La loi contre le sexisme a trois ans : pourquoi si peu de plaintes ?

Le sexisme dans l’espace public est une réalité quotidienne, banale et dramatique. C’est ce qu’il ressort des centaines de témoignages recueillis dans le cadre d’un appel lancé par l’asbl Vie Féminine. Pourtant, depuis trois ans, il existe dans notre pays une loi contre le sexisme. Mais son anniversaire se fête en demi-teinte ; la législation reste en effet controversée. Mal connue, difficilement applicable, souvent réduite à la lutte contre le harcèlement de rue – alors qu’elle concerne « l’espace public » au sens large –, la loi gagnerait à être améliorée : c’est l’avis d’associations féministes et de femmes politiques qu’axelle a interviewées dans le dossier dont cet article est extrait.

© Fabienne Pennewaert / Vie Féminine

Extraits de témoignages reçus par par Vie Féminine  : « Un homme m’a pincé les fesses en pleine rue » ; « Il m’a dit : « Tu montes ? » ; je n’ai pas répondu […], alors il m’a insultée » ; « Un jeune homme m’a embrassée de force »…

Selon l’asbl JUMP, plus de neuf femmes sur dix ont déjà été confrontées à des comportements sexistes dans l’espace public, particulièrement en rue ou dans les transports en commun. Des gestes graves qui rappellent constamment aux femmes qu’elles n’auraient rien à faire hors de chez elles. Une étude de l’Université des Femmes le constate également : « Le phénomène relève en fait de pratiques connues, anciennes qui ont pour terreau la division sexuelle du travail : aux hommes les tâches extérieures, publiques, liées à la production, et aux femmes, les tâches domestiques, privées, liées à la reproduction. »

Ces derniers mois, le mouvement Vie Féminine a donc collecté les histoires de ce sexisme ordinaire, à travers un appel à témoignages destiné prioritairement aux jeunes femmes. Leurs récits permettent de mieux appréhender la situation.

 ‘Je vais baiser ta mère !’, lancé à ma fille de neuf ans en traversant la rue.

Ainsi, l’agression verbale est la catégorie d’agression la plus fréquente. « Pratiquement toutes les jeunes femmes dénoncent avoir subi des insultes », explique Laetitia Genin, coordinatrice nationale de Vie Féminine. Suivent les agressions non verbales (se faire siffler, dévisager ou suivre) et les agressions physiques, qui se révèlent parfois très violentes, comme en témoigne Anya (tous les prénoms ont été modifiés) : « En six mois, j’ai […] eu une main dans ma culotte, un coup de poing et une tentative de ‘bisou’ »… En dernière position se trouvent encore les agressions du type gestes obscènes ou exhibitionnisme.

« J’aurais préféré ne jamais être une femme »

Après ces actes malheureusement trop banals, les femmes se sentent évidemment mal. Parmi les émotions extrêmement négatives qui les traversent, la colère, la frustration, la gêne et l’humiliation arrivent en premier. « Je me sens seule, je perds confiance en moi, je me dis que je suis le problème. Je remets en question mes gestes, mon attitude, ma façon de m’habiller, de me déplacer », confie Sarah.

Soudain, un homme à vélo est passé en roulant près de moi, il m’a caressé les fesses tout en continuant son chemin, sans se retourner, sans rien dire.

Un sentiment de solitude accentué par le fait que peu de personnes les soutiennent lorsque l’agression se passe en public. « Je me suis sentie inintéressante aux yeux des gens du bus. J’avais envie de me laver après l’attouchement, voire même de me couper les seins. […] J’aurais préféré ne jamais être une femme », résume Jessica.

Pour contrer cette impression d’abandon, 87 % des répondantes à l’enquête de Vie Féminine parlent à leur entourage de ce qui leur est arrivé et reçoivent surtout en retour des réactions de colère (36 %), mais aussi de banalisation (31 %). « J’ai fondu en larmes devant ma mère, à qui j’essayais d’expliquer la situation du mieux que je pouvais. Elle m’a rétorqué que je n’avais qu’à le repousser sinon l’homme pouvait croire que j’étais d’accord… », raconte Marine.

L’homme me colle davantage et approche sa bouche de mon oreille pour me susurrer : ‘Saaaaloooope, t’aimes ça hein les saloperies ?’

D’autres insistent sur la différence selon que leur interlocuteur/trice est une femme ou un homme, comme Béatrice qui rapporte que « les femmes s’insurgent en général puisqu’elles vivent la même chose au quotidien. Les hommes réagissent différemment, [ils] trouvent souvent que j’exagère. »

En tous les cas, malgré la honte et les risques de banalisation ou de culpabilisation, les femmes victimes de comportements sexistes ne se taisent pas. « Leur courage m’épate, conclut Laetitia Genin. Et tous ces témoignages montrent la nécessité d’aménager aux femmes un espace de parole sûr. »

CC Mariane Fenon

Peu de plaintes…

Ces situations dévoilent le quotidien harassant de toutes les femmes qui « s’aventurent » à l’extérieur. Il existe pourtant une loi censée lutter contre ces comportements : la loi contre le sexisme, du 22 mai 2014, impulsée par Joëlle Milquet (cdH) dans le sillage de l’émotion suscitée par le documentaire Femme de la rue de Sofie Peeters, qui reçoit à l’époque de sa diffusion, en 2012, un traitement médiatique important.

Un homme m’a insultée et harcelée pendant quinze minutes dans une station de métro en me disant par exemple que je ne devrais pas sortir sans mon mari.

La loi punit d’une peine d’emprisonnement d’un mois à un an et/ou d’une amende de 50 à 1.000 euros l’auteur·e de tout geste ou comportement qui a pour but d’exprimer un mépris à une personne en raison de son sexe, que ce soit dans la rue, ou même au travail, et dans d’autres lieux publics. « [Cette législation apportera] un soutien clair aux victimes, souvent des femmes, en affirmant leur liberté d’aller et de venir dans l’espace public », estime Joëlle Milquet, alors ministre de l’Intérieur et de l’Égalité des chances, au moment de l’adoption de la loi.

