Augmentation du carburant, inflation : les aides-ménagères dans la tourmente

Par N°245 / p. WEB • Mars-avril 2022

L’augmentation du prix du carburant impacte en particulier les aides-ménagères qui utilisent leur voiture pour aller travailler. Dans ce contexte, le manque de revalorisation salariale du secteur des titres-services se fait cruellement sentir.

Jeudi 7 avril 2022, action du front commun syndical CSC-FGTB-CGSLB devant l'entreprise Trixxo, à Bastogne. (D.R. CSC-FGTB-CGSLB)

Que choisiriez-vous entre payer une visite chez le médecin pour votre enfant malade ou mettre quelques litres d’essence dans votre véhicule pour pouvoir aller travailler ? C’est la question posée dans un communiqué du front commun syndical CSC-FGTB-CGSLB publié le 7 avril.

Selon les syndicats, la combinaison des bas salaires, des frais de déplacement élevés et des conditions de travail compliquées fait du métier d’aide-ménagère l’un des emplois les plus précaires en Belgique. Avec la hausse des prix à la pompe et dans les magasins, la situation des aides-ménagères est en train de se dégrader sensiblement, alors que l’inflation en Belgique culmine actuellement à plus de 8 %, le niveau le plus élevé depuis plus de quarante ans.

Dans notre pays, on estime que 150.000 aides-ménagères sont employées via le système des titres-services, qui est subventionné par les gouvernements régionaux et permet à toute personne domiciliée en Belgique de se payer, à un tarif avantageux, des prestations d’aide-ménagère. Il s’agit par ailleurs d’un métier féminin : parmi les aides de ménage à domicile, on retrouve 95 % de femmes.

Selon la CSC Alimentation et Services, les aides-ménagères sont payées 12,30 euros brut par heure ; 90 % travaillent à temps partiel. Le salaire mensuel d’une aide-ménagère “moyenne” s’élève donc à 1.279 euros brut, c’est-à-dire à 1.170 euros net. “Trois aides-ménagères sur quatre ont des difficultés financières”, concluait d’ailleurs une étude du syndicat chrétien en 2021. 43 % d’entre elles repoussent souvent ou très souvent une consultation médicale ou l’achat de médicaments et pour 70 %, le paiement en temps et en heure des frais fixes (loyer, énergie, eau) constitue un problème. En outre, seules 5 % des aides-ménagères disposent des fonds nécessaires pour payer une facture inattendue de 1.000 euros…

Des chiffres qui prennent la tête

À l’autre bout du combiné, Amina [prénom d’emprunt] pleure, en essayant tant bien que mal de cacher ses sanglots. Elle est aide-ménagère à Bruxelles et travaille chez des particulier·ères pour le compte d’une entreprise. “Je ne bosse que pour payer mes factures, je n’ai d’argent pour rien d’autre, c’est horrible”, explique-t-elle. Sa tête est remplie de chiffres en ce moment, des additions et des soustractions qui ne lui laissent aucun répit.

“Je partage une voiture avec mon mari, nous devons payer 350 euros d’essence par mois. Lorsque j’étais au chômage pour cause de coronavirus, j’ai été obligée de prendre un crédit pour tenir, je dois maintenant le rembourser. Et il y a trois jours, j’ai reçu ma facture de régularisation de gaz et d’électricité : je dois payer 1.890 euros. Ce n’est pas normal ! J’essaie d’échelonner mais même 157 euros par mois, en plus de ma facture d’énergie actuelle, c’est beaucoup. J’ai encore les coûts de la mutuelle et du loyer, décompte-t-elle. Depuis que j’ai reçu cette facture de régularisation, je n’ose plus allumer le chauffage chez moi, une amie est passée l’autre jour et nous avons gardé nos vestes. Ce n’est pas la vie, ça !”

Je ne sais plus comment avancer. Je dois tout le temps travailler, et je ne peux rien faire d’autre.

