La Première : l’esprit clair ou l’esprit masculin ?

L’esprit de la « nouvelle Première » serait-il davantage “masculin” que “clair” ? Nous publions ici une carte blanche d’un collectif de féministes, initialement parue dans La Libre et dont nous sommes co-signataires.

CC Gian Franco Costa Albertini

Il y a un mois, la RTBF lançait en grande pompe sa « nouvelle Première », sa chaîne-vitrine de l’information du service public de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Indépendamment même du contenu – il faut toujours un temps pour juger des changements – le « casting » était en soi très parlant : de 6h du matin à 22h le soir, les tranches horaires seraient pilotées par, dans l’ordre chronologique : Mehdi, François, Véronique, Bertrand, Laurent, Jérôme, Walid, Arnaud, Eddy, Didier, Philippe. Cherchez l’intruse !

Certes, avant 6h et après 22h, ce sont des femmes qui sont aux manettes pour bercer vos insomnies, et des femmes encore pour présenter les grands journaux de 8, 13 et 18h. Mais on comprend bien que ce n’est pas la même chose d’être au service de l’actualité ou de disposer de sa propre émission, où l’on décide des thèmes, des invité/e/s, des musiques que l’on fait découvrir… Et là il n’y a pas photo : la « nouvelle Première » a peut-être « l’esprit clair », comme l’indique son slogan, mais elle a surtout l’esprit masculin.

Dans le même temps, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles débat du futur contrat de gestion. Les organisations de femmes n’ont pas été invitées et lorsqu’elles ont demandé à être auditionnées, l’agenda était déjà bouclé. Cela fait pourtant des années que la sous-représentation des femmes dans nos médias, RTBF comprise, est soulignée par diverses études, soutenues par l’AJP (Association des Journalistes Professionnels), ou encore par le CSA. Rien n’y fait : la « nouvelle Première »  illustre de manière caricaturale les déclarations de Francis Goffin, directeur des radios de la RTBF : « En radio, ce n’est pas évident les voix de femmes, objectivement, pour des raisons de texture, c’est plus difficile que pour des timbres masculins. (…) Les grands journaux de 8h, 13h et 18h sont présentés par des voix féminines. Ça apporte de la fraîcheur ». Réagissant à la polémique provoquée par ses propos, il enfonce le clou : « Sachant que la diversité – quelle qu’en soit la nature – fait partie des valeurs du service public, (…) nous avons été attentifs à la mixité de la nouvelle grille, tout en reconnaissant qu’elle est difficile à atteindre en radio, c’est bien connu, du fait de la tessiture des voix féminines. » On peut constater ci-dessus le résultat de « l’attention » donnée à la « mixité de la nouvelle grille ».

De son côté Corinne Boulangier, directrice de la Première, défend ses choix en dénonçant le « piège de choisir quelqu’un non pas sur sa compétence mais sur un critère de genre » (Le Soir, 19 mai 2017). Faut-il en déduire que les femmes sont tout simplement incompétentes ? Elle ne va pas jusque-là, admettant qu’une réflexion serait utile autour d’un éventuel « plafond de verre », même si elle dit ne pas le voir (ce qui est la caractéristique même du plafond de verre : il est invisible).

L’absence de volonté d’aller vers plus d’égalité ne concerne pas seulement les « voix féminines » : le problème existe tout autant dans la sous-représentation de femmes interrogées.

L’absence de volonté d’aller vers plus d’égalité ne concerne pas seulement les « voix féminines » : le problème existe tout autant dans la sous-représentation de femmes interrogées (et encore, elles le sont plus souvent comme « témoins » que comme « expertes »), la façon de les présenter (par leur prénom, comme « fille » ou « femme de…) ou leur invisibilisation dans les sujets abordés (on peut ainsi parler de la « pauvreté des familles monoparentales », des « temps partiels » ou encore des « travailleurs en titres-services », sans jamais noter que selon les cas, de 80 % à 95 % des personnes concernées sont des femmes).  Et même si l’on considère que « tout le monde peut parler de tout », un homme de l’avortement comme une femme de rugby, il existe cependant, de par les réalités de vie, des sujets et des approches qui ne sont soulevés que par des femmes. On l’a encore vu la semaine dernière autour de la question du non-paiement des pensions alimentaires.

Dans l’actuel Contrat de gestion (2013-2017), deux articles prévoient pourtant déjà une attention à l’égalité entre femmes et hommes. L’article 5 stipule que la RTBF s’engage à être « active dans le respect du principe de non-discrimination, et plus spécialement dans la promotion de la diversité et de l’égalité entre les femmes et les hommes et dans la lutte contre les messages et stéréotypes sexistes ou homophobes ».