Six mois après la mise en application de la législation, axelle avait déjà tenté de dresser un premier bilan, à chaud (n° 177). Maintenant que la loi va sur ses trois ans, où en est-on ? « Nos craintes se sont confirmées, nous explique Irene Zeilinger, sociologue et fondatrice de l’association Garance, qui lutte notamment contre le harcèlement de rue. On constate que les femmes ne portent pas plainte. C’est plutôt le signe que la loi ne fonctionne pas comme il le faudrait. » En effet, tandis que 60 % des répondantes au questionnaire de Vie Féminine disent connaître la loi, seulement 5 % d’entre elles déclarent avoir porté plainte pour les faits qu’elles ont vécus, confirmant les chiffres nationaux fournis par le ministère de l’Intérieur : 18 plaintes enregistrées en 2015, 38 plaintes au cours des trois premiers trimestres 2016.

Pourquoi si peu de plaintes, alors que les agressions sexistes sont visiblement si nombreuses ? « Je n’ai pas porté plainte, et ce, pour plusieurs raisons : je ne savais pas qu’on pouvait porter plainte, et puis je pense que ma plainte n’aurait pas été prise en compte. Porter plainte contre qui ? Je n’ai pas su identifier l’agresseur. » Le témoignage de Chloé illustre l’une des raisons pour lesquelles la loi est si difficilement applicable : comme en droit d’une façon générale, c’est à la victime d’apporter la preuve de son agression (la « charge de la preuve »), ce qui est parfois mission impossible dans le cas des actes sexistes quand ils sont commis par des personnes inconnues. « Je suis allée porter plainte directement après, la police a bien réagi, ils ont envoyé une patrouille directement pour retrouver les agresseurs mais sans succès », raconte une jeune femme qui a répondu au questionnaire de Vie Féminine.

Lors d’un rassemblement de jeunes femmes contre le sexisme le 23 avril 2016 à Bruxelles, étaient organisés des moments d’échange d’expériences comme des ateliers plus concrets. Un cours de skate dans l’espace public, par exemple, pour se renforcer.

Méfiance envers la police

Pour porter plainte, les victimes doivent donc d’abord se rendre au commissariat de police. Une nécessité moins simple qu’il n’y paraît. Des femmes qui témoignent dans l’enquête de Vie Féminine racontent : « C’est assez humiliant comme ça, je n’avais pas envie de risquer d’être rabaissée par la police » ; « Les flics n’en ont rien à foutre », « C’est quelque chose de très banal qui ne fait même pas réagir les passants, alors la police ? » La méfiance envers la police serait donc une autre explication pour le si petit nombre de plaintes. À lire les témoignages, on voit que cette méfiance est fondée.

Je perds confiance en moi, je me dis que c’est moi le problème. Je remets en question mes gestes, mon attitude, ma façon de m’habiller, de me déplacer.

Carol a vécu un entretien d’une grande violence avec un policier. « Il n’était pas au courant de la loi, j’ai dû lui expliquer le concept du harcèlement de rue. Il a rigolé en me demandant si c’était vrai que j’avais « un beau cul » [l’un des commentaires de l’agression, ndlr]. Il m’a demandé comment j’étais habillée pour qu’on me parle de cette façon, m’a dit que ce n’était que des compliments. J’ai insisté pour porter plainte, avec succès […]. C’était tellement pénible, je ne recommencerai plus jamais. » Ou encore Sonia : « Le policier a accepté de prendre note de l’incident, mais pas que je porte plainte. J’ai donc fait rédiger une note, qui bien entendu ne servira à rien, mais je ne voulais pas partir sans rien. »

Les récits de ces deux Bruxelloises n’étonnent pas Marc Garin, commissaire divisionnaire et chef de corps de la zone Mons/Quévy. « Il y a des agents de police qui réagissent impulsivement. C’est une faute déontologique. Même s’il y a peu de chance que le Parquet se saisisse du dossier, ils sont légalement obligés de prendre la plainte. »

Les premiers éléments d’analyse montrent néanmoins que 75 % des répondantes qui se sont tournées vers la police à Bruxelles se disent « satisfaites » des conditions dans lesquelles elles ont été reçues, pour seulement la moitié des Wallonnes. Une différence qui pourrait s’expliquer par l’existence des sanctions administratives communales dans certaines communes bruxelloises. Depuis 2012, ces sanctions punissent les injures sexistes en rue et permettent la formation continue des policier·ières bruxellois·ses. Ce n’est pas le cas en Wallonie. « Nous avons une politique générale anti-discrimination, mais nous ne recevons pas de formation spécifique pour chaque nouvelle législation. Cela ne prive pas les policiers de se renseigner par eux-mêmes ou de se tourner vers un collègue », confirme Marc Garin.

Quelle utilité ?

Il n’est donc pas étonnant que si peu de plaintes soient actées. Méconnaissance de la loi, banalisation des faits et impuissance de la justice sont autant d’obstacles à l’application correcte de la législation contre le sexisme. D’ailleurs, si elle ne combat que difficilement le harcèlement de rue, comment peut-elle avoir pour ambition de lutter contre le « sexisme » dans l’espace public au sens large ?

La réponse est claire pour Irene Zeilinger : « Cette loi ne lutte pas contre le sexisme. Elle fait plus de dégâts qu’autre chose, en créant la confusion entre le harcèlement de rue, c’est-à-dire la volonté d’humilier une femme à un moment, et le sexisme, celle d’humilier toutes les femmes en général. Le harcèlement de rue n’est que la pointe de l’iceberg. » Et le contexte de sa création n’y est peut-être pas pour rien. « Le documentaire Femme de la rue suggère que ce sont les hommes musulmans qui agressent les femmes. Or, le sexisme n’est pas inscrit dans une seule communauté, il fait partie de notre société », continue la sociologue.

Difficile de créer une loi qui combat le système patriarcal dans son ensemble. La loi contre le sexisme concerne les attaques envers une personne en particulier et non pas toutes les femmes en général. Elle n’a par exemple pas été écrite pour empêcher les pubs sexistes, qui s’attaquent pourtant à la dignité de toutes les femmes. « C’est plus difficile d’instaurer des changements profonds dans la société. Il faudrait par exemple consacrer des fonds à la formation des policier·ières et des magistrat·es, mais cela n’a même pas été prévu. Je ne suis pas sûre non plus que la répression soit plus utile que la prévention contre le sexisme », s’insurge Irene Zeilinger.

Les hommes de ma famille disent que ça n’est pas bien grave.

Jimmy Charruau, docteur en droit à l’Université d’Angers qui a étudié la loi belge, n’en pense pas moins : « Alors ineffective, la loi n’en est plus substantiellement une ; elle devient au mieux « rite incantatoire » au pire instrument de communication politique. […] En quittant le terrain du débat social pour préférer celui du combat pénal, elle refoule en effet les tensions plus qu’elle ne les désamorce. » D’où l’urgence de valoriser le travail des associations féministes qui combattent chaque jour le sexisme sur son terrain, en travaillant avec les femmes pour renforcer les résistances collectives et individuelles.