Amina reprend, dans un souffle. “Je ne sais plus comment avancer. Je dois tout le temps travailler, et je ne peux rien faire d’autre. Je n’ai même pas le temps pour les vacances. Je n’ai pas vu ma famille en Algérie depuis trois ans. Les familles pour lesquelles je travaille partent souvent en vacances, à Pâques, à Noël, au ski. Je n’ai rien contre mes clients mais je trouve que c’est révélateur… J’ai été au CPAS pour recevoir de l’aide mais on m’a répondu que je travaillais. Ils ont cependant été ouverts et ont accepté de regarder mon dossier, je dois rendre des documents d’ici 20 jours.”

Amina explique que cela fait une semaine qu’elle pleure. “Tout ce dont je rêve, c’est d’un endroit où je pourrais me reposer et ne plus réfléchir à rien, ne plus penser aux factures… Si je n’étais plus là, je n’aurais plus de problème.” Elle s’arrête un moment. “Oui, je l’avoue, ma situation financière m’a déjà fait penser au suicide. Qu’est-ce qui caractérisait les esclaves ? Il s’agissait de personnes qui venaient travailler chez des gens, qui recevaient les restes du repas à manger, en échange d’un endroit où dormir. C’est la même chose quand on est aide-ménagère, en fait !”

Et sa situation risque de se compliquer encore car sa propriétaire lui a demandé de quitter l’appartement qu’elle loue avec son compagnon pour le mois de juillet. À cause de l’inflation, la propriétaire souhaite rénover son bien pour pouvoir le louer plus cher. “J’ai deux visites bientôt pour aller vivre ailleurs mais les loyers sont plus onéreux que celui du petit studio dans lequel nous vivons pour l’instant. Nous aimerions en plus avoir au moins une chambre, pour pouvoir accueillir la fille de sept ans de mon compagnon qui vit en Égypte chez sa tante”, précise Amina.

Le grand nettoyage des titres-services

Depuis six mois, plusieurs actions ont été menées par les aides-ménagères dans le cadre de ce qu’elles ont appelé le “grand nettoyage” du secteur des titres-services. Amina a participé à deux de ces actions. “Il faut que les choses changent ! Je voudrais faire plus mais je ne peux pas me le permettre financièrement, je suis moins payée quand je fais grève ou mène une action”, regrette-t-elle.

Mardi 5 avril 2022, action du front commun syndical CSC-FGTB-CGSLB devant l’entreprise Greenhouse, à Waregem. (D.R. CSC-FGTB-CGSLB)

Les aides-ménagères demandent une revalorisation salariale et des indemnités de déplacement. Car dans le système des titres-services, elles paient elles-mêmes la plupart de leurs tickets de transport et de stationnement. Elles reçoivent une indemnité de 0,13€ par kilomètre qui ne couvre pas l’entièreté de ces coûts, et surtout qui les couvre même de moins en moins. “À la fin de l’année dernière, c’était 10 % de leur salaire qui passait en frais de déplacement pour aller travailler. Avec la hausse des prix du carburant, ce pourcentage est, malheureusement, encore plus élevé aujourd’hui ; c’est près de 200 euros !”, calculent les syndicats.

Sabine est aide-ménagère à Liège pour une entreprise de titres-services depuis 2005 et est déléguée syndicale CSC depuis 2008. Elle utilise sa voiture entre 90 et 130 kilomètres par semaine pour se rendre chez ses client·es. “Je fais un plein d’essence tous les 15 jours mais cela devient de plus en plus difficile, observe-t-elle. L’indemnité de déplacement est vraiment très basse et en plus, il y a des erreurs, il me manque 13 euros ce mois-ci ! Cette intervention ne tient pas compte de l’assurance, ni de l’usure de la voiture. Pour être payées, nous devons déposer une feuille de route à notre bureau, le mien est en plein centre de Liège, je dois payer l’essence et le parking, juste pour déposer cette feuille de route… Je connais une aide-ménagère qui a pris congé tout ce mois d’avril car elle n’a pas assez d’argent pour mettre de l’essence dans sa voiture. Elle ne peut donc plus travailler”, poursuit-elle.

“J’ai de la chance d’avoir un mari pensionné de l’armée, avec une bonne retraite. Je ne sais pas comment font les autres travailleuses. Heureusement, nos enfants ne vivent plus avec nous, indique encore Sabine. Quand je fais mes courses, je prépare un menu, pour ne pas être tentée d’acheter des choses en plus. On se limite aussi pour nos vacances.”