L’article 6 ajoute que « la RTBF doit également (…) s’intéresser, de manière transversale dans l’ensemble de ses programmes, et plus spécifiquement dans ses programmes d’information et d’éducation permanente, aux enjeux de société importants, tels que (…) l’égalité des femmes et des hommes, la lutte contre les discriminations et contre les stéréotypes sexistes ».

Il faut une réelle volonté politique, à tous les étages du service public.

Le nouveau contrat de gestion devrait donc reprendre et renforcer ces bonnes intentions en imposant cette fois des objectifs quantifiables, mais on voit bien que cela ne suffira pas. Il faut une réelle volonté politique, à tous les étages du service public, depuis les ministres et le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles jusqu’aux responsables à tous les niveaux de la RTBF elle-même, en passant par le CSA et des associations d’usager/e/s, pour que ces belles déclarations soient traduites dans la réalité de ce qu’on peut voir et entendre dans nos médias publics.

Le site Expertalia.be propose désormais un large éventail de femmes (et d’hommes « issus de la diversité ») qui peuvent aborder des sujets sur lesquels les journalistes ne font pas spontanément appel à elles. On peut se féliciter que la RTBF y soit associée.  Mais on peut aussi imaginer des émissions présentées en binôme homme/femme avec la consigne de veiller systématiquement à la mixité des invité/e/s. Sans vouloir porter atteinte à la liberté éditoriale par des « quotas », on peut mettre en place des formations des équipes, avec un suivi et un bilan chiffré, car l’invisibilité des femmes passe elle-même souvent inaperçue. La RTBF devrait rendre compte chaque année des avancées sur ces questions au CSA et au Parlement. Il est donc important de fixer des objectifs chiffrés qui permettront d’évaluer les progrès. Mais pour cela, il faut que les pouvoirs publics donnent les moyens nécessaires afin de soutenir toute initiative sur l’augmentation de la présence des femmes à la RTBF.

Un exemple de « bonne pratique » ? L’émission quotidienne d’Arte, « 28 minutes », a décidé de s’imposer d’avoir tous les jours, quel que soit le thème abordé, au moins une femme sur le plateau. Et ô miracle, jour après jour, cela se révèle tout à fait praticable.

Signataires

Remarque : nous reprenons ci-dessous toutes les signataires de cette carte blanche ; de nouveaux noms se sont rajoutés après la publication originale. 

Cinzia Agoni, porte-parole du GAMP

Latifa Ait-Baala, vice-présidente Femmes MR

Myriem Amrani, conseillère communale PS

Alicia Arbid, coordinatrice d’AWSA-Be

Hafida Bachir, présidente de Vie Féminine

Maryam Benayad, journaliste

Cécile Bertrand, cartooniste

France Blancmailland, avocate, directrice de la revue Politique

Anne Boulord, journaliste

Annalisa Casini, Professeure de psychologie du travail (UCL)

Carmen Castellano, secrétaire générale des Femmes Prévoyantes Socialistes

Delphine Chabbert, secrétaire politique de la Ligue des Familles

Josiane Corruzi, directrice ASBL Solidarité Femmes

Céline Delforge, députée bruxelloise Ecolo

Dominique Deshayes, coordonnatrice droits des femmes Amnesty Belgique

Dominique Devos, comité de Liaison des Femmes

Marie-Sophie Devresse, professeure à l’UCL et vice-présidente de la LDH

Christiane Dewan, directrice du Collectif des Femmes

Ariane Dierickx, directrice générale de l’ASBL L’Ilot

Ghaliya Djelloul, sociologue (CISMOC/UCL)

Mathilde El Bakri, députée bruxelloise PTB

Béa Ercolini, TPAMP et Beabee

Pascale Falek, docteure en Histoire

Pauline Forges, LCR

Élisabeth Francken, auditrice de la Première depuis 1964

Monia Gandibleux, coordinatrice de l’asbl MIEC jeunesse

Seyma Gelen, féministe antiraciste

Anne Grauwels, Points Critiques (UPJB)

Cristal Huerdo Moreno, enseignante à l’Université Saint-Louis

Irène Kaufer, blogueuse féministe

Rabab Khairy, Coordinatrice à Les Grignoux et administratrice de La Ligue des Droits de l’Homme