Toutes les citations en exergue dans cet article sont issues des témoignages reçus par Vie Féminine. 

La vie des Japonaises, entre inégalités et résistances

Le siècle des femmes n’est pas encore arrivé au Japon, quoi qu’en dise le Premier ministre conservateur Shinzo Abe, qui espère une société où les femmes « brillent », pour colmater le panier percé de la natalité japonaise. Encore en 2017, les Japonaises occupent une place secondaire dans la hiérarchie patriarcale de la société nippone. C’est à peine si elles osent s’en plaindre, préférant souvent s’autocensurer par crainte du « qu’en-dira-t-on ».

Marche féministe menée à Omotesando (Tokyo), le 23 février 2016, organisée conjointement par les associations Chabujo et Tomorrow Girls Troop. « Je suis celle qui peut dire non », « Ce n’est pas entièrement égoïste de vouloir vivre pour moi »… Les slogans des marcheuses tentent de transmettre le « girl power ». Pour beaucoup de Japonaises, apprendre à se faire entendre représente un vrai défi. © Shinya Hirose, avec l’aimable autorisation de l’association Chabujo.

Rares sont les manifestations pour l’émancipation des femmes au Japon, comme ce 23 février 2016, où un cortège défiait l’omerta sur le bitume hivernal d’Omotesando, en plein centre de Tokyo. Un tel rassemblement en faveur des droits des femmes, « nous n’en avions pas vu depuis bien des années », assure Akiko Yasuda, membre du collectif « Chabudai-gaeshi Joshi » (ou « Chabujo »), dont le nom marque la volonté de faire table rase du passé. Ce groupe de femmes est à l’initiative de la marche avec l’association féministe Tomorrow Girls Troop. La marche a mobilisé une centaine de participant·es à peine. Un timide pavé dans la mare. Ce combat pour l’égalité s’avère pourtant nécessaire dans l’archipel classé 111e pays sur 144 dans le dernier rapport mondial de 2016 sur la parité entre hommes et femmes, présenté au Forum Economique Mondial (FEM).

Derrière les engagements

Est-ce dans la législation que le bât blesse ? Les années 1990 ont fait espérer une nouvelle ère pour les femmes (littéralement « onna no jidai »), encouragées à s’engager dans les professions traditionnellement réservées aux hommes. L’une des principales mesures témoignant des avancées de cette décennie fut l’élaboration du texte « Danjo kyodo sankoku kihondo » (pour la participation conjointe des hommes et des femmes), voté en juin 1999 au Parlement. Cette loi dessine les contours d’une société dans laquelle chacun·e peut prétendre aux mêmes opportunités, tous les secteurs confondus.

Autant de perspectives à l’orée du 21e siècle, dont la première décennie n’a pourtant pas apporté les changements espérés. Dans les entreprises du secteur privé comptant plus de 100 employé·es, 8 % des postes à haute responsabilité étaient confiés à des femmes en 2014. En politique également, la prise de pouvoir des femmes s’est avérée moins fulgurante qu’annoncée : 9,3 % des sièges de la chambre basse du Parlement sont occupés par des femmes en 2017, soit 44 députées sur 475.

Art contre sexisme

Tomorrow Girls Troop, un collectif influent présent dans plusieurs pays, a choisi l’art comme arme de son engagement. « Connecter l’art au féminisme est une manière douce d’avancer ses idées sans risquer de heurter », assure Natsu Kawasaki, artiste japonaise et membre du collectif, basée dans la capitale nippone. « Les artistes qui portent des revendications politiques sont encore rares au Japon », explique la jeune femme. En mai 2016, Tomorrow Girls Troop avait organisé sa première exposition au Youkobo Art Space de Tokyo, nommée « Feminist Fan in Japan and Friends ».

Des membres masquées de Tomorrow Girls Troop remettent un prix symbolique aux propriétaires de la galerie Youkobo Art Space, pour les remercier d’héberger l’exposition « Feminist Fan in Japan and Friends ». © Shinya Hirose, avec l’aimable autorisation de l’association TGT.

L’exposition abritait les œuvres de Kate Just, plasticienne australienne installée en résidence dans la galerie. Dans sa série, elle avait choisi de montrer des portraits de femmes célèbres, de Frida Kahlo à Cindy Sherman en passant par Yoko Ono, reconnues pour leur indépendance d’esprit.

Si une artiste australienne peut exposer sur de tels sujets, ce n’est pas toujours le cas des artistes japonaises elles-mêmes, surtout quand il est question de représenter le corps féminin. Quand, en 2013, l’artiste Megumi Igarashi a créé un kayak en forme de vagin, elle en a payé les frais et a dû faire face à de nombreuses critiques qui lui ont valu un passage devant le tribunal. Le vagin est banni de l’espace public alors que le pénis, lui, est célébré chaque année au printemps pendant le Kanamara Matsuri, la fête de la fertilité, durant laquelle de grandes statues de phallus en fer et en bois sont érigées dans les cortèges, devant les foules amusées.

Connecter l’art au féminisme est une manière douce d’avancer ses idées sans risquer de heurter.

Mais le Japon n’est pas en reste quand il est question de représentations pornographiques féminines, qui trouvent aisément leur place dans les magazines et à la télévision. Une chaîne de télévision câblée bat des records de sexisme tous les ans, en organisant un événement caritatif en soutien à la recherche contre le sida. En échange de dons, les spectateurs peuvent toucher les seins de belles jeunes femmes à la télévision. Entouré d’avocat·es et d’autres associations, le collectif Tomorrow Girls Troop a lancé une pétition cet été pour dénoncer le concept de cette émission, jugée dégradante.

Disparition des femmes au travail

Choisir une carrière est une liberté qui est parfois impossible à envisager pour les Japonaises : les inégalités sont manifestes dans le monde du travail. Aujourd’hui, 60 % des Japonaises arrêtent de travailler une fois mariées. Après le premier enfant, la proportion tend à augmenter encore.

