Un 8 mars 2021 pas comme les autres : “Nous sommes plus virales que le Covid” !

Prendre la rue partout où cela est possible dans les conditions sanitaires actuelles ; tenir des piquets de grève ; occuper l’espace sonore en chantant ; bombarder les fenêtres et les réseaux sociaux de visuels féministes et même manifester en voiture sur les routes de campagne : le 8 mars 2021 marquera les esprits. Aguerries par une année pleine de contraintes, Chiara Filoni, du Collecti.e.f 8 maars de Bruxelles, et Aurore Kesch, présidente de Vie Féminine, dévoilent pour axelle les formes et les enjeux de la mobilisation en cette année si particulière.

Plusieurs associations féministes manifestent masquées sous la bannière "Toutes en grève". Elles dénoncent la crise sanitaire, sociale et économique dont les femmes sont victimes. Des manifestantes tiennent des pancarte "Covid 19 femme victime en première ligne" et "Ovaires et contre tous". Toulouse le 8 juin 2020. Matthieu Rondel / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La crise a renforcé, mais aussi rendu visibles, les inégalités de genre  ; elle a produit un effet de loupe quant au rôle central des femmes dans la bonne marche de la société. Cela pourrait se transformer en force, souligne Aurore Kesch, présidente de Vie Féminine : à traverser tout cela, “l’œil politique des femmes s’aiguise”. Avec Chiara Filoni, du Collecti.e.f 8 maars, entretien croisé à propos d’un 8 mars pas comme les autres, entre créativité et détermination.

Comment se prépare le 8 mars cette année ?

Aurore Kesch : “Des dizaines d’actions sont prévues dans toute la Wallonie par Vie Féminine, parfois co-organisées avec le Collecti.e.f 8 maars. Nous allons inscrire nos revendications dans l’espace public et sur les réseaux sociaux. Les idées foisonnent et la créativité ne manque pas !

Comme les rassemblements de quatre personnes à l’extérieur sont autorisés, en dehors de Bruxelles des femmes vont occuper des places, des chorales vont prendre l’espace sonore, une affiche personnalisable va sortir pour inscrire nos revendications sur les murs et les fenêtres des maisons, des petites manifestations s’organisent même dans certaines villes.

En campagne, là où la mobilité des femmes est un sujet majeur, des manifs en voiture avec drapeaux, klaxons et musique sont en préparation ! Notre slogan est très clair : Marre d’être les roues de secours de l’État, toutes en grève !”

Notre slogan est très clair : Marre d’être les roues de secours de l’État, toutes en grève !

Chiara Filoni : “Nous affirmons dans notre appel à l’action pour ce 8 mars : Nous sommes plus virales que le COVID ! La grève est plus que jamais d’actualité. Ce sont les femmes qui sont sur tous les fronts, depuis le début de la pandémie, au péril de leur propre santé et dans des conditions le plus souvent précaires.

Nous encourageons aussi à faire grève du télétravail : ce jour-là, les femmes peuvent mettre un message de réponse automatique informant qu’elles sont en grève. Pour une journée, nous voudrions rompre avec le tout-virtuel pour nous rencontrer et échanger en chair et en os.

À Bruxelles, nous prévoyons d’organiser des piquets de grève, et sûrement des chorales de rue. Nous aimerions faire le tour des piquets en minibus, mais nous ne savons pas si ce sera possible, nous serons peut-être limitées par la police. Une chose est sûre, nous voulons occuper la rue au maximum. »

Le 8 mars 2020 a popularisé la grève des femmes en Belgique  : cette année, cette forme d’action occupera-t-elle la même place ?

Chiara Filoni  : “La CSC appelle à la grève cette année, et nous sommes presque certaines que la FGTB va transformer son appel à l’action en appel à la grève [depuis l’interview, c’est en effet le cas, ndlr]. Des préavis de grève par secteur ou entreprise seront déposés, toutes les femmes qui veulent se mettre en grève pourront donc se faire indemniser.

La grève féministe entre dans les esprits grâce au travail des féministes depuis plusieurs années. On a fait bouger les lignes, par un double mouvement  de pression par le bas et de l’intérieur des structures syndicales : ce n’est pas le moment de lâcher !”

Aurore Kesch : “Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête ! : c’était notre slogan en 2020. Nous voulions montrer que les femmes pallient les manquements de l’État. Ceux qui ne nous croyaient peut-être pas encore à l’époque doivent désormais se rendre à l’évidence. Quand nous parviendrons à dépasser cette crise, ce sera d’abord et avant tout grâce au travail de soin gratuit, mal payé ou précaire, des femmes. Sans nous, la société se serait peut-être effondrée dans cette pandémie. Mais à quel prix pour nous ?

Vie Féminine n’a pas chômé cette année : nouvelles pratiques, innovations dans notre organisation, difficultés… Nous étions très claires dès le départ : notre rôle en Éducation Permanente n’est pas que de contrer l’isolement des femmes, mais aussi de leur permettre de rester debout, de survivre, de faire face. Si la grève était un objectif en soi l’an dernier, cette année, nous avons voulu aller plus loin et porter des revendications en s’appuyant sur notre travail de terrain, dénoncer ce système qui repose sur notre exploitation.  La crise a aiguisé l’œil politique des femmes.”

