Les femmes reprennent le pouvoir sur la ville

Des communes belges et étrangères ont mis en place des initiatives pour que les femmes obtiennent une place à part entière dans leur commune. Ces idées émanent souvent de collectifs de femmes. À l’approche des élections communales d’octobre 2018, petit tour du monde non exhaustif de bonnes pratiques… pour inspirer nos futur·es élu·es ?

Liège inaugurait en 2016 sa nouvelle passerelle, maladroitement baptisée « La Belle Liégeoise » en hommage à l'héroïne féministe Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. © BelPress

Article extrait du dossier « Élections communales. Prendre le pouvoir au-delà des urnes », publié dans axelle n° 210.

À Namur, une plateforme pour les femmes

L’échevine de l’Égalité des chances Stéphanie Scailquin (cdH) a lancé en 2015 la plateforme Namur’Elles, dans la foulée de la signature en juillet 2013 de la Charte de l’Égalité des chances. L’échevine réunit une quinzaine d’associations namuroises attentives aux droits des femmes. L’objectif de la plateforme : échanger au sujet de leurs publics respectifs, de leurs attentes, de leurs besoins et prendre en compte les droits des femmes dans les politiques communales. Namur’Elles organise aussi des événements autour du 8 mars.

À Namur, l’asbl Garance, qui se bat pour un accès plus égalitaire aux espaces publics, mène depuis deux ans des « marches exploratoires » afin d’identifier les facteurs d’insécurité ou de sécurité pour les femmes dans la ville. Un travail de terrain acharné – et bénévole ! – qui a payé récemment : leurs recommandations vont être intégrées dans le projet du nouveau quartier des Casernes.

Enfin, la Ville souhaite aussi, comme annoncé par son échevine lors d’un récent colloque organisé par Synergie Wallonie, « développer une attention particulière sur la violence entre partenaires, afin de respecter la Convention d’Istanbul. »

Le temps des femmes

Le temps des femmes et des hommes se décompose de manière différente et inégale. Les « politiques temporelles » ont pour objectif de privilégier une meilleure articulation des temps de vie (personnelle, familiale, professionnelle, sociale). Ces politiques touchent des domaines très variés, comme l’accueil de la petite enfance, la mobilité ou encore les équipements publics. Elles ont vu le jour dans les années 1980 en Italie : des femmes du syndicat communiste dénonçaient la « double journée » et la difficile « conciliation » du temps domestique – toujours inégalement réparti au sein du ménage – avec les heures de travail, leur laissant peu de temps pour elles-mêmes.

Cette réflexion a ensuite essaimé en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne et en France, où la ville de Rennes fait figure de pionnière. Sa première mesure a été l’adaptation des horaires des agent·es d’entretien (en très grande majorité des femmes) qui travaillaient alors tôt le matin et/ou tard le soir. Désormais, le personnel de nettoyage est en service de 8 à 15 heures ou de 10 à 18 heures.

« Les politiques temporelles permettent des réponses collectives à des besoins individuels », a expliqué Reine Marcelis, présidente de l’asbl Synergie Wallonie qui a consacré une recherche-action sur les politiques temporelles dans des communes bruxelloises lors d’un colloque consacré à cette question. Puis d’insister sur la dimension féministe des politiques temporelles : « Il s’agit de sortir d’une conception du temps axée sur l’impératif de rentabilité, où le temps non productif [famille, soin aux autres, principalement porté par les femmes, ndlr] est considéré comme du temps mort. » Et donc d’interroger le temps de loisirs, réparti inégalement entre femmes et hommes.