L’une des raisons principales de ces démissions en masse des femmes : le manque de crèches. Les « assistantes maternelles » – gardiennes d’enfants – sont parfois contraintes d’accepter plus d’enfants que la loi ne l’autorise. Beaucoup de parents sont prêt·es à débourser des sommes exorbitantes – jusqu’à 200.000 yens par mois (environ 1.750 euros) – pour placer leur enfant dans les garderies les mieux réputées. « Beaucoup de femmes renoncent à leur travail par dépit car elles ne trouvent pas de place en crèche », assure Takayo Saikawa, militante active du pôle travail chez Chabujo. Même si « certaines choisissent avec plaisir d’être femme au foyer », rappelle avec prudence Natsu Kawasaki.

Les femmes enceintes subissent également des discriminations sur leur lieu de travail. Sayaka Osakabe, victime de plusieurs fausses couches, a alerté l’opinion publique en 2015 sur le phénomène de harcèlement moral que subissent les femmes enceintes dans les entreprises. Par le biais de son association Mataharanet.org, elle est parvenue à rassembler en un an des témoignages similaires de 3.300 femmes.

« Je t’aime, même si nos noms de famille sont différents. » Cette photographie présente dans l’exposition « Feminist Fan in Japan and Friends » met en scène une membre de l’association Tomorrow Girls Troop et son mari, et rappelle avec humour que dans 96 % des mariages japonais, l’épouse adopte le nom du mari. © Shinya Hirose, avec l’aimable autorisation de l’association TGT.

Au Japon, les congés de maternité sont obligatoires pendant 14 semaines (six avant l’accouchement, huit après). Mais pendant cette période, les revenus des femmes sont diminués aux deux tiers… Quant aux hommes, ils sont encore très peu nombreux à demander des congés de paternité (2,7 % en 2011). Pourtant, la loi leur autorise 52 semaines de congés après la naissance, une moyenne haute à l’échelle mondiale.

Aujourd’hui, 60 % des Japonaises arrêtent de travailler une fois mariées. Après le premier enfant, la proportion tend à augmenter encore.

Enfin, concernant les mères sans emploi, elles ont du mal à trouver un travail avec un enfant à charge. La plupart rencontrent des difficultés pendant l’entretien d’embauche. « Les questions sur la situation familiale reviennent souvent dans les entretiens alors qu’il n’en est jamais question pour les hommes », précise Takayo Saikawa.

Des collectifs se mobilisent

Ce sexisme organisé de l’univers du travail a un prix – à part bien sûr celui payé par les femmes… – : la chute du taux de natalité. La population japonaise, qui s’élève aujourd’hui à près de 128 millions d’habitant·es, pourrait passer sous la barre des 90 millions en 2060, selon le bureau des statistiques du Ministère des Affaires Intérieures et des Communications. Le gouvernement de Shinzo Abe planche sur des mesures pour permettre aux femmes de conjuguer plus facilement travail et famille. Augmenter le nombre d’enfants à charge des assistantes maternelles agréées est une idée soutenue par le Parti libéral démocrate (PLD), mais critiquée par des associations de femmes pour qui cela entraînerait des problèmes de sécurité supplémentaires.

Les collectifs féministes du Japon se mobilisent donc pour redonner la parole aux oubliées, espérant que les voix des femmes pourront renverser les inégalités qui empêchent leur autonomie. C’est la raison pour laquelle Takayo Saikawa est entrée à Chabudai-gaeshi Joshi il y a un an : « J’apprends petit à petit à m’exprimer en public et auprès de mon mari. » Que de chemin parcouru pour cette militante, qui entend insuffler ce même courage à d’autres.

“Et des terrils un arbre s’élèvera” : la photographe LaToya Ruby Frazier s’expose au Mac’s

Une exposition exceptionnelle se tient au Mac’s du Grand-Hornu : la jeune artiste américaine LaToya Ruby Frazier y montre quelques-unes de ses œuvres les plus fortes et prolonge son questionnement sur la destruction sociale par un travail réalisé en résidence, à la rencontre des habitant·es du Borinage. Coup de poing époustouflant.

LaToya Ruby Frazier, Momme, de la série The Notion of Family, 2008. Courtesy Galerie Michel Rein, Paris-Bruxelles.

Écran vidéo : une jeune femme frotte, dans un geste et un bruit répétitifs, son jean sur le sol. LaToya Ruby Frazier réalise une performance devant une boutique éphémère de Levi’s. La marque américaine a choisi comme décor de sa dernière campagne de pub « le réalisme brutal » (sic) de Braddock, un quartier d’aciéries où a grandi l’artiste. Slogan général de la campagne : « Go forth » (Allez de l’avant). Et celui-ci, « Everybody’s work is equally important » (Le travail de chacun·e compte), placé sur des images mettant en scène travailleurs noirs et blancs. Cette publicité apparaît d’autant plus cynique que l’hôpital de Braddock, jugé trop peu rentable, venait d’être détruit, laissant 600 personnes au chômage et laissant la communauté, principalement noire et pauvre, sans soins de proximité.

Un art militant

L’archivage social et familial minutieux de la jeune femme, qui se revendique citoyenne plutôt qu’artiste, propulse l’art militant dans des dimensions infiniment riches de sens, d’émotions brutes, de va-et-vient déstabilisants entre l’économique, le social et l’intime : usure du jean, vêtement ouvrier, mythe américain, usure de la société industrielle, usure des institutions publiques, gens usés. La série Notion of Family replace la famille Frazier dans ce paysage fumant du monstre industriel qui fut un jour le poumon économique de la ville, mélange les photos de l’aciérie et celles, incroyablement bouleversantes, intimes, puissantes, de la grand-mère (vivante, soignante, morte, puis ce qu’il reste d’elle : une maison vide), de la mère et de LaToya Ruby Frazier elle-même.

LaToya Ruby Frazier, Grandma Ruby Smoking Pall Malls, de la série The Notion of Family, 2002. Courtesy Galerie Michel Rein, Paris-Bruxelles.

D’où est-ce que je viens ? Qui suis-je en tant que femme ? Que raconte le lieu dans lequel je vis ? Il y a de la colère sous les clichés qui mettent à nu, au propre comme au figuré, les ravages de la maladie, de la pauvreté, de l’obligation de survie. Il y a de la force et du courage, et beaucoup d’empathie, aussi, ce qui rend le travail de Frazier si touchant, si humain, si universel.

La seconde partie de l’exposition, grands formats noir et blanc, sur le même principe d’alternance de paysages industriels pris en vue aérienne et de portraits d’anciens mineurs, de leurs veuves ou leurs filles, prolonge de façon incroyable le travail réalisé à Braddock. Ici aussi, posées par l’artiste sous les visages et les corps, d’une écriture manuscrite un peu tremblée, les paroles, les témoignages révèlent toute leur fragile humanité.

