“Quand la police tue” : le courageux combat des familles pour la justice

Le documentaire Quand la police tue relate le combat déterminé et courageux pour la justice de quatre familles – celles de Lamine, Mehdi, Ibrahima, et du couple Sabrina et Ouassim – frappées par la mort d’un être cher à la suite de violences policières. Cecilia Guypen, du média d’action collective bruxellois ZIN TV, suit depuis plusieurs années les mobilisations des familles et a tissé une relation de confiance avec elles. Les témoignages d’Ayoub, Aïsha, Jean-Pierre et Samira, frère, sœur, père, tante de victimes, résonnent entre eux et mettent en lumière tant la détermination de ces familles dans ce long combat que le caractère structurel des violences d’État, leur dimension raciste et l’impunité policière qui règne. Rencontre avec la réalisatrice.

Affiche © Collectif Krasnyi / Karim Brikci-Nigassa

Le point de vue des familles des victimes est au centre de ta démarche. Comment as-tu gagné leur confiance ?

“Ce sont des familles que j’ai connues lors des diverses actions et mobilisations contre les violences policières auxquelles je participe depuis plusieurs années. J’ai construit des liens d’amitié et de confiance avec elles, avant même d’avoir envie de faire un film. Ce film est né d’abord d’une intuition. Je me suis rendu compte que ces histoires se croisaient et racontaient quelque chose de plus systémique. Cela s’est confirmé.

Cecilia Guypen, membre de ZIN TV, réalisatrice du documentaire “Quand la police tue”.

C’est pour cela que j’ai voulu replacer les quatre histoires dans un continuum historique et dans une histoire collective plus large. J’ai aussi pensé ce film comme un outil pour toutes les familles confrontées aux mêmes drames. C’est également ce qui m’anime lors des projections, où j’invite toujours les familles, je leur demande leur avis sur la structure organisatrice de l’événement, je les invite à intervenir tout en veillant à les préserver, car cela peut-être épuisant de raconter plusieurs fois son histoire.”

C’était un choix évident pour toi dès le début de ne donner la parole qu’aux familles ?

“Je pars du principe que je crois les victimes. C’était très clair pour moi dès le départ que je ne laisserais pas de place à la parole policière. D’abord parce que je trouve ça violent de mettre côte à côte dans un même projet documentaire des victimes et des personnes qui sont peut-être responsables – ou leurs représentant·es institutionnel·les.

Je pars du principe que je crois les victimes.

D’autre part, je ne voulais pas donner la parole à la police, parce qu’on l’entend déjà beaucoup dans les médias, et parce que la communication fait partie de la construction de l’impunité policière. Dans les premières heures qui suivent le décès d’une personne, on entend rapidement une version policière, largement diffusée dans la presse, version qui passe ensuite chez les procureurs/euses et à partir de laquelle des réquisitoires de non-lieux sont écrits.

Les représentant·es de la police qui s’expriment dans les médias traditionnels parlent toujours de “dérapages”, de “faits divers”… Ces termes évoquent des occurrences non systémiques, jamais le caractère structurel des violences et le racisme systémique. Selon le discours de la “pomme pourrie”, on met la responsabilité du racisme sur certains individus dits violents qu’il faut sortir du panier, qu’il faut “muter” et puis “tout ira bien”.”

Quels sont les autres éléments qui créent la mécanique de l’impunité policière ?

“J’ai commencé à les lister, car cela devrait faire l’objet d’un manuel pour les militant·es et les familles : récit policier, intimidations des témoins, disparitions des images de vidéos de surveillance, procédures longues et coûteuses, reports d’audience en prévenant les familles à la dernière minute… On peut faire l’hypothèse que cela s’inscrit dans une stratégie de l’épuisement. Le combat de ces familles est un combat sur le long terme.”

Qu’est-ce qui t’a marquée particulièrement dans le combat de ces familles que tu suis depuis longtemps ?

“En tant que militant·es, gardons en tête qu’on est face à des gens qui ont perdu quelqu’un. Le combat politique est super important, bien sûr, mais il ne faut pas oublier le fait qu’il y a un deuil, dont il faut prendre soin. Il y a des collectifs qui sont davantage dans le “care”, d’autres dans le plaidoyer politique. Et parfois ça crée des frictions. Or, ils ont des compétences et des qualités qui vont ensemble.

Lors d’une projection, une personne a demandé à Aïsha comment elle se reconstruisait, comment elle continuait à vivre. Elle a répondu que tous les projets qu’elle menait à titre individuel, c’était pour honorer la mémoire de son frère et réaliser ce que son frère n’avait pas pu réaliser de son vivant.”

À l’issue de ce documentaire, quelle question aimerais-tu approfondir ?

“Je continue à être présente auprès de ces familles, et d’autres familles. Je n’ai pas lâché la lutte après ce film. Avec ZIN TV, on a le projet d’approfondir la question du racisme judiciaire. Lors du procès de Sabrina et Ouassim, la question du racisme n’a jamais été abordée par la juge. La Justice parle toujours de la formation des policiers, mais est toujours muette sur le racisme.

Est-ce que la loi sur le racisme n’est pas assez connue et appliquée ?

Est-ce que la loi sur le racisme n’est pas assez connue et appliquée ? Faut-il la réécrire ? Actuellement, le racisme en tant que tel ne fait pas l’objet d’une prévention pénale. Il est une circonstance aggravante du crime ou du délit. Y a-t-il donc peut-être un biais important dans la loi qui est compris et connu par les forces de l’ordre et qui permet de dépénaliser leur acte criminel ? On voudrait explorer ces questions.”

Est-ce que les choses évoluent selon toi en matière de lutte contre l’impunité ?

“Je n’ai pas assez de recul. Je pense en revanche que le fait qu’il y ait un procès public [dans les affaires Sabrina et Ouassim et Ibrahima Barrie, ndlr], c’est une première brèche dans l’impunité.”

Les victimes au centre du documentaire

Le 9 mai 2017, Sabrina et Ouassim ont été victimes d’une course-poursuite mortelle entamée par la police. Les trois policiers condamnés par le tribunal de police pour homicide ont fait appel et demandent l’acquittement.

Moïse Lamine Bangoura a été tué par 7 policiers et 1 policière à son domicile, à Roulers, le 7 mai 2018. Le 17 décembre 2022, après plus de trois ans de combat, la famille Bangoura a enfin pu enterrer Lamine.

Le 20 août 2019, Mehdi Bouda, 17 ans, a été percuté mortellement par une voiture de police alors qu’il traversait le passage piéton en face de la galerie Ravenstein dans le centre de Bruxelles.

Le 9 janvier 2021, Ibrahima Barrie perdait la vie dans le commissariat de police 4 à Saint-Josse. Le jeune homme avait été interpellé après avoir filmé une intervention policière visant des migrant·es sur la voie publique. 

Pour voir le documentaire

Le 24 février aux Halles de Schaerbeek dans le cadre de l’événement Justice pour toustes.

Le 1er mars, projection organisée par ecolo-J au festival Berta Caceres à Bruxelles.

Le 10 mars au Centre culturel Jacques Franck à Saint-Gilles.

Le 21 mars projection organisée par le Casi-uo au CFS à Saint-Gilles.

Le 13 avril aux Centre culturel de Schaerbeek avec l’AMO AtMOsphères et les Ambassadeurs.

Le 17 avril aux Grignoux à Liège avec l’asbl Barricade et PEC.

Les autres dates et les infos sur le film sont disponibles ici.