Zakia Khattabi, Présidente d’Ecolo

Dorothée Klein, présidente des Femmes CDH

Sandrine Lana, journaliste

Brigitte Laurent, présidente de l’ACRF

Véronique Laurent, journaliste

Manon Legrand, journaliste

Isabella Lenarduzzi, Jump

Christine Mahy, secrétaire générale du RWLP

Elli Mastorou, journaliste

Reine Mercelis, Synergie Wallonie

Élisabeth Mertens, journaliste

Maria Miguel-Sierra, La Voix des Femmes

Axelle Minne, journaliste

Aniko Ozarai, journaliste à No Télé

Sabine Panet, rédactrice en chef d’axelle magazine

Valérie Piette, historienne, ULB

Perrine Pigeon, ex-journaliste et Présidente de la Maison plurielle

Nadine Plateau, présidente de la Commission enseignement du CFFB

Donatienne Portugaels, présidente du MEFH, Mouvement pour L’Égalité entre les Femmes et les Hommes

Claudia Ritter, présidente de la Fondation Sofia

Laure Rosier, professeure à l’ULB

Caroline Sägesser, collaboratrice scientifique CIERL (ULB)

Sarah Sepulchre, présidente de SOPHIA

Fatoumata Sidibé, députée bruxelloise Défi

Simone Susskind, députée bruxelloise PS

Viviane Teitelbaum, présidente du CFFB

Corinne Torrekens, chercheuse, Diversity (ULB)

Candice Vanhecke, journaliste

Caroline Van Wynsberghe, politologue (UCL)

Axelle Verstraeten, journaliste

Camille Wernaers, journaliste

Irene Zeilinger, directrice de l’ASBL Garance

Samba : « L’univers du carnaval est très masculin, il faut se protéger pour résister »

Au Brésil, la samba fait partie de l’identité nationale. Alors que cette musique est née de la résistance des esclaves afro-brésilien·nes, la médiatisation a peu à peu relégué les femmes à des rôles secondaires. Mais aujourd’hui, à Rio de Janeiro comme à São Paulo, elles sont de plus en plus nombreuses à se battre pour reconquérir leur place.

L’histoire de la samba, née dans les faubourgs de Rio de Janeiro à la fin du 19e siècle, est intimement liée à la résistance des femmes afro-brésiliennes à l’esclavage et au racisme. Lavapes, la plus vieille école de samba de São Paulo, seule institution à avoir toujours été dirigée par des femmes, vient de souffler ses 85 bougies. © Archives personnelles de Rosemeire Marcondés.

Dans son petit appartement du quartier de Cambucci, dans le centre de São Paulo, la plus grande métropole du Brésil, Rosemeire Marcondés n’a pas encore fait le tri. Costumes en vrac, bouts de tissu, couronnes en papier doré… Trois mois après la fin du carnaval, au milieu du logement qu’elle partage avec son mari, ses quatre enfants et son petit-fils, les vestiges du dernier défilé occupent encore tout l’espace.

Rosemeire Marcondés est la présidente de lavapes, la plus vieille école de samba de São Paulo. L’institution, créée par Mãe Eunice, la grand-mère de Rosemeire, vient de souffler ses 85 bougies. Parfois surnommée « l’école des femmes », lavapes est la seule institution à avoir toujours été dirigée par des femmes. « L’univers du carnaval est très masculin, il faut se protéger pour résister », explique Rosemeire Marcondés en forçant un sourire. En effet, à Cambucci, Rosemeire Marcondés, visage dur et regard franc, est connue pour sa sévérité. Il faut dire qu’elle fait figure d’exception.

“Si on laisse la samba dans les mains des hommes blancs, elle va mourir”, disait Mãe Eunice, fondatrice de lavapes et grand-mère de Rosemeire Marcondés. « Quand je manque de motivation ou que j’ai envie de baisser les bras, je me rappelle à quel point c’était une battante, une précurseure pour son époque”, confie Rosemeire Marcondés. © Élise Moutarlier

Absentes des postes de pouvoir

Mondialement connu pour ses impressionnantes danseuses et leurs costumes flamboyants, le carnaval est avant tout une compétition où les écoles de samba s’opposent avec l’espoir de décrocher le titre de championne et les trois millions de réaux (870.000 euros) qui vont avec. Après une année de travail, chaque école doit, lors du défilé organisé au mois de février, aligner entre 400 et 1.000 personnes réparties entre un groupe de danseurs et danseuses, une fanfare, plusieurs chars allégoriques, des chanteurs et chanteuses.

