Élections : on a lu le programme de DéFI avec des lunettes de genre

Des mesures d’amélioration des droits des femmes émaillent le programme de DéFI. L’examen plus attentif de quelques-unes des propositions des Démocrates fédéralistes indépendants révèle cependant l’ambivalence d’une approche parfois pointue mais invisibilisant dans l’ensemble les inégalités, et particulièrement celles entre les femmes et les hommes.

© Odile Brée pour axelle magazine

Cet article est le premier d’une série de six articles consacrés aux programmes politiques des partis suivants côté francophone du pays, que nous publierons jour après jour du 23 au 30 avril (par ordre alphabétique) : Défi, Ecolo, Les Engagés, le MR, le PS et le PTB.

Le programme est composé en majeure partie de ce qui avait été défini lors de la refonte du parti en 2022″, note Séverine Demotte, documentaliste au bureau d’étude de Vie Féminine. Refonte promise lors de l’arrivée à la présidence en 2019 de François De Smet, philosophe de formation. Rappelons au passage que quelques mois plus tard (n° 225-226, janvier-février 2020, “Les bonnes planques de l’anti-féminisme”), axelle avait critiqué son essai Eros Capital explorant les “lois du marché amoureux”, dans lequel François De Smet utilise la théorie de l’échange économico-sexuel de l’anthropologue italienne Paola Tabet pour justifier les “échanges sulfureux” et inégalitaires entre femmes (jeunes) et hommes (moins).

Les presque 300 pages du programme réparties en cinq axes, la documentaliste les qualifie de faciles d’accès grâce à un graphisme travaillé. Mais si le programme du parti situé politiquement à droite et qui espère obtenir 5 % des votes aux prochaines élections n’est pas lourd à lire et aborde de nombreux domaines (100 pages dans l’axe 5 sur la conciliation “entre développement durable, économie et libertés”, par exemple, prônant notamment la sortie de la libéralisation du marché de l’énergie), il en investit certains autres de façon moins approfondie. Dont celui des droits des femmes.

Sans surprise, DéFI pose en priorité le rapprochement institutionnel entre francophones (Wallonie et Bruxelles) afin de réformer l’État belge et mieux représenter les francophones. C’est son cheval de bataille depuis sa fondation en 1964. Deuxième axe : la laïcité politique. Elle est, pour le parti, “la clef du vivre-ensemble et de la citoyenneté : elle offre les racines de l’égalité de traitement, d’une approche universaliste de la lutte contre le racisme et les discriminations, en ce compris vis-à-vis des femmes, dont les droits doivent faire l’objet d’une attention spécifique.” Parfait. Sauf que, relève l’analyse réalisée par le bureau d’étude de Vie Féminine, la laïcité/”neutralité” selon DéFI – qui ne croise à aucun moment les effets des dominations – lui sert de paravent pour faire passer des mesures excluantes “pour une certaine catégorie de femmes. […] les personnes les plus impactées par les mesures prônées, comme l’interdiction des signes convictionnels et philosophiques, sont en effet les femmes musulmanes qui portent le voile.”

Ainsi que le résume également Juliette Léonard, chargée d’étude au Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion, “les femmes ne sont que peu présentes au sein du programme de DéFI, les enjeux qui les concernent ne sont pas transversaux et les points qui abordent les thématiques de genre sont généralement couplés à d’autres discriminations (comme les racismes ou l’homophobie), ces vécus étant regroupés et abordés de la même manière. Nous trouvons principalement les thématiques liées aux femmes au sein d’une partie sur la laïcité, qui est selon eux la clé du vivre-ensemble, de l’égalité et de l’universalisme.”

Une discrimination parmi d’autres

C’est aussi dans ce livret “laïcité” que se retrouvent, au chapitre “Lutter contre la haine, l’homophobie, les LGBTphobies et tous les types de discriminations”, des paragraphes concernant des droits des femmes : inscription du féminicide dans le Code pénal, dépénalisation totale de l’IVG, lutte contre les violences intrafamiliales, sécurité des femmes et des personnes LGBTQIA+ dans l’espace public, et présence alternée d’hommes et de femmes sur les listes électorales. “Aux parlements fédéral et wallon, 39 à 41 % des députés sont des femmes”, reconnaît le document, mais cette alternance, ce sera pour plus tard : les listes actuelles de DéFI ne la respectent pas (rendez-vous en fin d’article). Séverine Demotte prolonge en remarquant que ce chapitre met par exemple la discrimination linguistique envers les francophones sur le même pied que le racisme…

Dans cette partie fourre-tout, on lit encore une proposition de “congé parental global”, obligatoire et égal pour les deux parents à la naissance de leur enfant. Par sa formulation, cette mesure apparaît pensée principalement pour permettre aux pères de passer du temps avec leur enfant, et à partir d’une volonté de réduire l’impact sur la carrière des femmes de la discrimination à l’embauche à cause de la maternité. Ici, comme de façon transversale au programme, Séverine Demotte observe une approche centrée sur de possibles bénéfices économiques. Le paragraphe se termine toutefois par l’affirmation que cette mesure serait bénéfique à une meilleure répartition des tâches ménagères dans le couple. 