L’histoire des femmes dans les rues

L’invisibilité des femmes se manifeste aussi dans les noms majoritairement masculins des rues, des écoles, des monuments, des salles communales… Le Conseil communal namurois a décidé en février 2017 de rebaptiser 15 voiries par des noms de femmes ayant marqué l’histoire de la cité mosane, dont les rues comptent aujourd’hui seulement 2 % d’appellations féminines. Le premier « rebaptême » sera en l’honneur de Julie Dessy, créatrice des premières recettes des confitures Materne. Liège inaugurait en 2016 sa nouvelle passerelle, maladroitement baptisée « La Belle Liégeoise » en hommage à l’héroïne féministe Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. Ces initiatives semblent relativement simples mais ne sont pas si faciles à amorcer. À Écaussines, des membres de Vie Féminine ont mené tout un travail d’enquête sur les femmes remarquables de leur localité et ont envoyé un dossier à la commune, qui ne leur a jamais répondu… et qui a par la suite repris l’idée pour de nouveaux lotissements. Quant à Evere, les femmes du Conseil communal se battent pour que leur maison communale ait au moins une salle au nom féminin. Un échevin leur a rétorqué qu’elle existait déjà : la salle Aria, du nom d’un personnage de bande dessinée. Une femme de papier, est-ce vraiment suffisant ? Pour certains, oui.

Pipi pour toutes !

La discrimination des femmes dans l’espace public est partout… jusqu’au petit coin. Les toilettes publiques sont révélatrices de la manière dont une commune pense – ou pas – aux femmes. Aux Pays-Bas, des collectifs de femmes ont décrété en septembre 2017 un « jour national du pipi dans les urinoirs publics ».

En réaction à la condamnation à une amende d’une femme surprise en train d’uriner de nuit sur la voie publique, des milliers de Néerlandaises se sont photographiées dans les urinoirs pour montrer avec humour qu’il leur était difficile de faire pipi dans une installation conçue par et pour des hommes. © ANP / Koen van Weel

Cette mobilisation est née après l’amende infligée à une femme surprise en train d’uriner de nuit sur la voie publique. Jusque-là, rien de sexiste : les hommes aussi – et en Belgique, c’est pareil – peuvent être condamnés pour ce fait. Mais le juge lui avait rétorqué qu’elle « n’avait qu’à utiliser des urinoirs masculins » estimant que « cela n’est peut-être pas agréable mais pourrait être possible », rapportait l’AFP à l’époque. En réaction, des milliers de Néerlandaises se sont photographiées dans les urinoirs pour montrer avec humour qu’il leur était difficile de faire pipi dans une installation conçue par et pour des hommes. Des solutions ? L’Allemagne et la Suède ont mis en place de nombreuses toilettes mixtes. À Namur, à l’issue de marches exploratoires, des femmes ont lancé l’idée que des commerces mettent à disposition gratuitement leurs toilettes, moyennant compensation par la Ville.

Sécurité dans les transports

Le soir, la Ville de Montréal propose aux femmes un service spécial « entre deux arrêts », afin de les reconduire au plus près de leur destination.

En Suède, même le déneigement est féministe

L’égalité dans le déneigement. Où d’autre qu’en Suède ? En 2015, la Ville de Stockholm a mis en place le « jämställd snöröjning », ou « déneigement favorisant l’égalité », soit un déneigement qui consiste d’abord à déblayer les trottoirs et ensuite les routes. « Les élus sont partis du constat que les femmes utilisent davantage les trottoirs et les pistes cyclables (car elles manient des poussettes), tandis que les hommes, eux, circulent sur les grandes avenues (car ils conduisent des voitures) », expliquait Le Monde. Et l’article de souligner avec pertinence que cette politique est favorable aux femmes, mais aussi à tout le monde. En effet, « quand un landau peut passer sur un trottoir, une personne âgée peut aussi sortir avec son déambulateur ». Petit « détail » qui compte : dans la majorité municipale à l’origine de cette politique, il y avait des élu·es d’un parti féministe !