LaToya Ruby Frazier, Flenu, Borinage, 11 octobre 2016, de la série Et des terrils un arbre s’élèvera, 2016-2017 © Collection MAC’s.

« Et des terrils un arbre s’élèvera », à voir jusqu’au 21 mai au Musée des Arts Contemporains du Grand-Hornu, 82 rue Sainte-Louise, à Hornu. Infos : www.mac-s.be. Entrée gratuite le premier dimanche du mois.

Le combat victorieux des coiffeuses sans papiers

Leur grève a secoué les salons de coiffure afro du 10e arrondissement de la capitale française. Il y a trois ans, les salarié·es du « New York Fashion », au 57 boulevard de Strasbourg, en majorité des femmes, ont décidé de mettre un terme à leur exploitation. Et ont gagné leur lutte de longue haleine dans un quartier où ce business repose sur un vaste réseau de travail non déclaré.

© Laurent Hazgui / Divergence

« J’étais présente tous les jours pour la grève. Jour et nuit. » Debout face à la juge, Aminata Soumaoro a conscience du poids de ses mots. La jeune coiffeuse aux boucles d’or, arrivée de Guinée en 2012, est la première à témoigner devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, ce vendredi 23 septembre 2016. À seulement 19 ans, elle a lancé en 2014 une grève remarquée dans le salon de coiffure-manucure du 57 boulevard de Strasbourg, où elle travaillait. Locaux insalubres, organisation mafieuse, salaires impayés… Aminata Soumaoro et ses collègues, presque tous et toutes sans papiers, ont décidé de mener bataille contre leurs employeurs et de dénoncer leurs conditions de travail.

« On ne pouvait pas accepter ça »

« Depuis mon arrivée au salon, en décembre 2013, je travaillais parfois 80 heures par semaine pour environ 400 euros par mois, explique Aminata Soumaoro à la barre du tribunal. Je devais être payée le 10 du mois, mais ça n’arrivait jamais. Des fois, après plusieurs mois, les gérants ne m’avaient toujours pas versé mon salaire. On ne pouvait pas accepter ça. » Le 22 mai 2014, c’est le déclic. Aminata Soumaoro décide de ne plus se laisser faire. « Plusieurs personnes n’arrivaient pas à payer leur loyer. C’était aussi mon cas. J’ai dit : « Écoutez, on ne nous donne pas d’argent. Le mieux, c’est d’arrêter. » Ça n’a pas été facile de convaincre tout le monde, mais finalement, on s’est tous mis en grève. »

Pour ces femmes politiques, la loi sur le sexisme a un goût de trop peu

axelle a interrogé quatre femmes politiques sur la loi contre le sexisme. Si elles font partie de partis ayant soutenu la loi, elles estiment qu’elle ne fonctionne pas correctement en l’état. Quelles améliorations demandent-elles ?

Samedi 23 avril 2016 s’est tenu à Bruxelles un grand rassemblement de jeunes femmes contre le sexisme. Venues de toute la Wallonie et de la capitale, elles ont échangé entre elles sur leur quotidien et leur engagement pour l’égalité. Sur leurs pancartes, le slogan : Toutes contre le sexisme. © Fabienne Pennewaert / Vie Féminine

Disons-le d’emblée, nous avons choisi de ne pas interroger de ministres à l’échelle fédérale, la lutte contre le sexisme ne faisant malheureusement pas partie des priorités définies dans la feuille de route du gouvernement.

Du côté du cdH, le parti qui a permis l’adoption de la législation, on rappelle que la loi a déjà le mérite d’exister. « L’accouchement a été très difficile, la loi a été votée in extremis. C’est symptomatique de la difficulté de la lutte pour plus d’égalité », explique Dorothée Klein, présidente des Femmes cdH. Elle travaillait au sein du cabinet Milquet au moment de l’élaboration de la loi . « C’est vrai que le projet initial était plus ambitieux, mais il a fallu trouver un compromis. La loi n’est donc pas parfaite mais, pour moi, elle est aussi importante symboliquement que la loi Moureaux contre le racisme. Quand on se rappelle les propos racistes que l’on pouvait tenir il y a 30 ou 40 ans… Aujourd’hui la limite est aussi claire pour les injures sexistes : ce n’est plus permis. »

Muriel Gerkens (Ecolo), députée fédérale, rappelle quant à elle la proposition de loi déposée plusieurs fois par son parti avant que le cdH reprenne et adapte le texte : « Nous avions également reçu des réactions très négatives, on nous répondait notamment que des lois contre les discriminations existaient déjà. Nos propositions semblaient complètement superflues. »

« Lever un tabou »

Christie Morreale (PS) est députée socialiste au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et active au sein de la commission droits des femmes. Pour elle, cette loi a permis de lever le tabou, au moins politiquement. « Il y a quelques années, quand j’ai commencé à parler de cette problématique autour de moi, on me demandait avec quoi je venais… Il y a désormais une vraie libération de la parole et chaque femme politique, à son niveau de pouvoir, peut faire quelque chose, afin que la question ne puisse plus être évitée », se réjouit-elle.

Elle est rejointe par la présidente du Sénat Christine Defraigne (MR) qui estime que la loi a tout de même des « vertus pédagogiques et symboliques ». Christine Defraigne continue : « On savait déjà à l’époque que la charge de la preuve allait constituer un problème, mais on devait soutenir la loi, sinon cela aurait fait passer un mauvais message. Ceci dit, la loi n’a en effet jamais atteint son maximum d’efficacité et cela peut mener à un sentiment d’impunité pour les auteurs qui ne sont pas poursuivis. »

À la mode féministe

Qui a dit que la mode était un truc futile ? Ici et ailleurs, des femmes s’approprient les vêtements, en font un support d’expression de leur identité et un étendard de leurs luttes politiques. À l’approche du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, axelle est allée fureter dans la garde-robe féministe mondiale, dénichant quelques tenues et accessoires de prêt-à-manifester incontournables… Extraits de notre dossier du mois.