Selon les données de la Liga, l’organe qui régit l’événement, 51,70 % des membres des écoles de samba sont des femmes. Mais si elles sont nombreuses à défiler, elles sont quasiment absentes des postes de pouvoir au sein des écoles. Lors de l’édition 2017, à peine 3 des 80 écoles des carnavals de Rio et São Paulo étaient dirigées par des présidentes, dont Rosemeire Marcondés. C’est à la mort de sa grand-mère, en 1995, qu’elle a pris la direction de lavapes…

Quand les femmes prennent les outils en mains

Même si les femmes ont toujours bricolé, elles peinent à acquérir une légitimité dans ce domaine encore réservé aux hommes… mais plus pour longtemps !

CC El Gringo

«  Déjà très pratiqué depuis de nombreuses années, le bricolage est désormais l’affaire de toutes ! », écrivait en 2006 l’enseigne française de bricolage Castorama dans un rapport sur le bricolage au féminin. Sur un échantillon réduit de 1.003 femmes âgées de 18 à 64 ans, 95 % ont expliqué pratiquer une ou plusieurs activités de bricolage. En effet, comme le rappelle La bricoleuse d’axelle, en préambule du recueil On bricole toutes !, le bricolage « au féminin » n’est pas nouveau : « Depuis toujours et partout dans le monde, des femmes créent, bricolent, construisent, bâtissent… Par plaisir, par nécessité ou par choix, seules ou collectivement, pour elles-mêmes, pour leur famille, pour leur communauté, pour leur travail ou pour des projets collectifs. »

Mais les femmes qui bricolent restent dans l’ombre et peinent à acquérir de la légitimité dans le domaine. Le bricolage est considéré comme l’apanage des hommes. Non parce que les hommes naissent tous avec un marteau dans le berceau, mais bien parce que le bricolage n’a pas échappé à la division sexuée. Aux femmes les casseroles, aux hommes les foreuses. Cette segmentation se reflète au niveau professionnel : en 2015, en Belgique, les femmes constituent 0,12 % de la main-d’œuvre du secteur de la construction… soit 0,60 % de plus qu’en 2009.

Débrouillardes

Depuis quelques années toutefois, l’idée que les femmes bricolent – autant, aussi bien et parfois mieux que les hommes – s’installe peu à peu dans les mentalités belges. Plusieurs ateliers de bricolage à destination des femmes ont vu le jour : notre recueil On bricole toutes ! en recense une dizaine en Wallonie et à Bruxelles. À l’instar des Débrouillardes, initialement un petit projet d’ateliers de bricolage, lancé par deux ami·es après le divorce de leurs parents, pour aider les femmes seules…

 

« Dans la vie de tous les jours, on a autant besoin de savoir bricoler que cuisiner ! »

Chaque mois, La bricoleuse (qui tient à son anonymat) concocte les fiches bricolage d’axelle« Je ne suis pas devenue une ‘spécialiste en bricolage’», précise-t-elle dans la préface du recueil On bricole toutes ! qui rassemble ses fiches. « Mais j’ai pu goûter à ce sentiment de joie et de fierté qu’il y a à construire, bricoler, réparer, créer et expérimenter. Ce sentiment a rejailli de manière positive dans d’autres domaines de ma vie. » Elle nous explique sa démarche dans une interview, extraite du dossier du numéro 200.

CC El Gringo

 

À quand remonte ton intérêt pour le bricolage ? 

« J’ai habité dans plusieurs maisons où nous vivions en collectif, dont une en non-mixité femmes, avec quelques super copines et nos enfants. Ensemble, dans une démarche d’autonomisation et de réappropriation des savoir-faire, on a retapé notre lieu de vie. Mon intérêt a aussi été nourri par des exemples de bricoleuses inspirantes, des initiatives de chantiers non-mixtes, des collectifs féministes dont j’ai entendu parler dans des émissions radio comme Radiorageuses. »

Comment as-tu appris à bricoler ?

« C’est un apprentissage permanent. D’autant que je ne me suis pas spécialisée dans une tâche ou une technique, je touche à plein de trucs différents. J’ai beaucoup appris – et j’apprends toujours – en cherchant des informations autour de moi, en bricolant avec des ami·es, en me trompant et en réessayant. »

Dans les archives de La bricoleuse

Pour toi, quel est le sens de réaliser ces fiches dans un magazine féministe ?

« Pour la petite histoire, je m’étais déjà fait la réflexion, avant la proposition d’axelle, que ce serait intéressant de remplacer les fiches cuisine – qu’on relie toujours aux femmes – par des fiches brico. Dans la vie de tous les jours, on a autant besoin de savoir bricoler que cuisiner ! Ces fiches permettent de casser l’idée reçue selon laquelle le bricolage n’est que pour les hommes. Peut-être que les lectrices ne vont pas toutes s’y mettre, mais l’idée qu’elles en sont capables va prendre place dans leur imaginaire. Cette projection est déjà très émancipatrice et permet de changer le regard que l’on porte sur soi, car nos attitudes mentales sont aussi très genrées.