En 2015, la Ville de Stockholm a mis en place le « jämställd snöröjning », ou « déneigement favorisant l’égalité », soit un déneigement qui consiste d’abord à déblayer les trottoirs et ensuite les routes. © Belga/AFP

Genre et marchés publics

Pour satisfaire les besoins de sa population, une commune peut recourir à ses ressources propres (son personnel) ou bien faire appel aux services de prestataires extérieur·es (particuliers/ères, sociétés privées, mais aussi autres entités publiques) pour notamment gérer ses voiries, se fournir en matériel, etc. Il s’agit alors de « marchés publics ». Comme ils sont financés avec l’argent des contribuables, ils font l’objet d’une réglementation stricte. Le marché doit être le plus économique possible, il doit être accessible à tout le monde, les candidat·es doivent être traité·es de la même manière et la procédure de sélection être transparente. En quoi cela peut-il jouer sur l’égalité femmes-hommes ? Exemple à Schaerbeek : la commune s’est aperçue que les uniformes des balayeurs/euses, fournis par un prestataire extérieur, étaient beaucoup trop grands pour les travailleuses. Ils en ont cherché des plus adaptés. En vain…

L’Espagne, la Norvège et la Suède ont une longueur d’avance en termes de prise en compte du genre dans les marchés publics, rapporte l’Observatoire de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Par exemple, l’Institut basque pour les Femmes a publié un guide expliquant comment établir des conditions en faveur de l’égalité femmes-hommes dans les contrats et subventions publiques.

Femmes et graffiti : une histoire en demi-teinte

En février, axelle a passé quelques heures avec un groupe de graffeuses à Charleroi. Réservée aux femmes, l’initiative a permis d’évoquer la culture très masculine du graffiti, ces dessins légaux ou illégaux qui occupent l’espace public. Un territoire que les femmes n’ont pas fini de revendiquer.

© Camille Wernaers

«  Pschitt ». J’entends le bruit de loin, avant même de sentir l’odeur très particulière et entêtante de la peinture fraîche. Nous sommes un dimanche matin polaire à Charleroi et, alors que je m’abaisse pour passer à travers un grillage, j’aperçois quatre femmes qui s’affairent sur un mur. Derrière elles, des dessins préparés pour l’occasion qui se retrouveront peints en grand format dans quelques heures. Des dizaines de “bombes” de toutes les couleurs les attendent : ce sont des petits aérosols qui permettent de propulser rapidement la peinture sur une surface et qui servent notamment à faire des graffitis.

« Graffiti » est un mot italien dérivé du latin « graphium », éraflure, qui lui-même vient du grec « graphein » qui signifie écrire, dessiner ou peindre. À la différence du tag, qui est une signature à l’aide d’un nom ou d’un surnom, le graffiti consiste en un dessin ou une inscription plus longue.

Que ce soit dans les grottes de Lascaux ou sur les façades des villes, les êtres humains s’expriment en utilisant l’espace autour d’eux. Ce qu’on appelle aujourd’hui « street art » ou art urbain serait d’ailleurs apparu avant Jésus-Christ. Les graffitis ont même aidé les archéologues à comprendre les modes de vie de nos ancêtres de la Rome antique. On a par exemple retrouvé, sur un mur de Pompéi, l’inscription « Seiano amantissimo », ce qui signifie : « À Séjan, mon amoureux si amoureux ». Déjà des graffitis romantiques…

Et les femmes ?

Aujourd’hui plus souvent portés par des messages sociaux provocants ou critiques, les graffitis sont pourtant loin de faire l’unanimité. Lors de marches exploratoires dans des villes belges, des femmes ont pointé du doigt, à côté d’autres désagréments, « les murs couverts de graffitis ».  Le graffiti participerait donc au sentiment d’insécurité des femmes dans l’espace public. Lors d’une de ces marches, la fresque murale de la gare du Nord de Bruxelles était décrite comme « oppressante », notamment parce qu’une large majorité de ces portraits représentent des hommes. Cette activité, il est vrai, est encore très masculine. Difficile en effet pour les femmes de se lancer dans cet exercice qui se fait plutôt la nuit, dans des endroits insolites et… souvent seul·e.

