Elle s’appelait Sourour

Par N°252 / p. 47-49 • Mai-juin 2023

Sourour Abouda, Bruxelloise de 46 ans, est décédée le 12 janvier 2023 dans des circonstances troubles dans un commissariat de la rue Royale à Bruxelles. Après Ilyes Abbedou et Mohamed Amine Berkane, Sourour est la troisième personne en deux ans à avoir perdu la vie dans ce commissariat. Justice pour une sœur, une fille, pour une mère, pour une amie, pour une collègue, demandent ses proches. Qui se rassemblent régulièrement pour ne pas l’oublier, s’indigner et continuer à chercher la vérité. axelle a voulu consigner leurs mots. Pour se souvenir de Sourour. Femme solaire, puissante, mère aimante et battante.

Le 4 mars 2023, un rassemblement a été organisé place Poelaert pour demander "Justice pour Sourour". © Manon Legrand, pour axelle magazine

Sourour était ma sœur, une sœur qui m’a fait grandir, m’a prise sous son aile, m’a élevée, m’a fait rire et pleurer, m’a aimée pour finalement m’être arrachée dans la plus grande violence.” Ce sont les mots prononcés par sa sœur, Soumaya, lors du rassemblement organisé place Poelaert pour demander “Justice pour Sourour”, le 4 mars dernier. Soumaya Abouda a aussi égrené les violences subies par la famille depuis l’annonce de la mort de sa sœur aînée – c’était la 2e d’une famille de 4 enfants –, violences qui ont “transformé [leur] deuil en lutte”. D’abord l’annonce par la police à la famille d’un suicide, thèse largement reprise dans la presse qui a été abandonnée ensuite pour être requalifiée d’”auto-strangulation” par le parquet ; “l’adjectif “indigente” utilisé par la police” pour qualifier Sourour Abouda ; “l’occultation des preuves, la lenteur des procédures ; l’impossibilité de réaliser une contre-autopsie en Belgique, sauf hors de prix”, etc. Et de terminer son discours par un adieu à sa “sœur sourire”.

Sourour, sourire et solaire

“Sourour veut dire “joie” en arabe. Mais tout le monde pense à “sourire”… Parce que ça lui allait bien”, nous confie Sung, son amie très proche, sa “sœur jumelle”, son inséparable. “Elle avait un rire communicatif et un humour incroyable. On a pleuré de rire ensemble”, se souvient-elle.

Sourour veut dire “joie” en arabe. Mais tout le monde pense à “sourire”… Parce que ça lui allait bien.

Sung – ou Sumi, comme Sourour l’appelait en référence aux “dim sum” (dans la cuisine cantonaise, ce sont des petites portions de plats signifiant littéralement “cœurs à petite touche”), “un petit nom pour exprimer sa tendresse envers moi” – souligne sa fougue, son grand sens de la fête aussi. “C’était une femme-feu, explique-t-elle, se remémorant les nombreuses tournées des grands-ducs avec son amie oiseau de nuit, comme deux adolescentes… ou un vieux couple, sourit Sung. Elle aimait les gens, la fête, et le lien, on n’était jamais seules à table.”

Un côté rassembleur et festif également rappelé par Sarah de Liamchine, codirectrice de l’association Présence et Action Culturelles (PAC) où Sourour travaillait depuis trois ans au pôle ressources humaines, dans son discours devant la foule de 1.000 personnes rassemblées place Poelaert. “Tout le monde se souviendra de la farandole qu’elle a lancée, ou de son rock’n’roll endiablé. […] Je me souviens d’elle à son entretien d’embauche, et elle avait une énorme détermination dans le regard, a aussi témoigné Sarah de Liamchine. Elle voulait ce travail, elle le voulait vraiment et j’étais ravie de pouvoir l’engager.”

Elle était comme ça, Sourour, la générosité chevillée à l’âme et au corps.

La codirectrice qualifie aussi Sourour, très active dans le monde associatif, citoyenne généreuse, “d’hyper loyale” ; une personne “sur qui on pouvait compter et qui avait une capacité d’écoute, d’aide spontanée à l’égard de tout le monde.”

“Généreuse à toute épreuve” : c’est par ces mots que Sarah, une amie de longue date de Sourour (bien qu’elles se soient perdues de vue ces dernières années), se souvient. “Sourour était une excellente cuisinière et n’hésitait pas à inviter une vingtaine de personnes à manger, en préparant ses spécialités tunisiennes, en chantant dans sa minuscule cuisine, en racontant blague sur blague, en faisant dix choses en même temps. Plein de marmites sur le feu, des bricks au poulet dans le four, cette odeur d’épices enivrantes… Elle était comme ça, Sourour, la générosité chevillée à l’âme et au corps. Dans nos cultures – je suis d’origine algérienne –, on n’a pas l’habitude de se dire qu’on s’aime, en tout cas les personnes de notre génération. Offrir de la nourriture, c’était aussi sa façon d’aimer.”

Sourour douceur, Sourour colère

“Allan, ta maman, c’est une guerrière.” Sarah de Liamchine a aussi voulu adresser quelques mots au fils de Sourour, qu’elle a élevé en maman solo, battante, chaque jour. “Elle n’a jamais lâché malgré les difficultés et les galères financières que toutes les mamans solos connaissent dans la société”, continue-t-elle.