J’aime bien faire un parallèle avec l’autodéfense féministe : lors des entraînements, on travaille beaucoup la confiance en soi grâce à des exercices de visualisation. On se refait le film de situations (vécues ou non) et on imagine une résolution. Rien que ce travail mental nous redonne de la puissance. »

Parfois, il arrive qu’on cale quand même. C’est pas toujours si simple, le bricolage…

« Je ne parle qu’à partir de mon expérience, mais ce qui paraît vraiment insurmontable, c’est souvent à cause du manque d’habitude. En tant que femmes – ou personnes socialisées comme des femmes –, on n’a pas été habituées à développer l’esprit et la pratique du bricolage. Donc, dès qu’on essaye de bricoler, on bute sur des petites choses qui nous bloquent. On se dit qu’on n’est pas capables, on se sent impuissantes avant même d’essayer. Les hommes ne savent pas toujours non plus comment faire certaines choses mais la plupart d’entre eux, du fait de leur socialisation et parce qu’ils ont pu se projeter dans la pratique du bricolage depuis l’enfance, ont confiance en leurs capacités et osent se lancer… Je pense que se regrouper – entre femmes, entre non-expert·es – est l’une des solutions pour dépasser les blocages. Et aussi rester bienveillante envers soi-même ! »

La couverture de “On bricole toutes”, le recueil des 20 premières fiches brico d’axelle magazine

Dans des lieux comme les chantiers ou les ateliers auxquels tu as pris part, as-tu déjà essuyé des remarques sexistes ?

« Il m’est arrivé d’être confrontée à l’attitude condescendante de certains hommes sur des chantiers collectifs ou dans des ateliers vélo [relire aussi « La petite reine des femmes », axelle n° 188, ndlr]. Quand on bricole en public, on nous surveille du coin de l’œil, on est vite mises sous pression, on nous prend les outils des mains pour faire les choses à notre place si on ne va pas assez vite… C’est pourtant normal de cafouiller au début. Il faut nous laisser le temps de nous approprier les savoir-faire. Les ateliers de bricolage en non-mixité ou en mixité choisie peuvent aider à réveiller des capacités qu’on ne nous permet pas toujours de développer dans d’autres cadres, parce qu’on est coincées dans des rôles. »

• Le recueil de nos fiches brico est enfin disponible ! 

Et dans des lieux alternatifs, penses-tu que les femmes soient considérées comme égales ?

« Je dirais que ça dépend de chaque endroit, des personnes motrices, des participant·es… Mais s’il n’y a pas de réflexion de fond entamée sur les stéréotypes sexistes et la répartition des tâches, il n’y a pas de raison pour que les lieux dits « alternatifs » échappent au patriarcat comme par magie. Un jour, je me suis rendue dans un atelier de réparation : il y avait une grande table autour de laquelle des messieurs retraités réparaient des objets en majorité apportés par des femmes ! Non seulement, la réflexion sur le genre me semblait absente, mais j’ai regretté aussi l’absence d’apprentissage par la pratique. Regarder, c’est une chose, mais il faut pouvoir s’y essayer pour apprendre ! »

Comment choisis-tu les thèmes des fiches brico ?

« Je fais toujours des fiches sur des choses que j’ai déjà réalisées personnellement, ça me paraît essentiel pour pouvoir bien expliquer comment faire. Je reçois aussi des propositions de lectrices et de personnes de mon entourage. La plupart du temps, je ne connais pas la technique à la base. Donc, parfois, cela nécessite plus de temps, j’expérimente, je me renseigne auprès d’autres personnes pour arriver au bout de la tâche, et donc à la réalisation de la fiche. »

Tu veilles à diversifier les personnages que tu représentes…

« J’essaye de n’oublier personne et de dessiner un maximum de femmes différentes, mais ça reste difficile de prendre en compte le spectre infini de la diversité humaine ! Par exemple, j’aimerais intégrer plus de personnes moins valides. Sur cette question, la réflexion des Mud Girls [Relire « Femmes de boue, femmes debout ! », axelle hors-série 2015, ndlr] à propos de l’accessibilité de leur chantier est inspirante. Elles essayent de prendre en compte les capacités différentes des participant·es dans le rythme du travail, les horaires et les objectifs qu’elles se fixent. L’essentiel, c’est de ne pas se mettre la pression, de travailler dans un cadre bienveillant pour éviter de s’épuiser ou de se blesser. »

Afrique du Sud : les combats d’Anna-Marie De Vos, magistrate militante

Avocate, première maman lesbienne de son pays à avoir adopté deux enfants, ancienne juge à la Cour suprême dans la province du Transvaal, Anna-Marie De Vos trace un avenir optimiste pour la défense des droits des femmes. axelle l’a rencontrée dans sa ferme de Plettenberg Bay, au sud du pays.