Slutwalk à Johannesburg (Afrique du Sud). CC Darren Smith

Loin des podiums et des magazines de mode, c’est dans la rue que nous vous donnons rendez-vous ce mois-ci. Le 8 mars, des millions de femmes battront le pavé à travers le monde pour défendre leurs droits. Leurs luttes ne s’afficheront pas seulement sur leurs lèvres et leurs pancartes. Mais aussi à travers…

La mini-jupe des SlutWalks

Quelle que soit sa longueur, la mini-jupe suscite presque toujours un commentaire désobligeant pour celle qui la porte : sous le genou, ça fait prude, au-dessus, aguicheuse, encore un peu au-dessus, carrément vulgaire. Et si on dévoile quelques centimètres supplémentaires de chair, l’accusation tombe : cette mini-jupe est un « pousse-au-viol » ! Voilà pour l’argumentaire machiste typique qui culpabilise les femmes victimes d’agression sexuelle, sur le mode « elles l’ont bien cherché… »

La violence et la banalisation de ce discours ont poussé des centaines de milliers de femmes à défiler dans les rues de nombreuses villes autour du globe ces dernières années, faisant de la mini-jupe leur emblème. Baptisé « SlutWalk », littéralement « la marche des salopes », ce mouvement né au Canada dans les années 2010 rassemble des activistes qui clament leur droit de s’habiller comme bon leur semble et de circuler en toute sécurité dans l’espace public.

La chemise d’homme de Patti Smith

L’album “Horses”, de Patti Smith.

Sur la pochette de son premier album, Horses, son attitude est solennelle, le regard planté dans l’objectif, tandis qu’elle explose tranquillement les frontières du féminin et du masculin. Dans l’Amérique encore très puritaine des années 1970 et un monde du rock déjà dominé par les hommes, la poétesse Patti Smith a affirmé son indépendance aussi bien sur un plan musical que vestimentaire, en s’affichant fièrement avec des vêtements masculins, à l’instar de sa légendaire chemise blanche.

Le boubou des militantes africaines et afro-féministes

Le pagne du 8 mars 2016 au Cameroun (via Création Julie Couture)

Au Cameroun, notamment, beaucoup de femmes ont pris pour habitude d’arborer un boubou spécial à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Chaque année, un concours est organisé à l’échelle du pays pour déterminer quel sera le motif du tissu du « pagne du 8 mars ». Des afro-féministes occidentales le ressortent aujourd’hui et en profitent pour envoyer valser les diktats et normes de beauté de nos sociétés qui s’obstinent à ne considérer que les femmes à la peau blanche.

Les couronnes de fleurs des Femen

Les Femen ont beau s’être fait connaître ces dernières années davantage pour leur nudité que pour leur goût des étoffes, leurs seins nus barrés de slogans féministes ne sont pas leur seule marque de fabrique : lors de leurs actions de protestation très médiatisées, les activistes sont immuablement coiffées de couronnes de fleurs. En Ukraine, où est né ce groupe féministe, ces coiffes sont portées uniquement par les jeunes filles avant le mariage. En se réappropriant ce symbole de virginité, les Femen entendent donc elles aussi s’affranchir de ces codes sexistes.

Le sari rose des gangsters indiennes

Dures à cuire, les membres du gang des saris roses sont non seulement drapées dans des costumes traditionnels rose fuchsia, mais armées de bâtons de bergère avec lesquels elles entendent faire respecter leurs droits. Ces activistes « sévissent » depuis une décennie dans l’Uttar Pradesh, une région rurale du nord-est de l’Inde. Elles organisent de nombreuses actions citoyennes pour protester contre les violences et les injustices envers les femmes, et ont fait de la lutte contre la corruption l’essence de leur combat.

Les membres du gang des saris roses sont non seulement drapées dans des costumes traditionnels rose fuchsia, mais armées de bâtons de bergère avec lesquels elles entendent faire respecter leurs droits.

La fondatrice du gang, Sampat Pal Devi, a elle-même été victime d’un mariage forcé à l’âge de neuf ans. Alors qu’elle vendait du thé au bord des routes, elles écoutait ses clientes lui raconter les maltraitances conjugales dont elles étaient victimes : c’est ainsi que lui est venue l’idée de fonder ce mouvement. Et pourquoi rose, le sari ? Parce que les partis politiques s’étaient déjà emparés de toutes les autres couleurs…

Interview de Sampat Pal Devi et reportage sur le “Gulabi Gang” dans l’émission télévisée française “Télématin”

Le turban de Simone de Beauvoir

Simone de Beauvoir. CC Moshe Milner – Government Press Office (GPO)

Ce carré de tissu est indissociable de la féministe française. Une coquetterie ? Pas seulement. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Simone de Beauvoir n’était qu’une femme parmi tant d’autres qui avaient recours à ce subterfuge pour masquer leurs cheveux lorsque, en pleine pénurie de produits d’hygiène, elles ne pouvaient pas les laver aussi fréquemment qu’elles l’auraient voulu.

 

Cet accessoire que Beauvoir porta tout au long de sa vie est devenu un symbole du mouvement féministe, moins à cause de l’auteure du Deuxième Sexe qu’à cause de cette affiche légendaire représentant une travailleuse coiffée d’un foulard rouge, le point levé, avec le slogan « We can do it ! », éditée par la propagande américaine en temps de guerre mais que le mouvement féministe s’est par la suite réappropriée. En Belgique, la Rwandaise Dk Ange, fondatrice de l’initiative « Osez le foulard », voit dans le port de ce turban, très répandu en Afrique, une marque de fierté pour les femmes afro-descendantes, qui renouent ainsi avec une part de leur identité.

Les jupes bouffantes des Cholitas

Cette savante superposition de jupons colorés était autrefois un symbole d’oppression coloniale. Les Boliviennes se sont pourtant réapproprié la mode « cholita », ce code vestimentaire que les colonisateurs/trices espagnol·es imposaient à leurs servantes indigènes afin de dissimuler leurs formes. Malgré l’inconfort – le poids des jupes pouvant atteindre dix kilos –, de nombreuses Boliviennes arborent aujourd’hui ce costume traditionnel, agrémenté d’un châle en laine et d’un petit chapeau melon : cet habit est devenu un vecteur d’affirmation de leur identité culturelle et de leur statut social. Car si les « cholitas », ou « mujeres de polleras » (« femmes en jupe »), comme on les surnomme également, étaient à l’origine des femmes pauvres vivant à la campagne, elles sont désormais majoritairement urbaines et certaines ont un fort pouvoir d’achat. Se parer de coûteux accessoires pour parfaire sa tenue de « cholita » est donc aujourd’hui une manière pour elles de signaler leur réussite sociale et financière.