C’est aussi leur condition de maman solo que partageaient Sung, Sourour, et Sylvia, la troisième “drôle de dame” de ce groupe d’amies, croisée le 4 mars. Sylvia évoque en quelques mots, le souvenir d’un déménagement de canapé un dimanche soir à 22 heures. Entre femmes, dans la débrouille et… les rires. “Je pense que le fait qu’on était monoparentales explique qu’on était si soudées, se souvient Sung. Elle aimait beaucoup ma fille, qu’elle considérait comme la sienne. C’était un pilier pour son fils, son bébé, sa source, son trésor, mais aussi pour les autres membres de sa famille. Au risque de s’oublier elle-même, parfois ?”

On partageait aussi un parcours de femme “déracinée”. Moi, Coréenne adoptée, elle d’origine tunisienne. On était des femmes blessées, toutes les deux. Qui ne l’est pas ? Elle se protégeait énormément, mais je décelais, sous la carapace, sa grande douceur.

“Sourour était parfois infiniment dure avec moi, autoritaire, confie aussi Sung. Elle était fière. On s’engueulait, et ça pouvait durer des jours et des jours… Puis on se prenait dans les bras et je lui disais : “Pourquoi es-tu si dure avec moi ?”” Pourquoi ? Sung esquisse une réponse. “On partageait aussi un parcours de femme “déracinée”. Moi, Coréenne adoptée, elle d’origine tunisienne. On était des femmes blessées, toutes les deux. Qui ne l’est pas ? Elle disait que chaque femme a un jardin secret à conserver. Elle se protégeait énormément, mais je décelais, sous la carapace, sa grande douceur.” Mais Sung insiste, en se remémorant avec émotion sa “toute belle”, comme elle l’appelait souvent : “On voulait créer de belles choses, malgré nos vies d’écorchées, et on se faisait beaucoup de bien.”

Le 8 mars 2023, devant le Palais de Justice de Bruxelles, le collectif des Mères Veilleuses demande “Vérité et Justice” pour Sourour. © Zoé Penelle, pour axelle magazine

Sourour, notre sœur

Sourour portait aussi les combats féministes. Elle avait notamment écrit dans la revue Agir par la culture du PAC un article sur la précarité menstruelle. Un sujet qui lui tenait à cœur : elle qui était engagée dans l’asbl BruZelle, association dédiée à cet enjeu. “Sourour lisait aussi axelle, elle vous aimait bien”, nous confie Sung, comme un cadeau.

“Sourour était profondément attachée aux relations humaines positives, constructives et motivées par de meilleurs lendemains”, a écrit le PAC quelques jours après son décès. La garder vivante, lui rendre justice, c’est donc aussi lutter pour des lendemains qui chantent.

“Personne ne nous dissuadera de chercher la vérité et la justice, a défendu Soumaya, sa sœur, dans son discours place Poelaert. Chaque jour, je pense aux familles qui ont été forcées d’abandonner, épuisées par un appareil d’État méprisant, complice de cette violence. C’est aussi pour elles et avec elles que nous nous battons aujourd’hui.”

Le 8 mars, journée de lutte pour les droits des femmes, Sourour était là, parmi les manifestant·es. Dans les cœurs, sur les lèvres, sur les affiches, ainsi que sur cette immense banderole accrochée place Albertine. © Zoé Penelle, pour axelle magazine

“Justice pour Sourour, Justice pour touxtes”

Sourour était là, parmi nous, le 8 mars, journée de lutte pour les droits des femmes. Dans nos cœurs, sur les affiches, sur les lèvres, sur une immense banderole accrochée place Albertine : “Justice pour Sourour, Justice pour touxtes”. Des femmes ont aussi, avant de lancer la marche, sur les coups de 18 heures, honoré la mémoire de Sourour et de toutes les victimes de violences policières. Elles ont rappelé que “le combat contre les violences d’État racistes fait partie à part entière du combat féministe, qu’il n’y a pas de lutte féministe sans la lutte antiraciste et décoloniale, pas de lutte féministe sans la lutte pour la régularisation de toutes les personnes sans papiers, sans la lutte contre ces frontières qui tuent tous les jours, sans la lutte contre l’impunité policière.”

Un peu plus tôt dans la journée, des femmes avaient disposé des roses blanches à la flamme éternelle, à la colonne du Congrès, non loin du commissariat. Là où la famille avait déposé symboliquement des fleurs qui ont ensuite été retirées par la Ville. Pour entretenir le feu. Le feu de Sourour.

Où en est l’enquête ?

Sourour Abouda a été retrouvée morte dans une cellule de dégrisement du commissariat de police de la rue Royale, le matin du 12 janvier, après avoir été interpellée quelques heures plus tôt alors qu’elle se trouvait dans un véhicule qui ne lui appartenait pas. Le 16 janvier, le parquet de Bruxelles a expliqué dans un communiqué que “l’enquête a été confiée au comité P [le comité permanent de contrôle des services de police, ndlr] qui a analysé les images de caméra de surveillance […] et que sur base des premières constatations et le rapport provisoire d’autopsie, il n’y a pas eu d’intervention de tiers.” Début février, le parquet de Bruxelles a confirmé que la thèse de “l’auto-strangulation” – réfutée par la famille – est toujours privilégiée par les enquêteurs/trices.

Au moment d’écrire cet article, mi-mars, l’enquête sur la mort en cellule de Sourour Abouda est encore au stade de l’information, c’est-à-dire entre les mains du parquet. La famille demande des devoirs d’enquête et surtout une mise à l’instruction. “Un juge d’instruction est beaucoup plus indépendant que le parquet et surtout, les parties civiles peuvent légalement demander des devoirs d’enquête. On craint aussi un classement sans suite, ce qui n’est plus possible en cas de désignation d’un juge d’instruction”, commente l’avocate de la famille, Selma Benkhelifa.

Sourour Abouda est enterrée auprès de son père en Tunisie.