© Camille Wernaers

Albine, graffeuse à Charleroi, partage cette observation. « J’ai déjà été embêtée pendant que je graffais. Beaucoup de femmes préfèrent commencer en groupe, explique-t-elle. Il s’agit en plus d’une culture underground très codifiée dont il est difficile de connaître les règles en tant que femme. Les hommes se passent les instructions entre potes et les femmes sont laissées de côté. »

Sur le mur en face de nous, « Koko » – un surnom – est occupée à graffer un cœur anatomique. Elle raconte : « J’ai commencé par observer mon copain et ses amis. Mon rôle, c’était d’aller chercher les boissons… Et puis, un jour, je me suis lancée. »

Contre les clichés, Albine a décidé d’initier les plus jeunes et les femmes aux graffitis, en toute bienveillance. Elle est à l’origine de cette initiative entre femmes, au cours de laquelle les graffeuses se donnent des conseils et se soutiennent. « Tu t’améliores ! », constate Albine en s’adressant à l’une d’entre nous.

« Tu fais comment quand tu es réglée ? »

La graffeuse a la chance de voyager dans des pays et des villes différentes, comme le Kosovo ou San Francisco, pour poser ses dessins de visages féminins. Et partout, les hommes sont prédominants dans le milieu du graffiti. « À Reims, où on m’avait demandé de venir graffer, il y avait 50 hommes et seulement 2 femmes », se souvient Albine qui m’avait prévenue d’un autre problème en m’invitant : « Les graffeuses, ça fait pipi dans la nature… » Elle s’interroge : « Dans ces événements où tu es invitée et où tu dois dessiner pendant plusieurs heures, il n’y a pas de toilettes prévues. Les hommes n’en ont pas vraiment besoin mais tu fais comment quand tu es réglée ? »

© Camille Wernaers

Albine graffe en toute légalité, sur des murs d’expression libre, par exemple. D’autres femmes choisissent la voie de l’illégalité et graffent dans des endroits non autorisés. Elles racontent alors le secret et les parties de cache-cache avec la police, comme la graffeuse Sany : « J’ai commencé à taguer à 16 ans dans ma ville natale, Prague. J’aime la liberté que cet acte me procure, une sorte d’émancipation. Mais c’est totalement interdit, et passible de prison. Alors on fait attention, on reste prudent. C’est pour ça que je me cache le visage quand je graffe. […] On fume une cigarette, on essaye d’être discret. Et puis, d’un coup, on sort les bombes. C’est très rapide. Si par malchance on se fait repérer, il faut courir, sauter, grimper. » En Belgique, les graffes illégaux sont punis d’une peine pouvant aller jusqu’à six mois de prison et d’une amende de vingt-six à deux cents euros.

Rebelles et marginales

Associés à des actes de dissidence, les graffitis font de leurs auteur·es des personnes rebelles et marginales. Ce n’est pas bien vu pour une femme… Sany en témoigne : « Ce n’est pas parce que je graffe que je suis une délinquante. […] Mais la majorité des gens considèrent qu’un·e graffeur/euse est une âme perdue, un·e asocial·e. Et puis à mon âge, 30 ans, je suis censée fonder un foyer, être posée… »

Sany a réalisé un documentaire à ce sujet, intitulé Girl Power – présenté l’année dernière au Festival Elles Tournent –, dans lequel elle a interviewé 28 graffeuses de 15 villes différentes.

Le DVD du documentaire est en vente sur www.girlpowermovie.com et en streaming sur Vimeo : https://vimeo.com/ondemand/girlpowermovie

• Lire à ce sujet : « Girl Power : sur la route des graffeuses »

« J’espère que mon travail va être un déclic pour les femmes artistes, elles doivent continuer à suivre leur rêve », explique encore Sany. Des femmes artistes sous-représentées, peu importe l’art par lequel elles ont choisi de s’exprimer. « Le street art est aussi macho que n’importe quel mouvement artistique contemporain, c’est-à-dire que ce qu’il se passe dans la rue n’est pas différent de ce qu’il se passe dans un musée ou une exposition », précise la journaliste Stéphanie Lemoine dans le documentaire d’Arte, Ceci n’est pas un graffiti, sorti l’année dernière.

À Charleroi, la matinée se termine. Les quatre graffeuses ont lâché leurs bombes et parlent de leurs grands-mères respectives. Quant à moi, j’ai appris plusieurs techniques et j’ai surtout gagné en confiance. Mes projets futurs impliquent un pochoir en forme de clitoris. Et une bombe de peinture rouge.