Les robes du soir de Lena Dunham

Qu’elles soient en tulle rose ou en satin jaune canari, les tenues de soirée de la réalisatrice féministe américaine Lena Dunham ne passent pas inaperçues. La créatrice de la pétillante série télévisée Girls n’a pas honte de ses rondeurs et de sa cellulite ; faisant fi des canons esthétiques des stars d’Hollywood, elle ne se refuse aucune fantaisie vestimentaire. Elle est l’une des figures de proue du mouvement « fat positive » (voir axelle n° 170), qui dénonce la stigmatisation des corps « hors normes » et les diktats de la beauté.

Le T-shirt à slogan des Riot Grrrl

DR TrueandCo.

Avec leurs guitares crasseuses, leurs paroles révoltées, leurs blousons en cuir et leurs jupes léopard, les Riot Grrrl ont incarné un nouveau souffle du féminisme dans les années 1990. De leurs looks déjantés, on retient surtout leurs T-shirts où clament les slogans « Girl Power », « Riots not Diets » ou « The future is female ». Un classique de la garde-robe féministe redevenu très en vogue, à voir l’incroyable variété de T-shirts aujourd’hui en vente sur la toile.

Jupes, costards, boubous, foulards… Tous ces habits de lutte reflètent aussi bien la diversité culturelle de celles qui les arborent qu’une infinie palette d’expressions individuelles : à chacune sa tenue, à chacune son message. Mais n’en déplaise à Karl Lagerfeld – qui en 2014 avait fait défiler ses mannequins taille 34 avec des pancartes floquées de slogans féministes dans un décor évoquant une avenue parisienne –, une manifestation ne ressemblera jamais à un défilé de mode : c’est ensemble que nous marchons, pas les unes après les autres.

Sur le ring avec Vissia Trovato, championne du monde de boxe

La boxeuse Vissia Trovato est la nouvelle championne du monde du super-coq IBO. Portrait de cette Italienne de 34 ans – également musicienne – qui taille sa place dans un univers jusqu’à très récemment réservé aux hommes.

© Boxing Club Ascona

En novembre dernier, la boxeuse Vissia Trovato, alias « Leonessa » (« lionne » en italien) ou encore « Red Lioness » (« lionne rouge » en anglais), réalisait un exploit. Après un match haut en couleur, elle remportait la victoire contre la Bulgare Galina Koleva Ivanova, une adversaire redoutable. La Milanaise de 34 ans devenait ainsi la championne du monde du tournoi super-coq (la catégorie des femmes pesant entre 53,5 et 55,3 kilos) de l’International Boxing Organisation (IBO).

Elle a remporté cette victoire après avoir pratiqué la boxe à titre professionnel pendant seulement un an et comme amatrice depuis trois ans. axelle l’a rencontrée dans son club, le Boxing Club Ascona, dans le Tessin, le canton italophone de la Suisse. Dans un survêtement de jogging noir, le corps tout en muscles, la crinière rousse attachée, Vissia Trovato dégage la sérénité, la force tranquille et une grande confiance en elle.

Du chant à la boxe

Après un diplôme en restauration d’art contemporain en 2005 à l’Académie des Beaux-Arts de Brera, en Italie, Vissia Trovato a décroché, cinq ans plus tard, un diplôme en musique à la Scuola civica di Jazz. Elle a ensuite travaillé comme chanteuse. C’est un peu le hasard qui l’a menée, en 2010, à la boxe, confie-t-elle. Avant de préciser, sourire en coin, qu’elle ne croit pas tellement au hasard.

« J’étais dans une phase de ma vie où j’avais du temps et l’envie de me dédier à une activité sportive intense ; une amie m’a proposé d’essayer la boxe et c’est ce que j’ai fait, tout en étant à des années-lumière de l’idée de combattre. » Dès 2012, Vissia Trovato a pourtant commencé à prendre part à des combats amateurs. En 2015, elle est passée professionnelle et le 11 juin 2016, elle a remporté le titre européen « poids plume » féminin de l’European Boxing Union. Et toc !

© Boxing Club Ascona

Un sport pas plus dangereux qu’un autre…

En cours de chemin, elle a décidé de mettre sa carrière de chanteuse entre parenthèses. Dès le départ, ses ami·es et sa sœur l’ont soutenue et encouragée. En revanche, pour sa mère, son choix était difficile à comprendre. « Il ne correspondait pas à sa philosophie de la vie. Mais maintenant, elle l’accepte totalement et elle est très fière de moi, même si elle demeure inquiète. Elle ne parvient toujours pas à rester durant les combats pour me regarder. »

En effet, même si un·e médecin n’est jamais loin, les risques de blessures sont inhérents à la boxe. « Ce qui fait peur dans notre sport, c’est que le visage peut être gravement touché », explique celle qui, à l’issue du combat contre Galina Koleva Ivanova, arborait deux impressionnants coquards noirs. « Mais je ne crois pas que ce soit un sport plus dangereux qu’un autre, relativise-t-elle. Ici au club, 80 % des blessures ont lieu quand on joue au foot pour le plaisir, en fin de semaine. » Ceci dit, elle confie avoir subi une fracture à l’orbite en 2015 qui a non seulement retardé sa carrière professionnelle, mais qui aurait pu lui coûter de sérieux problèmes de vue.

« Une grande dame »

Son entraîneur, Alfredo Farace – depuis devenu son compagnon – ne s’était jamais intéressé à la boxe féminine. D’ailleurs, de son propre aveu, il n’y croyait pas vraiment. Ensemble, ils l’ont découverte. L’ancien boxeur admet que ces six dernières années, le nombre de jeunes boxeuses s’est multiplié et le niveau s’est élevé de façon spectaculaire. « Il y a un potentiel très intéressant », souligne-t-il, l’air convaincu. Sur sa compagne, il ne tarit pas d’éloges. « Une très grande dame. » Un à un, ils ont surmonté les obstacles, ensemble, jusqu’au championnat du monde IBO.

À l’avenir, la numéro un mondiale aimerait traverser l’Atlantique pour se battre devant des milliers de personnes dans la patrie de la boxe, les États-Unis. Là où le sport est pris très au sérieux et où se brassent de gros sous. Et après sa vie d’athlète – encore une dizaine d’années, « si je suis chanceuse » –, elle se dédiera de nouveau à temps plein à la musique.

Et pourtant, elles boxent

Les règles du jeu pour les femmes et les hommes sont plus ou moins les mêmes. Les boxeuses doivent se munir d’une protection au niveau des seins. Pour les professionnelles, les rounds sont au nombre de dix et durent deux minutes chacun, contre douze fois trois minutes chez les hommes. « À poids égal, les hommes sont plus forts, plus rapides et plus explosifs », a constaté la boxeuse, qui explique ainsi cette différence.