Les entreprises du secteur ont continué à distribuer des dividendes à leurs actionnaires pendant le covid. C’est indécent.

Tous les deux ans, les différents secteurs négocient de meilleurs salaires et conditions de travail. Le secteur des titres-services est le seul à n’avoir pas encore conclu d’accord sectoriel pour la période 2021-2022. Malgré les actions menées par les aides-ménagères, Federgon (la fédération des entreprises de travail intérimaire et des titres-services) propose que la revalorisation de ces petits revenus se fasse avec la norme salariale de 0,4 %. Insuffisant, selon les syndicats. “Cette ‘augmentation’ équivaut à 0,05 euro supplémentaire par heure. Des miettes”, a dénoncé le front commun syndical. “Nous demandons une réforme substantielle du secteur : les entreprises qui font des profits sur la sueur de leurs travailleuses sous-payées n’ont pas leur place dans un secteur subventionné à 70 % par des fonds publics”, soulignent encore les syndicats.

“Les entreprises du secteur ont continué à distribuer des dividendes à leurs actionnaires pendant le covid. C’est indécent”, estime quant à lui Gaëtan Stas, secrétaire général de la CSC Alimentation et Services. Du côté de Federgon, on explique avoir fait des efforts et que la marge financière des entreprises de titres-services est “minime”.

Manque de considération

En tant que déléguée syndicale, Sabine reçoit en ce moment de nombreux appels à l’aide de ses collègues ou de travailleuses d’autres entreprises du secteur. “J’ai fait l’école syndicale et mon mémoire portait justement sur les titres-services. J’ai une bonne connaissance de ce milieu. Je déteste l’injustice et je sais que même pensionnée, dans deux ans, je resterai syndiquée ! Je suis en mi-temps médical mais, même quand je ne travaille pas, je ne me repose pas, je passe des appels téléphoniques pour conseiller mes collègues ou je leur donne rendez-vous pour regarder leurs papiers avec elles et faire valoir leurs droits.”

Nous n’avons pas le droit d’avoir le nom et les coordonnées des femmes qui travaillent dans nos entreprises.

“J’essaie d’intéresser mes collègues à l’action syndicale mais ce n’est pas facile car nous ne nous connaissons pas. Nous n’avons pas le droit d’avoir le nom et les coordonnées des femmes qui travaillent dans nos entreprises. Sur mes 120 collègues liégeoises, j’en connais peut-être 10… c’est vraiment difficile de les motiver à participer aux grèves. Pourtant, il faut être ensemble dans la rue pour être visibles et pour peser, explique-t-elle. Quand j’entends certaines histoires vécues par les travailleuses, je fais des bonds ! Les aides-ménagères ne sont vraiment pas bien considérées.”

Amina abonde. “La société conserve beaucoup de clichés envers notre travail. Il faut dire et répéter qu’il s’agit d’un travail pénible et stressant. J’ai commencé à travailler il y a huit ans, à 38h par semaine. J’ai vite eu mal au dos, j’ai alors diminué mon temps de travail à 35h puis à 30h par semaine. Quand on vieillit, cela devient compliqué de laver des toilettes et des salles de bain tous les jours, d’enchaîner les client·es !  Nous ne sommes pas des robots.”

Sabine continue : “Les gens pensent que nous sommes des illettrées, on nous appelle encore “travailleuses peu qualifiées”. Ces clichés sont aussi dus au fait que beaucoup de femmes étrangères travaillent dans le milieu et ne parlent pas la langue. J’ai cinq diplômes ! Et c’est faux : nettoyer chez les gens, ce n’est pas comme nettoyer chez soi. En plus, il y a tout l’aspect relationnel qui demande des compétences. Il faut savoir dire non au client, le remettre à sa place, car on peut faire face à du harcèlement de la part de certains pour en faire toujours plus.” Selon une enquête précédente de la CSC, une nettoyeuse belge sur trois a déjà subi des violences sexuelles au travail.

Le manque de considération de ce travail principalement réalisé par des femmes influence la manière dont on rémunère les travailleuses, qui ont pourtant été, elles aussi, en première ligne durant la crise sanitaire, notamment auprès des personnes âgées ou en situation de handicap pour lesquelles elles étaient – et sont – essentielles.