Visibilisation des inégalités ?

Rassemblées dans l’axe 4 (“Rendre le contrat social plus juste”), une série de propositions socio-économiques s’avèrent intéressantes : la création de guichets de proximité, l’automaticité des droits et leur individualisation – et donc la suppression du statut de cohabitant·e. À ce propos, le programme indique que cette mesure répond à une exigence d’équité, mais spécifie, en tout petit, “très peu d’hommes sont au foyer à charge de leur femme”. S’agirait-il de stopper une injustice envers les hommes ?

DéFI propose également en mesure phare un bouclier social pour tous·tes à 1.300 euros, qui supprimerait toutes les autres allocations (et sur lequel la pension minimum s’alignerait), ainsi qu’un salaire minimum à 1.800 euros. Si cette prise de position semble avantageuse, il faut savoir que le seuil de pauvreté pour une personne isolée, début 2024, s’élève à 1.450 euros.

Sophie Rohonyi, députée au Fédéral, également présidente du CFFB (Conseil des Femmes Francophones de Belgique), défendait lors du Grand débat des PrésidentEs* de partis organisé par Vie Féminine le 20 avril, le volet santé de son parti, c’est à dire la suppression du ticket modérateur (ce qui reste à la charge du/de la patient·e) à 300 euros (pour les revenus en dessous de 19.000 euros/an),  des consultations médicales globales à trois moments de la vie, le plafonnement puis la suppression des dépassements d’honoraires de soi, et enfin, la gratuité de la contraception.

Tout au long de ses livrets, DéFI réussit pourtant le tour de force de ne quasiment jamais nommer spécifiquement les femmes (le mot apparaît 17 fois sur les presque 300 p.), parlant par exemple, à propos de la revalorisation salariale du personnel soignant, des “infirmiers” (dans la partie enseignement, le programme parle une fois d’“enseignantes”). Chapitre logement : “Favoriser l’accès/préserver le droit à la propriété pour tous, en particulier au bénéfice des jeunes, des classes moyennes, des personnes dont le niveau de vie est plus modeste”.

À propos de précarité, le programme reconnaît que “13,1 % de la population en Belgique vit dans un ménage dont le revenu total disponible est inférieur au seuil de pauvreté (1287 euros par mois pour une personne isolée”, et prône la suppression de l’exclusion automatique du chômage (victoire !, les femmes apparaissent), “discriminatoire dans la mesure où elle concerne majoritairement les femmes (60,4 %)”. Même en matière de créances alimentaires, que DéFI se propose de faciliter, par un encaissement direct par le SECAL, notamment, ou d’aide aux mères solos (86 % des familles monoparentales), le programme maintient le neutre.

Crise du logement social

Comment DéFI s’attaque-t-il au temps d’attente de plusieurs années pour l’obtention d’un logement social ? En limitant, pour favoriser la rotation, à 9 ans l’occupation d’un bien social (à quelques exceptions près : âge et handicap, et moyennant l’octroi d’une allocation loyer, conditionnée, pendant 5 ans). Les occupant·es bénéficiaires seraient donc mis en concurrence avec les 50.000 familles en attente. “De façon transversale, il n’y aucune dénonciation des systèmes qui appauvrissent les femmes. Les difficultés vécues spécifiquement par les femmes les plus vulnérables (précaires, aînées, mères de familles monoparentales, racisées…) dans leur accès au logement sont invisibilisées. Les mesures annoncées portent sur ses conséquences, souligne Séverine Demotte, et non pas sur ses causes.”