Grèce : des femmes sur le mont Athos ?

En Grèce, depuis l’an 1046, la présence des femmes est interdite sur le mont Athos, un site sacré de l’Église orthodoxe. Une nouvelle loi permettant l’autorisation du changement de genre féminin et masculin sur l’état civil pourrait bousculer ce principe religieux. Au grand dam des moines peuplant le mont Athos.

Depuis la plage d’Ouranoupoli, on aperçoit le mont Athos. Aucune personne de sexe féminin n’y est tolérée. © Marie Roy

Ouranoupoli se réveille sous un soleil tiède et un ciel dégagé. La petite cité grecque s’anime doucement. Les commerçant·es de la rue principale commencent à sortir panneaux et étals. Tout paraît d’un calme olympien… Pourtant, il suffit de discuter avec les habitant·es pour constater qu’une polémique anime la petite ville. « Il faut distinguer la loi religieuse et la loi grecque. Le dogme orthodoxe interdit aux femmes d’aller sur le mont Athos. Et même si la loi civile permet un changement de genre, je pense qu’il faut être respectueux de la religion et ne pas y aller », soutient Elena, en sortant une caisse de sa boutique de savons.

Des moines… et la Vierge

Car Ouranoupoli a une particularité : c’est la dernière ville que l’on rencontre avant d’arriver sur la péninsule du mont Athos. Or le mont Athos est une république monastique, bénéficiant d’un statut spécial d’autonomie au sein de la Grèce. Ce lieu sacré de l’Église orthodoxe est strictement interdit aux femmes. Officiellement, ce principe date d’une « chrysobulle » rédigée par Constantin IX Monomaque en 1046. Mais cette interdiction, appelée « avaton », remonterait en fait aux débuts du christianisme. La légende raconte que Marie, la mère de Jésus, aurait été tellement touchée par la beauté du site qu’elle aurait demandé à son fils de lui en faire cadeau. Depuis, la Vierge règne en seule maîtresse sur la montagne sacrée (aussi appelée “Jardin de la Vierge”), les moines lui consacrant un dévouement spirituel total.

Aucune personne de sexe féminin n’est donc tolérée sur la péninsule. L’interdiction de séjour porte jusqu’aux animaux femelles… à part les chattes, qui contournent la proscription grâce à leur talent de dératiseuses, et les poules, pour leurs œufs, les jaunes servant de pigments pour les icônes. L’histoire compte néanmoins quelques entorses à la règle, à l’image de la journaliste française Maryse Choisy, qui se serait fait enlever la poitrine en 1929 pour pouvoir se faire passer pour un homme et s’introduire sur le mont Athos durant quelques semaines…

13 livres à table pour l’été

Pour tous les budgets, pour tous les goûts : un assortiment de 13 bouquins – un chiffre porte-bonheur ? – à empiler à côté de sa chaise longue.

CC Richard Walker

Le magique

Un grimoire étrange et plein d’humour, regorgeant de ruses féministes destiné aux « mauvaises femmes apatrides ». Des réponses rituelles à des questions politiques sur l’engagement, la sexualité, le quotidien. Camille Ducellier s’ancre dans des situations concrètes, comme : « Vous venez de réaliser que le Dieu catholique et votre petite amie ont le même signe et le même ascendant, ce qui représente une probabilité extrêmement rare et c’est une nouvelle alarmante » (avant de nous apprendre à faire acte d’apostasie) ou « Le discrédit croissant du féminisme vous fait mal à l’oreille droite et au chakra de la base du cou tous les jours entre 20h et 20h35 ». Elle ouvre des chemins complexes, farfelus et malins, qui piquent notre curiosité. Ça fait réfléchir, ça fait rire et ça donne carrément envie de tester le voyage astral.

Camille Ducellier, Le guide pratique du féminisme divinatoire, Cambourakis 2018, 117 p., 14 eur.