J’enseigne la boxe à des jeunes femmes motivées qui n’ont pas peur de suer et d’y aller, c’est très stimulant.

Et le sexisme dans la boxe ? « C’est vrai que pour certaines personnes, la boxe féminine n’existe pas encore, observe-t-elle ; d’ailleurs, dans certains clubs, il n’y a toujours pas de vestiaire pour femmes. » La championne rappelle qu’en Italie, ce n’est qu’en 2001 que la boxe féminine a été légalisée : auparavant, les boxeurs étaient soumis à une loi les obligeant à passer un contrôle sanitaire qui, de facto, excluait les femmes. Vissia Trovato a néanmoins foi en l’avenir de son sport décliné au féminin. « J’enseigne la boxe à des jeunes femmes motivées qui n’ont pas peur de suer et d’y aller, c’est très stimulant. »

© Boxing Club Ascona

Mais la reconnaissance officielle et les investissements financiers dans la boxe féminine ne sont pas encore gagnés. Aux États-Unis, c’est seulement à la fin de l’année dernière que des matchs professionnels féminins ont été diffusés à la télévision non payante. Il a fallu attendre 2012, à Londres, pour que les boxeuses puissent s’illustrer lors de Jeux olympiques, alors que les boxeurs y participent depuis 1904.

Pourtant, dans les faits, la boxe féminine attire énormément d’attention. Par exemple en Amérique latine, en particulier en Argentine et au Mexique, elle remplit les stades et un combat entre femmes peut être le moment phare d’un événement. Par ailleurs, les femmes boxent pratiquement depuis les débuts du sport, selon le site du Women Boxing Archive Network. Les premiers combats amateurs de boxe féminine remonteraient au début du 17e siècle, à Londres.

Battantes aussi hors du ring

Les combats féminins ont néanmoins été illégaux jusqu’à récemment. Le droit pour les femmes de s’entraîner dans les gymnases est aussi tout récent. C’est dans les années 90 que la boxe féminine a connu son développement public, avec la création d’organisations professionnelles comme la Women’s International Boxing Federation et la International Female Boxers Association. Le premier championnat du monde de boxe féminine s’est tenu en 2001 en Pennsylvanie, aux États-Unis.

Marian « Lady Tyger » Trimiar a fait une grève de la faim et perdu près de 15 kilos afin de réclamer de meilleures conditions et salaires pour les professionnelles.

Entre-temps, les femmes ont dû se battre contre les mentalités et les lois pour être reconnues sur le ring. Le développement du sport au féminin est redevable à des pionnières qui n’ont pas hésité à se mettre en jeu sur la place publique pour revendiquer leurs droits. À l’instar d’une ancienne championne du monde poids plume (60 kilos), Marian « Lady Tyger » Trimiar, qui a fait une grève de la faim pendant un mois, perdant près de 15 kilos, afin de réclamer de meilleures conditions et salaires pour les professionnelles.

Plus récemment, en 1998, l’Anglaise Jane « The Fleetwood Assassin » Couch a poursuivi le British Boxing Board of Control – la fédération professionnelle de boxe anglaise – pour discrimination sexuelle. Jane Couch devait s’exiler aux États-Unis pour participer à des compétitions, car le Board refusait de délivrer la licence lui permettant de se battre au Royaume-Uni, argumentant que « le syndrome prémenstruel rendait les femmes trop instables pour boxer »… Fin 1998, Jane Couch a remporté son procès, et mis le Boxing Board K.-O.

Girl Power : sur la route des graffeuses

Alors que le graffiti gagne en lettres de noblesse, force est de constater qu’il se conjugue souvent au masculin. Sany, graffeuse tchèque rencontrée à l’occasion du Festival Elles Tournent à Bruxelles, a parcouru le globe pour filmer des femmes qui n’ont pas peur de sauter les barrières et d’agiter les bombes.

© Sany

Retour dix ans en arrière. Sany bosse comme manageuse dans une entreprise praguoise. La nuit, la jeune femme troque son tailleur bien coupé contre un sweat à capuche et remplace son sac à main par un sac en plastique rempli de bombes de couleur. Elle peint, le long des voies de chemin de fer, les zones abandonnées, les tunnels de métro. Parce qu’elle risque la prison, elle ne dit rien de cette vie parallèle à sa famille, à ses collègues et même à ses ami·es. Sany prend vite conscience qu’au danger inhérent à la pratique illégale du graffiti s’ajoute une autre difficulté : être une fille.

« Beaucoup d’hommes considèrent que c’est trop dangereux pour une femme. C’est vrai que c’est assez sportif, il faut pouvoir courir, s’enfuir, on peut se faire frapper par les flics », remarque Sany. Mais cette « bienveillance » cache autre chose. « C’est aussi un milieu sexiste. Un jour, un de mes graffs a été recouvert du message « Retourne dans ta cuisine »… quand ce ne sont pas des messages sexuels. » Avec plusieurs autres oiseaux de nuit, Sany crée à l’époque le crew (« collectif », dans le jargon du graffiti) Girl Power. « C’était une manière de montrer que les filles dans le graffiti existent et qu’elles ne sont pas prêtes à arrêter. On se sentait plus fortes ensemble », explique-t-elle.

Tour du monde des passionnées

Sany décide ensuite d’aller à la rencontre de « female writers », de graffeuses. C’était il y a huit ans. Elle lâche son boulot et prend la route. Les conditions sont rudes, elle n’a pas un sou, doit gagner la confiance des filles souvent réfractaires à l’idée de parler de cette pratique nocturne et toujours illégale. « Je voulais des femmes qui peignent depuis minimum dix ans, des passionnées », insiste Sany. Les rencontres la conduisent de Prague à Moscou en passant par Madrid, Berlin, Cape Town…

© Sany

Elle en a fait un film documentaire, qui nous invite à découvrir une petite trentaine de graffeuses du monde entier. Des anonymes masquées, des « retraitées », à l’instar de la Néerlandaise Mickey qui a, non sans nostalgie, lâché les bombes après la naissance de son enfant, mais aussi Lady Pink, pionnière à New York fin des années 1970 et artiste aujourd’hui internationalement reconnue. Toutes – y compris Sany, qui se livre dans son propre film, cagoulée mais sans fard – déclinent à leur manière une certaine vision de la liberté.