Anna-Marie De Vos dans sa ferme de Plettenberg Bay. © Lise Ménalque

«  Ne fais pas attention aux chiens ! Si tu es sympa avec nous, ils n’attaqueront pas. » Autour de la grande bâtisse en pleine campagne, les aboiements des cinq énormes bêtes résonnent à des kilomètres. Anna-Marie De Vos et sa femme, l’artiste Suzanne du Toit, m’accueillent avec du café et un bouillon de légumes fumant. C’est le premier week-end complet que l’avocate passe chez elle depuis plusieurs mois. « J’ai encore plus de travail que lorsque j’étais juge à la Cour suprême », dit-elle, amusée.

« Il n’y avait aucune loi pour défendre les gens »

Cette femme de 56 ans mène sa vie en suivant ses convictions. « C’est mon père qui m’a donné la passion de la loi. Il était avocat, lui aussi », explique-t-elle. Après des études de droit à Pretoria, Anna-Marie De Vos devient avocate en 1985, en plein pic de l’apartheid – une politique raciste visant à hiérarchiser et séparer les personnes noires des personnes blanches, et qui a prévalu en Afrique du Sud de 1948 à 1994. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser aux droits humains, parce qu’à cette période, il n’y avait aucune loi pour défendre les gens », se souvient-elle. Cette admiratrice de Nelson Mandela est alors membre du parti politique de l’ancien leader, le Congrès national africain. Pour elle, la fin de l’apartheid est comme un nouveau souffle, grâce à une Constitution favorable au changement. « Avant 1994, une femme venait me voir déclarant que son mari abusait d’elle sexuellement : c’était compliqué de faire quelque chose, il n’y avait aucune loi pour interdire ces abus. Après 1994, je pouvais lui dire que c’était injuste et que ça allait à l’encontre de l’esprit de la nouvelle Constitution. Le Parlement pouvait alors créer une loi pour protéger les femmes des violences sexuelles. »

« Elles vivaient encore comme avant l’apartheid »

En Afrique du Sud, les lois pour protéger les femmes sont parmi les plus progressistes au monde, mais les violences sexuelles sont terriblement fréquentes. D’après les chiffres de 2015 d’un rapport des Nations Unies, le pays a le plus fort taux de viols en Afrique derrière la République démocratique du Congo. La loi ne suffit donc pas pour protéger les femmes. Pour Anna-Marie De Vos, ce qui manque pour combattre ce fléau, c’est l’éducation et la connaissance des lois chez les femmes. « Je suis devenue juge à la Cour suprême en 2001, mais j’ai démissionné après quelques années, car j’étais détachée de la réalité. Avec Suzanne et les enfants, nous avons déménagé dans cette ferme. Nous avons alors employé des femmes pour nous aider. En discutant avec elles, j’ai compris qu’elles vivaient encore comme avant 1994. »

La ferme d’Anna-Marie De Vos, à Plettenberg Bay. © Lise Ménalque

Anna-Marie De Vos fonde alors un centre d’aide juridique pour les femmes dans la ville de Knysna, près de Plettenberg Bay. En plus de sa ferme et de son travail d’avocate, elle donne des cours à des bénévoles mixtes afin qu’elles/ils informent les femmes des townships – quartiers sous-équipés réservés aux non-blanc·hes sous l’apartheid et toujours appelés ainsi – que la loi permet de les protéger.

Vers l’adoption aux couples de même sexe

Sur les étagères trônent quelques photos des deux enfants adopté·es d’Anna-Marie et Suzanne : Nuschka, l’aînée, âgée de 27 ans, et Reid, 24 ans. « Nuschka travaille dans le vin près de Cape Town. Elle adore son métier. Mais pour Reid, c’est plus compliqué. Pour l’instant, il est serveur, et ne sait pas ce qu’il veut faire de sa vie », confie l’avocate.