Confirmation de cette approche qui ne résoudra pas les inégalités : “Pour assurer une politique des logements sociaux plus efficace profitable à tous, DéFI envisage un changement radical du modèle, pour passer d’un système exclusivement géré par le public à un partenariat public-privé”, c’est à dire que la TVA serait ramenée à 6 %  (au lieu de 21) sur l’achat de biens mis à disposition (pendant 15 ans) d’une AIS (Agence Immobilière Sociale), et que la transmission de ce patrimoine aux héritiers serait moins taxée. Dans sa proposition de “grande réforme fiscale plus juste”, DéFI prône aussi, entre autres, une diminution de la pression fiscale sur le travail, la fin des niches fiscales, s’attaquer à la criminalité économique, et à… l’impôt sur le patrimoine.

Volet violences

Concernant l’organisation de la Justice, le parti propose de façon générale d’intégrer pleinement les victimes dans les procédures judiciaires qui les concernent : accès au dossier, prise en compte de leur témoignage… Plus loin, au milieu de six engagements divers (parquet financier, interdiction de financement de l’extrémisme…), apparaît “la mise à disposition d’un avocat aux victimes de violences sexuelles dès le dépôt de plainte.” Ou la garantie “que les affaires de violences sexuelles soient instruites par un juge d’instruction spécialisé en la matière”. Aucun croisement avec la thématique des violences intra- familiales. Et ces mesures parlent de “victimes” sans jamais utiliser le mot femme, qui surgit, par contre, dans le paragraphe traitant des violences dans l’espace public.

Dans l’axe 4, les intéressantes propositions abordant les violences intra-familiales le font du point de vue des enfants – sans jamais se pencher sur les mères : “mettre en place des équipes mobiles spécialisées dans les violences intra-familiales et, le cas échéant, prévoir les violences conjugales comme motif de dérogation à l’hébergement égalitaire.” Il est également reconnu dans ce paragraphe qu’un père violent est un mauvais père. Cependant, l’écriture inclusive n’est mobilisée que dans ce chapitre, pour souligner apparemment que des hommes aussi peuvent être victimes de violences.

Migration, économique

“La migration est un des thèmes politiques majeurs de notre époque”, énonce dans son programme le parti de François De Smet, un temps directeur de Myria (Centre fédéral migration). Il prône une politique migratoire plus juste, pragmatique et intransigeante sur le respect des droits humains. Mesures : “ancrer dans la loi l’interdiction de détention des familles avec enfants mineurs dans les centres fermés, ou fixer dans la loi des critères de régularisation clairs et objectifs et instaurer une commission indépendante de régularisation.” Mais cette politique migratoire doit surtout, pour DéFI, être européenne. Ce que cachent ces mots, c’est le non-respect par le pacte européen sur les migrations (qui vient d’être adopté) de certains droits fondamentaux. Et Séverine Demotte commente : “La régularisation n’est pensée qu’en fonction de l’intérêt économique des Belges ; on n’est jamais dans les chaussures de la personne en situation migratoire.” Et à fortiori dans celles des femmes migrantes.

En cinq livrets concis, dans lesquels le mot “juste” revient sans cesse, plus encore que les mots “rationnel, logique, pragmatique, efficace…”, DéFI loupe en grande partie l’analyse des rapports sociaux de sexe mais aussi de race et de classe, et ne s’attaque donc pas structurellement aux inégalités. Ses mesures sont dans l’ensemble sous-tendues, résume Séverine Demotte, “par des logiques de rentabilité économique et de liberté individuelle et non d’amélioration collective”.

Le dire, c'est bien ; le faire, c'est mieux

Si l’on se penche sur la parité dans les têtes des listes des candidat·es du parti DéFI, ce dernier est bien mauvais élève avec seulement 15,8 % de femmes en tête de ses listes : la pire moyenne du côté des partis francophones. Aucune tête de liste féminine pour le niveau fédéral dans les listes roses, même constat pour le Parlement bruxellois et le Parlement européen. Mais alors où sont les femmes chez DéFI ?

En cherchant bien, vous les trouverez par exemple dans les listes régionales wallonnes, où trois femmes se distinguent : Kathleen Delbecq pour la région de Tournai-Ath-Mouscron, Ivana Peterkova du côté de Liège et Coralie Clément à Verviers. Quant à Sophie Rohonyi, figure féminine marquante du parti, elle est 2e candidate de la circonscription de Bruxelles-Capitale pour la Chambre. Enfin, une autre semble se démarquer par son profil, bien qu’elle ne soit pas non plus en tête de sa liste mais deuxième : c’est Lailuma Sadid, candidate pour le niveau européen. Cette journaliste afghane en exil milite pour le droit des femmes et défend l’éducation des jeunes filles sous le régime taliban. Elle a d’ailleurs été lauréate du Prix international Henri La Fontaine “Femmes qui résistent” en 2023. (Ena Billenne)