L’instructif

Pourquoi ne pas mettre les congés à profit pour se documenter, les pieds dans l’eau, sur l’organe sexuel féminin ? Fonctionnement, sexualité, contraception, avortement, petits soucis divers et variés, le tout dans une langue accessible et réjouissante : vive l’été.

Nina Brochmann et Ellen Stokken Dahl, Les Joies d’en bas, Actes Sud 2018, 448 p., 22,50 eur.

Le succès

En version de poche, ce roman d’apprentissage au succès mondial, à la fois totalement ancré – à Téhéran – et totalement universel. Kimiâ, héroïne et narratrice, nous embarque : être une femme lesbienne dans la capitale iranienne ; être la cliente d’un gynécologue fameux et oser parler de “vâdjan” (vagin) “la bouche pleine de pâtisseries à la pistache et au safran”  ; s’engager pour une forme de liberté alors qu’autour de soi, tout se referme…

Négar Djavadi, Désorientale, Liana Levi 2018, 352 p., 11 eur.

Le poétique

Cet été sera peut-être l’occasion de découvrir l’immense poétesse Marina Tsvetaeva dans ce texte sublime. Au fil de sa Lettre à l’Amazone (sous-titre du livre), Marina Tsvetaeva plonge sa plume dans l’amour entre deux femmes, jusqu’à la « brèche dans cette entité parfaite » : le désir d’enfant. De cette situation, et de ces profondeurs, elle déploie les sentiments propres – sinon particuliers – à tous·tes les humain·es. Une œuvre inoubliable, aux résonances actuelles.

Marina Tsvetaeva, Mon frère féminin, Le Livre de Poche 2018, 64 p., 5 eur.

Le bilingue

Allez hop, on fourbit son anglais avec ces nouvelles bilingues (français et anglais) de l’autrice nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, l’une des voix majeures de la littérature dans ce récent 21e siècle et, ce qui ne gâche rien, féministe et drôlement fière de l’être. Dans ces textes à picorer (to pick, in english), Mrs Dalloway se réincarne en Melania Trump ; des femmes nigérianes sont embarquées dans le rêve de l’émigration… Yes, we read !

Chimamanda Ngozi Adichie, Les Arrangements et autres histoires, Folio 2018, 256 p., 8,30 eur.

Le biographique

Héroïne du 19e siècle, enfant miséreuse puis femme de lettres, femme mondaine, femme révolutionnaire, mais femme aimante et femme victime de violences conjugales, femme romanesque, fulgurante et contestée – évidemment ! –, Flora Tristan est surtout connue pour ses engagements de la France à l’Amérique latine. Elle fut aussi – et peut-être plus simplement – une femme qui tenta de s’affranchir, en choisissant son destin et les traces qu’elle voulait laisser. Ce qui intrigue, à juste titre, une biographe aussi talentueuse qu’Évelyne Bloch-Dano

Évelyne Bloch-Dano, Flora Tristan, Le Livre de Poche 2018, 448 p., 7,70 eur.

Le polar

En 1916, aux États-Unis, on ne rigolait pas trop avec la moralité des jeunes filles. Aussi, lorsque l’enquêtrice Constance Kopp est informée que des jeunes femmes ont été placées derrière les barreaux pour « dépravation », son sang ne fait qu’un tour. Sa sœur Fleurette s’en mêle. Et ce polar merveilleusement ficelé, troisième opus d’une série inspirée par la vie réelle des sœurs Kopp (Constance Kopp fut la première femme shérif adjointe dans son pays), ne nous lâchera pas avant la fin.

Amy Stewart, La Justicière et les filles perdues, 10-18 2018, 480 p., 8,40 eur.

Le pavé

Quand on aime, on ne compte pas les pages et on renonce à une valise légère. Dans ce roman à la fois passionnant et politique basé sur une fiction dramatique – et plus que réaliste –, la romancière américaine Jodi Picoult décrypte les mécanismes du racisme institutionnel aux États-Unis. À lire absolument…

Jodi Picoult, Mille petits riens, Actes Sud 2018, 580 p., 23,50 eur.

