musicienne et coordinatrice d’asbl

Aline Pauwels, réalisatrice et co-fondatrice de la Horde Productions

Irène Tardif, illustratrice

Mélanie Utzmann-North, autrice, illustratrice

Nicolas Baudoin, chargé de promotion livre/édition

Chloé Horta, graphiste

Pauline Reyre, artiste plasticienne

Arnaud Schmitt, artiste plasticien, scénographe

Mathilde They, militante féministe, photographe

Laura Baiwir, June Benhassan, Manon Baile, Marine Betrancourt, membres de l’aslb Les Sous-Entendues

Hayat Belfaqir, Margaux Van Thielen et Héloïse Laval, de l’asbl CFEP

écolo j, organisation de jeunesse politique

Maïa Hamilcaro-Berlin, autrice de Bande-dessinée

Cecil Behar, artiste-auteur

Léa Jarrin, auteur.ice et illustrateur.ice

Erell Hemmer et Déborah Claire, fondatrices de la collective curatoriale féministe Dis Mon Nom.

Eve Brengard, illustratrice

Adlynn Fischer, auteur de bande dessinée

Steph Petre, artiste

Marie Monfils, coordinatrice du Poetik Bazar

Mathilde Van Gheluwe, autrice de bande dessinée et enseignante

Yvan Megal, artiste

Anne-Sophie Guillet, photographe

Lucie Petit Pic, illustratrice, autrice et enseignante,

Sarah Bello Vega, illustratrice

Caroline Gereduz, Costumière

Pelphine, militante du compte @corpscools

Sara Vercheval, artiste illustratrice

Thibault Gallet, auteur

Annabelle Gormand, autrice de bande dessinée et illustratrice

Félix the Rover, auteur illustrateur

Le Poisson sans Bicyclette asbl

Sammy del Gallo, erg

Cyprien Hoffmann, chargé.e de la campagne d’éducation permanente du festival Esperanzah !

Garance asbl

Le Conseil des Étudiant.es de l’erg

Noémie Fachan (Maedusa), autrice BD

Risseb, artiste

Agathe Dananaï, dessinatrice

Maëlle Berthet, artiste

Elles* Font Des Films

Charlotte Bouillot

Leslie Ferré

Laurie Hanquinet, professeure de sociologie, ULB

FACE B

Lysiane Ambrosino

Marouchka Payen, DJ et membre de Bye bye Binary

Nestra

Espace Triphasé, artist run space, Anderlecht

Alice Pandolfo, artiste

Gaetane Rosell, illustratrice

Carole Mousset, artiste
Soralia asbl

Marine Rouelle

Stéphanie Paulus, artiste

Alix Juif, designer·euse

Fanny Peyratout, artiste imprimeuse

Apolline Paquet, production au Kunstenfestivaldesarts

Lyne Bnc, experte genre discrimination et sécurité dans le secteur musical et culturel

Thiernaud Panier, Gallery Manager & Artistes liaison, Bruxelles

Le Massicot, Fédération syndicale des étudiant·es en école de création

Victoriæ Defraigne, auteure et activiste pour la visibilité et les droits des personnes trans

Conseil étudiant.e.s de l’ARBA ESA

Raphaël Prévost, Galerie Manager, Bruxelles

Karolina Parzonko, artiste et travailleuse dans le secteur culturel bruxellois

Lili Deplus, travailleuse dans le secteur culturel

Alice Maës, enseignante

Juliette Leyvraz, artiste

Carole Ventura, directrice du Théâtre CreaNova

Cecile Cée, artiste

Lena Celnik, travailleuse dans le secteur culturel

Nathalie Sottiaux, chargée d’administration à la Maison poème

Camille Sart, artiste plasticien

Mia Brena-Minetti, autrice et artiste

Virginie Cordier, directrice de La Vénerie

Julie Crenn, historienne de l’art et commissaire d’expositions indépendante

Marine Gohier, aka  @seum_euse , projet militant et artistique participatif

Pauline Gransac, artiste plasticienne et graphiste

Arnaud Gallais, cofondateur de Mouv’Enfants

Nina Neuray, autrice, illustratrice et bédéaste