Déconfinez les mamans solos endettées ! Lettre ouverte aux responsables politiques

Par N°237 / p. WEB • Mars 2021

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, ce 8 mars, les mères de famille monoparentales veulent enfin se faire entendre. Car il y a urgence. En 2019, notre groupe de mamans solos a milité pour la suppression du plafond de revenus qui limitait l’accès au SECAL, le service des créances alimentaires qui peut avancer des pensions alimentaires non payées ou mal payées et récupérer l’argent auprès des débiteurs. Certes, cette victoire a permis à de nombreuses mamans d’enfin recevoir la pension alimentaire qui était due à leurs enfants mais pas payée. Mais tout n’est pas réglé pour autant. La précarité des familles monoparentales est toujours dramatique.

Carte blanche du collectif L’odyssée des mères célibataires

CC Marcin Joswiak / unsplash

La précarité des familles monoparentales est un phénomène de société alarmant qui ne semble pourtant pas inquiéter nos autorités et instances judiciaires.

La précarité des familles monoparentales, une réalité occultée

Les mères sont souvent les premières victimes du non-paiement des pensions alimentaires et de la pauvreté accrue qui en découle [en 2016, 93 % des dossiers introduits au SECAL l’ont été par des femmes, principalement pour les pensions alimentaires de leurs enfants, ndlr]. Il est temps d’agir ensemble et de dénoncer les mécanismes qui conduisent à une pauvreté extrême et propulsent ces mères dans une spirale infernale d’endettement et d’isolement !

Trop souvent, les pensions alimentaires n’ont pas été payées pendant de longues périodes, pendant plusieurs années. Récupérer les pensions alimentaires précédemment dues mais non versées, les “arriérés”, reste toujours un problème cornélien. Pourtant, après cinq ans, il y a prescription : il n’est pas possible de réclamer les sommes impayées remontant à plus de cinq ans en arrière.

Les mères doivent alors s’endetter

Le “D” du devoir de certains papas est inexistant. Ils jouent les abonnés absents, pratiquent une politique de l’autruche tout en organisant leur insolvabilité pour échapper aux pensions alimentaires. Ces années de non-paiement, ce trou, ce vide, ne sera pas récupéré alors qu’il affectera durablement les enfants et les mères, prises dans une sorte de logique que rien ne vient rompre pour rétablir l’équilibre entre les parents et une équation équitable… Certaines mères n’ont alors d’autre possibilité que de s’endetter.

Élever seule ses enfants ne devrait pas constituer un risque de précarité.

Les mères seules représentent 29 % des femmes surendettées en France, pays voisin : voilà de quoi alimenter le débat sur le mal-versement des pensions alimentaires. Ces dettes ne sont pas seulement des crédits. Il s’agit de plus en plus de loyers, de factures d’électricité, de frais de cantine scolaire… Pourtant, élever seule ou seul ses enfants ne devrait pas constituer un risque de précarité.

Prises dans ces situations, nous, mamans solos, restons une énigme que personne ne veut résoudre alors que porter une attention particulière aux familles monoparentales serait une richesse pour le monde politique.

Les manquements des pères absents défectueux, qui en parle ?

Soulager la charge des dettes

Nous vous demandons de donner à ces mères un souffle nouveau : réformez la procédure de règlement collectif de dettes, ôtez-leur cette charge financière devenue écrasante, car quand une famille monoparentale porte seule la charge de dettes, il n’y a plus de place pour l’épanouissement des enfants.

Réformez la procédure de règlement collectif de dettes

N’oubliez pas que derrière chaque maman pauvre, il y a des enfants pauvres et que, si le sort des familles solos vous interpelle, il doit vous interpeller autant que le climat, car ces enfants sont l’avenir ! Aucun enfant ne devrait connaître la précarité parce que son père, un jour, a décidé de prolonger des violences conjugales par des violences économiques. Nos enfants ont besoin de vous aujourd’hui, pour pouvoir étudier et pour évoluer dans un climat serein, où ni le frigo vide, ni l’absence de vacances, ni le manque de vêtements ne fassent partie de leurs problèmes quotidiens !

Effacer ces dettes, ce serait reconnaître le combat de leurs mères et les aider à se maintenir la tête hors de l’eau. Ce serait tendre les mains à ces enfants pour leur dire que l’absence de figure paternelle n’empêche pas la justice. Ce serait leur montrer que, quand les pères font défaut, il existe des hommes et des femmes politiques qui ne cautionnent pas la précarité infligée aux enfants !

Pour les enfants, la précarité dans laquelle sont plongées leurs mères est une souffrance, une gifle. Elle est silencieuse. Elle dérange. Elle fait mal. Elle isole. Un enfant qui grandit dans une famille pauvre a plus de probabilités de devenir pauvre, une fois adulte. Prévenir et investir dans ces familles monoparentales sera une richesse pour l’avenir.

Résoudre la question de la multi-vulnérabilité

Nous voulons aussi mettre ici en lumière les immenses défis que les familles monoparentales affrontent au quotidien : assurer un foyer et le minimum vital aux enfants et à soi-même, rechercher un emploi stable ou une formation complémentaire, préserver une santé malmenée par l’angoisse et le stress ou encore l’impossibilité d’avoir des loisirs… Ces nombreux défis placent les familles en situation de multi-vulnérabilité.

Garantir l’égalité des chances pour les familles monoparentales

Derrière le vocable technique de “familles monoparentales” se cache une réalité sexuée : ces familles ont à 85 % des femmes à leur tête. Et si certaines femmes cheffes de famille monoparentale appartiennent à des classes aisées ou moyennes, toutes se trouvent dans des situations difficiles résultant de facteurs spécifiques liés à leur statut de mère isolée : sentiment d’échec familial, rapports conflictuels avec l’ex-conjoint, difficultés à recouvrer une pension alimentaire, sécurité et éducation des enfants dépendant d’un seul salaire, fragilisation du tissu relationnel et du statut social, peur de perdre la garde de leur(s) enfant(s)

Les réalités des mères seules doivent être au cœur des politiques publiques

Dans ce contexte, nous demandons la mise en place d’un “laboratoire” des familles monoparentales, particulièrement pour les mères seules, afin de placer leurs réalités au cœur des politiques publiques. Ces politiques publiques devraient être consacrées à la fin de leur isolement, leur accès à un emploi stable et la garantie de conditions de vie décentes. Ces objectifs, pour les mères et leurs enfants, ne pourront pas être atteints sans l’effacement de leurs dettes.

À l’heure où l’actualité est remplie de discours sur le confinement/déconfinement, nous voulons rappeler que, pour nous, mamans solos et nos enfants, le confinement, c’est tout le temps, parfois depuis des années ! Nous n’avons pas d’autres choix que de restreindre notre bulle, nous priver d’activités sociales et récréatives, nous limiter aux courses et services essentiels, ne pas rêver de voyages ou vacances…

C’est pourquoi, avec cette lettre, nous vous demandons de déconfiner enfin les mamans solos endettées et leurs familles !

Lila Jibran et le collectif L’odyssée des mères célibataires