Le classique

La très grande Virginia Woolf n’a pas uniquement écrit des romans magnifiques et l’essai féministe fondateur Un lieu à soi. Elle a donné naissance à une œuvre foisonnante, multiple, et c’est un régal de découvrir cette sélection de nouvelles qui dépeignent, dans une langue sensuelle et poétique, l’intimité de femmes.

Virginia Woolf, Rêves de femmes, Folio 2018, 144 p., 2 eur.

Le terrible

Au cœur de ce livre à l’atmosphère lourde, une scène de violence familiale impensable. La narration, complexe, avance en zigzaguant, comme la mémoire tremblotante et fragmentée de Wade, survivant d’une cellule familiale désintégrée. L’odeur de forêt, entêtante, et le parfum des souvenirs s’exhalent des pages de ce premier – oui, premier ! – roman.

Emily Ruskovich, Idaho, Gallmeister 2018, 368 p., 23,50 eur.

L’historique

Les pieds dans l’herbe humide, on s’envole pour le Siècle d’or néerlandais. Catrijn, femme en fuite et artiste cherchant sa place dans un monde d’hommes, met au point dans une faïencerie de Delft le célèbre « bleu »…

Bleu de Delft, Simone van der Vlugt, Philippe Rey 2018, 300 p., 20 eur.

Le fruité

Depuis Rosa Candida, Audur Ava Ólafsdóttir nous ravit. La parution de son roman Le rouge vif de la rhubarbe en format de poche est vraiment l’occasion de la découvrir, en se laissant enchanter par l’unique et singulière Agustina dont l’autrice, par la magie de sa plume, nous révèle le monde intérieur.

Audur Ava Ólafsdóttir, Le rouge vif de la rhubarbe, Zulma 2018, 144 p., 8,50 eur.

L’hilarant

Aujourd’hui tout va changer : non, ce n’est pas une chanson de Michel Fugain. C’est un roman de l’Américaine Maria Semple qui inflige à son anti-héroïne, Eleanor Flood, autocentrée et attachante, une série de catastrophes qui vont la forcer à mettre le nez dans tout ce qu’elle essaie d’enterrer, à grand renfort de cours de yoga. « Tout » devait changer mais, bien sûr, rien ne se passe comme prévu et il faut être sacrément douée (et sacrément inspirée par sa propre fille, explique l’autrice !) pour faire de cet exercice de style une satire de notre « modèle » familial, de la société dominante et des relations mère-enfant.

Maria Semple, Aujourd’hui tout va changer, 10-18 2018, 312 p., 7,50 eur.

 

J’ai été témoin d’une agression homophobe ultraviolente à Bruxelles, au lendemain de la Belgian Pride

Dimanche 20 mai, au lendemain de la Belgian Pride, une journaliste d’axelle a été témoin d’une agression homophobe d’une grande violence dans le centre de Bruxelles. De tels actes sont fréquents et montrent que l’homophobie, en 2018, fait encore des ravages.

CC Emma

Younes, Mohamed* et John se promenaient dimanche 20 mai dans les rues du centre de Bruxelles avec leur groupe d’amis, un groupe à la fois bruxellois et international : John, par exemple, a fait le trajet depuis les États-Unis pour passer quelques jours dans notre capitale.

Il est un peu plus de vingt heures. Les amis sont donc une petite dizaine, marchant de façon éparpillée – c’est toujours comme ça quand on est nombreux : il y a ceux qui sont pressés, et puis ceux qui lambinent, entre un apéro chez un copain, un dîner qui se prépare dans le quartier branché de Sainte-Catherine, l’orage qui menace et cette atmosphère joyeuse, un peu grisante, de lendemain de fête. Car nous sommes à peine un jour après la Marche des fiertés bruxelloise, ou « Belgian Pride » (qui, au passage, a quand même été marquée par la répression policière suite à des actions d’opposition à la présence d’un char du parti politique N-VA). Et nous sommes trois jours après la Journée Ihsane Jarfi, une commémoration organisée jeudi 17 mai en la mémoire d’un homme victime d’un meurtre homophobe à Liège, en 2012.