Anna-Marie De Vos et sa famille : Suzanne (au centre), entourée de Nuschka et de Reid. © Anna-Marie De Vos

Dans sa vie privée comme dans son travail, la Constitution est son fondement : interdiction de discriminer une personne en fonction de son orientation sexuelle. Mais pour adopter des enfants, ce fut plus compliqué. « Quand Suzanne et moi avons décidé de franchir le pas en 1994, nous ne pouvions le faire que sous mon nom. Seule une personne célibataire ou un couple marié pouvait adopter, et le mariage gay n’était pas encore légal [il a été légalisé en 2006, ndlr]. On s’est présentées à l’agence d’adoption en tant que couple, on ne voulait pas se cacher. La première agence a refusé. La deuxième agence a accepté, et nous sommes devenues les premières femmes lesbiennes à adopter un frère et une sœur, une sorte d’expérimentation en Afrique du Sud. »

Bande-annonce – en anglais – du documentaire Two Moms (Underdog Productions). Ce film suit le quotidien d’Anna-Marie De Vos et de sa compagne Suzanne Du Toit et relate leur lutte historique pour adopter légalement des enfants.

Les deux femmes vont plus loin. Grâce à sa fonction de juge, en 2001, Anna-Marie défie la loi pour que Suzanne puisse, elle aussi, adopter légalement Nuschka et Reid. La magistrate redoute que les enfants ne soient placé·es dans une famille d’accueil si un jour, il lui arrive quelque chose. Le couple sort gagnant de ce bras de fer, malgré les menaces et les critiques. « En tant que juge ouvertement lesbienne, j’étais une figure publique. C’était mon devoir de parler au nom de celles et ceux qui avaient moins de voix pour dire “It’s ok to be gay !” » Grâce à elles, depuis 2002, un couple de personnes de même sexe peut donc adopter des enfants en Afrique du Sud.

En tant que juge ouvertement lesbienne, j’étais une figure publique.

Féministe convaincue, Anna-Marie puise sa force au sein de sa famille, mais aussi dans la terre de son jardin. Avec Suzanne, elle souhaite désormais se lancer dans la production de bières biologiques. Une corde de plus à l’arc particulier de cette avocate remarquable.

Le SECAL, un service qui gagne à être visible et accessible

La Plateforme des créances alimentaires, qui regroupe des organisations de femmes et les mouvements familiaux, est très préoccupée par l’avenir et la pérennité du SECAL. Elle signe une carte blanche, publiée ici en version intégrale.

CC Ed Yourdon

Selon la dernière enquête de la Ligue des familles, 4 parents sur 10 ne perçoivent plus ou alors (très) irrégulièrement leurs créances alimentaires après la séparation. La rupture appauvrit considérablement ces familles : 85 % d’entre elles (monoparentales ou recomposées) n’arrivent pas à boucler leur fin de mois. Pour beaucoup, les défauts de paiement des rentes alimentaires les font basculer dans la pauvreté, entraînant de grandes difficultés pour payer les frais scolaires mais aussi les coûts du logement, de la mobilité et des vêtements (1 sur 2) et même la nourriture (1 sur 4) ou des aspects plus pratiques tels que les nouvelles chaussures de la rentrée des classes…

C’est pour cette raison que les associations de femmes et des familles se sont mobilisées pour demander la création d’un fonds pour le versement des pensions alimentaires non payées. Le SECAL existe maintenant depuis plus de 10 ans. Il peut réclamer le montant des créances alimentaires impayées chez le partenaire en défaut de paiement. Le service effectue également des avances pour les contributions alimentaires des enfants, jusqu’à 175 euros maximum par mois et par enfant.

Le SECAL a jusqu’à présent déjà pu venir en aide à plus de 86.000 ayants droit. Dans 93 % des cas, il s’agit de femmes. Plus de 3.000 partenaires et 83.000 enfants ont obtenu finalement les montants auxquels ils avaient droit. En effet, la créance alimentaire est un droit inscrit dans le code civil dont le montant a été déterminé et avalisé par un juge et qui est donc imposable au partenaire. Or, trop peu de familles en difficulté qui remplissent pourtant les conditions s’adressent au SECAL.

Le non-recours au SECAL

Cela s’explique largement par l’absence de publicité faite à ce service. La dernière campagne d’information auprès des publics concernés date de 2009 et fut organisée à l’initiative des associations de femmes et des familles elles-mêmes. Or, il est de la responsabilité des pouvoirs publics, vu l’importance du SECAL pour les familles, de le faire connaître.

Selon les parlementaires francophones présents au colloque de la Ligue des familles du 21 avril 2017, le budget du SECAL correspond actuellement aux demandes. Cependant, la santé financière du SECAL est source de grande inquiétude. Il peine à recouvrer les avances et la Plateforme des créances alimentaires rappelle que de nombreuses familles ne connaissent pas son existence. La demande pourrait augmenter massivement si toutes les familles en droit faisaient appel à ce service. La pérennité et la viabilité de ce service ne sont pas garanties sur le long terme. Le budget pour les avances et ses moyens d’action doivent être renforcés.