Quelles sont vos revendications ?

Chiara Filoni : “La pandémie a occupé toutes nos actions depuis un an. Le 8 mars est un prolongement, une nouvelle étape dans nos luttes. L’année pandémique a commencé, pour nous, avec une collecte de témoignages de femmes au printemps dernier : “Je reste à la maison, mais…”. À travers cette campagne, les voix des femmes précaires, mères isolées ou travailleuses en première ligne, sont sorties de l’ombre.

Depuis octobre 2020, nous avons également lancé plusieurs grandes enquêtes militantes pour comprendre le quotidien des femmes dans cette pandémie, leur état d’esprit, leurs difficultés, leurs aspirations. Le 8 mars sera l’occasion de rendre publics certains de nos résultats, et certaines revendications émergeront. Mais nous conservons aussi un panel très large : l’égalité salariale, la valorisation du travail reproductif, le développement des services publics, la justice reproductive et sexuelle, une lutte efficace contre les violences, une éducation laïque et non sexiste pour tous et toutes, la défense d’un agenda écologiste.”

Nous demandons que la société place le soin au centre de son organisation et qu’il soit considéré comme une responsabilité partagée, collective.

Aurore Kesch : “Comme je le disais, pour nous il était important d’avoir des revendications cette année, de ne pas simplement rester sur la démonstration – déjà faite – de l’importance du travail des femmes pour que le monde tourne. Ces derniers mois, nous en avons élaboré cinq, de manière collective : elles vont être déclinées le 8 mars, selon les régions et les motivations des femmes dans leurs actions. Nous voulons interpeller clairement l’État et les pouvoirs locaux sur des points qui ne devraient même plus se négocier, vu ce que la crise a révélé.

Être femme, c’est déjà être précaire

Premièrement, nous exigeons une sécurité et une protection sociale, avec des droits propres qui ne dépendent pas des revenus du conjoint ou des proches, accessibles à toutes, sans discrimination ! Lutter contre la précarité des femmes, c’est vraiment une de nos priorités absolues : notre travail sur le terrain le crie assez : être femme, c’est déjà, quelque part, être précaire.

Notre deuxième revendication est plus générale. C’est parce qu’on est conscientes que, là-dessus, ce que nous voulons, c’est une révolution ! Nous demandons que la société place le soin au centre de son organisation et qu’il soit considéré comme une responsabilité partagée, collective. Nous voulons que le soin ne soit plus ni source de profit ni de l’épuisement des femmes. Nous rêvons de changer l’organisation sociale pour que nos vies dites “privées” puissent aussi changer, sans assignation genrée.

Nous exigeons de vraies politiques féministes et antiracistes

Troisièmement, nous exigeons de vraies politiques féministes et antiracistes qui luttent contre les systèmes de dominations actuellement en place. Une des questions de sensibilisation liée à cette revendication est d’ailleurs celle-ci : la Belgique est-elle un pays raciste, un pays sexiste ? L’important, pour nous, c’est d’insister sur la responsabilité de l’État, que l’on cesse de se focaliser sur  les responsabilités individuelles. Encore un fois, il faut changer les structures, réparer et créer de nouvelles façons de penser et d’agir.

Quatrièmement, soyons concrètes : nous voulons la régularisation et l’accès aux soins de santé pour toutes les personnes sans papiers. Ce sont les premières qui payent la crise et se retrouvent, en même temps, en première ligne. Avec le travail non déclaré, leur situation est devenue plus que critique, la perte totale de certains salaires a pu avoir pour conséquence des expulsions de leur logement, ce qui provoque la radiation de l’aide médicale urgente [à ce sujet, voir aussi la fiche-droit de notre n° 237, ndlr].

  • À écouter  en podcast : Ching, une vie masquée / Le Covid a frappé de plein fouet les personnes vivant du travail informel. Et parmi elles, beaucoup sont sans papiers. C’est le cas de Ching. Portrait fragmenté autour d’un fil rouge, le masque, objet-symbole de cette pandémie qui a fait couler beaucoup d’encre. Et de sueur féminine.

Enfin, cinquièmement, nous demandons l’engagement de personnel formé adéquatement sur les violences faites aux femmes dans les services spécialisés, les associations de femmes et les institutions en contact avec les victimes ou les agresseurs. Nous insistons sur “adéquatement” : sans une lecture systémique des violences, les services dédiés ne reverront peut-être pas les femmes qui font appel à eux une première fois. Si on ne comprend pas que les violences envers les femmes sont liées notamment au patriarcat, on ne peut pas les accompagner efficacement.

Le 8 mars sera l’occasion de rendre visibles et de mettre en discussion ces revendications auprès des femmes : nous irons à leur rencontre sur les marchés, dans la rue et sur les réseaux sociaux. Ce sera aussi l’occasion de réaffirmer notre présence dans l’espace public, assez déserté par les femmes depuis le début des mesures de lutte contre la pandémie.”