Retour rapide : c’est le mois d’août. Écrasées par la chaleur mais jamais à court d’idées, nous préparons en équipe notre numéro 285 – l’édition de novembre-décembre. Un sujet, en particulier, nous bouscule : celui des féminicides. En effet, à notre grande stupéfaction, pour la première fois depuis que sont tenus les décomptes – féministes d’abord, puis officiels depuis la loi Stop Féminicide de 2023 – qui recensent ces meurtres, aucun féminicide n’a, à notre connaissance, eu lieu en Belgique cette année. Comment est-ce possible ? Il nous a semblé évident de consacrer à cette question notre dossier, dans lequel nous interrogeons différents secteurs de la société : les milieux féministes, la Justice, la santé, l’école, la culture, en pleine révolution depuis quelques années. On fait le point.
Ah, oui, petit détail… Nous sommes en 2028.
2024 – 2028 : un récap chronologique
Si vous avez passé quatre ans dans une grotte…
- 2024. 8 mars / début de la Grande Grève féministe portée par les élèves du secondaire et du supérieur. Blocage total du pays. Avril/ prise d’assaut du Parlement fédéral par le groupe féministe radical “Les Ultraviolettes”. Mai / élections portant au pouvoir un gouvernement d’union féministe. Été / “réveil des juges”. Novembre / Nobel de littérature décerné à la Nigériane Chimamanda Ngozi Adichie.
- 2025. À partir de janvier / grande vague de démissions des hommes. Mars / lancement de la transition de la Justice. Septembre / mise en place des nouveaux référentiels dans les programmes scolaires et de la féministisation de l’enseignement.
- 2026, 2027. Nouvelles lois en cascade, parmi lesquelles le retrait de l’autorité parentale en cas de violences conjugales (2026), la loi intégrale de réparation pour les victimes de violences de genre (2027), la réduction collective du temps de travail et la baisse de l’âge des retraites (2027).
- 2028. Février, mars / grève féministe d’un mois portée par l’ensemble des travailleuses des secteurs du soin à la société.
Au menu du dossier
- Le grand entretien : “Il faut raconter l’histoire des féminicides, comme on raconte les guerres” (par Camille Wernaers)
- Les progressa-féministes ne lâchent rien sur la réforme de la Justice (par Catherine Joie)
- Notre révolution : l’école a fait la différence (par Véronique Laurent)
- La révolution de la santé féminine : “On connaissait toutes les problèmes de l’intérieur” (par Salwa Boujour)
- Dans les coulisses, la Grève Féministe Internationale Totale se prépare (par Émilie Bender et Manon Legrand)
- Six figures mythologiques libérées qui ont fait vaciller le patriarcat (par Sabine Panet)
Un dossier illustré intégralement par Manon Brûlé et réalisé avec la complicité de l’autrice et metteuse en scène Marthe Degaille, avec le soutien du Conseil supérieur de l’éducation aux médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
EN COULISSES // On est journalistes. Pourquoi faire un dossier de fiction ?
Beaucoup de personnes, en Europe, dans le monde, ont peur de l’avenir. Le présent est déjà difficile à supporter. L’actualité locale, nationale et internationale secoue nos vies. Les pages d’axelle racontent cela, numéro après numéro, tissant des récits en chœur pour mettre en mots le monde d’aujourd’hui. Ce n’est pas tout le temps facile, c’est même souvent éprouvant. Aussi avons-nous ressenti la soif intense, radicale, de penser un futur désirable.
À quoi concrètement ressemblerait un avenir meilleur pour toutes les femmes qui nous confient leur histoire, pour toutes celles qui nous lisent, pour celles qui ne nous lisent pas, et aussi pour nous-mêmes ? Nous avons eu besoin de nous y plonger entièrement. Quitte à nous couper du présent… le temps d’un dossier.
Nous nous sommes donc réunies, nous avons rêvé ensemble. Et le rêve que nous avons mis en commun est celui d’une société dans laquelle il n’y aurait plus de féminicides. Comment nous, journalistes, pourrions-nous traiter une telle actualité ? Sommes-nous même encore des journalistes lorsque nous écrivons l’avenir ? Comment nous appuyer sur ce que nous avons déjà analysé de la réalité et brassé comme pistes de réflexion ? L’exercice en lui-même, un pari en équilibre sur une cordillère entre fiction et réalité, fut réparateur pour nous. Nous espérons de tout cœur qu’il alimentera la capacité d’autres femmes à aspirer, à rêver, car cette capacité est sans doute notre plus grande force collective. Chérissons-la. (S.P.)