Des évolutions inquiétantes

Dans ce contexte, une autre évolution nous inquiète. Alors qu’en 2003, 30 bureaux de proximité étaient ouverts pour les personnes nécessitant une aide du SECAL, il n’en reste plus que 23 aujourd’hui. Pire, ces bureaux seront supprimés dès septembre prochain. L’entretien préliminaire à l’introduction d’un dossier par un ayant droit aura lieu dans un des 11 nouveaux centres d’information : un par province (sauf pour le Brabant Flamand, Bruxelles et Louvain où les bureaux restent en place).

Cette mesure va diminuer l’accessibilité au SECAL et réduire encore sa visibilité, puisque ces « infocentres » régleront toute une série d’autres questions (et pas uniquement les problèmes des créances alimentaires). Les familles devront à présent parcourir des kilomètres pour se faire aider, alors que leur mobilité est déjà très problématique (en raison de la couverture des transports publics hors des centres villes mais aussi de la difficulté des agencements d’horaire et des solutions de garde d’enfants nécessaires à toute démarche administrative, qui se pose avec acuité pour les parents seuls).

Ajoutons que les possibilités de déposer un dossier en ligne ne sont pas la panacée : en effet, 6 familles sur 10 ont déjà des difficultés à rassembler les documents nécessaires à l’introduction du dossier au SECAL.

De plus, l’accroissement des services en ligne aggrave les difficultés des personnes en situation de pauvreté pour faire valoir leurs droits ; elles-mêmes subissant la fracture numérique par manque de moyens informatiques, de connexions internet ou d’aptitudes informatiques.

L’accompagnement personnel apparaît encore comme une nécessité concernant le droit à la contribution alimentaire, l’enquête de la Ligue des familles montrant que 4 % des répondants ne savaient pas qu’ils et elles pouvaient la demander et que 16 % n’ont tout simplement pas osé la demander.

En outre, le rapport du Vrouwenraad de 2017 concernant les mères monoparentales souligne le besoin d’informations supplémentaires sur le SECAL, une information qui doit être accessible et largement diffusée.

Revendications

La Plateforme des créances alimentaires, qui regroupe des organisations de femmes et les mouvements familiaux, dont la Ligue des familles et le Gezinsbond, est très préoccupée par l’avenir et la pérennité du SECAL (son fonctionnement, son accessibilité). Or, les enjeux sont de taille. Une famille monoparentale sur trois risque de tomber dans la précarité en Belgique. De plus, le nombre de ces familles ne cesse d’augmenter : on dénombre actuellement environ 465.000 familles monoparentales et 725.000 enfants vivant dans ces familles. Le SECAL doit être mieux connu et plus visible pour l’ensemble de ces familles.

C’est pourquoi la Plateforme des créances alimentaires demande au gouvernement fédéral et au Ministre des Finances :

La mise en place, dans chaque commune, d’un accueil de proximité, à savoir que l’entretien préliminaire et le dépôt des dossiers soient réalisés au sein d’un local de la commune.

Une grande campagne d’information sur le SECAL auprès de tous les parents en droit de réclamer des arriérés de créances alimentaires pour leurs enfants.

Dans tous les cas, la Plateforme des créances alimentaires demande un refinancement du SECAL. Elle demande aux pouvoirs publics de trouver les solutions rapides et efficaces pour garantir le paiement de toutes contributions alimentaires. Aussi longtemps que ne sera pas réglé le calcul objectif et automatique des créances alimentaires – qui pourrait contribuer davantage à leur bon paiement –, c’est au gouvernement qu’incombe le devoir impérieux de veiller à ce que ses citoyen(ne)s obtiennent pour le moins ce à quoi ils et elles ont droit.

 

La Plateforme Créances alimentaires est composée des organisations suivantes : Action Chrétienne Rurale des Femmes, Centre Féminin d’Éducation Permanente, Collectif Solidarité Contre l’Exclusion, Conseil des Femmes Francophones de Belgique, Comité de Liaison des Femmes, Entraide et Fraternité/Vivre ensemble, Équipe d’Entraide, Femmes Prévoyantes Socialistes, Gezinsbond, Infor-Veuvage, La Ligue des Familles, Marche Mondiale des Femmes, Monde selon les femmes, Nederlandstalige Vrouwenraad, NetzWerk FrauenStimmen, Réseau Flora, Retravailler – Liège, SOS Dépannage, Université des femmes, Vie Féminine, Vrouwen Overleg Komitee, Wereldvrouwenmars.

(Les sous-titres sont de la rédaction)