C’est lorsqu’ils parviennent rue d’Anderlecht que les amis entendent les premières insultes, lancées dans leur direction par plusieurs jeunes garçons et jeunes hommes : « Pédés, pédés ! » Même les non-francophones comprennent immédiatement ce qui se passe.

« Marchez vite. Ne vous retournez pas », intime tout de suite Mohamed, le plus bruxellois d’entre eux, à ceux de ses amis qui sont à côté de lui. « Avancez. »

Les insultes fusent, se rapprochent. Et tout va très vite. Le groupe d’amis est attaqué dans le dos par une quinzaine d’assaillants déterminés à les tabasser.

Le craquement de sa tête qui heurte le bitume

Ce qui précède, ce sont les trois victimes qui me l’ont raconté un peu plus tard, alors que nous étions tous·tes ensemble au poste de Police. Pour le reste, à partir de cet instant, j’ai assisté à la scène.

Je suis en face, je débouche rue d’Anderlecht, juste en face de l’attaque. J’entends des cris, je vois un attroupement et puis je distingue une personne qui court, un homme. Il est jeté à terre par d’autres, et puis j’entends le choc de son corps sur le trottoir, le craquement de sa tête qui heurte le bitume. Des hurlements.

L’homme à terre est vêtu d’un tee-shirt corail. Une couleur qui me marque sur le moment, car elle tranche dans le groupe de ses agresseurs, tous couverts de vêtements sombres, qui maintenant s’acharnent contre lui à coups de pied. Dans ma stupeur, je vois l’homme arriver à se relever, tituber. Il court et traverse la rue dans ma direction, du sang lui recouvre le visage. Deux passant·es, un homme et une femme, l’accueillent de notre côté du trottoir, se mettent autour de lui, tentent de comprendre ce qui vient de se passer et de le rassurer en anglais – la jeune femme, en particulier, est impressionnante de sang-froid.

Moi, qui suis à côté de Younes, appelons ainsi le jeune homme au tee-shirt corail, je ne vois plus que lui. Je me rapproche donc des deux passant·es et, avec eux et avec ceux du groupe de Younes qui se sont échappés du piège et qui n’ont pas été physiquement touchés, nous nous mettons à l’écart, un peu plus loin. Le tout a pris une minute, peut-être deux, pas plus.

Younes et ses quelques amis, en état de choc, paniquent. L’un essaye de retourner chercher ceux qui manquent, un autre retient le premier, un autre encore tente de joindre ses amis par téléphone, un dernier soutient Younes en l’entourant de ses bras…

Et puis on voit déboucher John – je ne connaissais évidemment pas encore son prénom –, la bouche ensanglantée, et puis Mohamed, qui se tient la tête, et puis encore un ou deux, hébétés.

John (ici sur la photo), Younes et Mohamed souffrent de contusions, d’écorchures, de plaies au visage et au corps. © axelle mag.

Certains agresseurs viennent de s’enfuir car un ami de Younes a dégainé son téléphone pour prendre des photos. Un réflexe salvateur, et très utile pour l’enquête à suivre. John remarque aussi que des hommes plus âgés sortent de boutiques et d’immeubles adjacents et essaient de s’interposer pour mettre fin à l’attaque.

Le reste des assaillants, des jeunes hommes (« des adolescents », décrira John), les visages cachés par les capuches de leurs sweet-shirts, sont toujours là, à dix mètres de nous. Ils vont et viennent. Ils nous narguent jusqu’à ce que les sirènes de la police et de l’ambulance, une dizaine de minutes plus tard, fassent débarquer tellement de badauds qu’ils se fondent dans le décor.

Quand la policière qui a pris ma déposition un peu plus tard m’a demandé ce que je voulais rajouter à la description des événements auxquels j’ai assisté, j’ai souhaité insister sur cela. Sur ce sentiment de puissance et d’impunité qui se dégageait de ce groupe de jeunes agresseurs. Ils auraient pu tuer Younes. Ils l’ont démoli. Ils en ont démoli d’autres. « Ils ont essayé de nous tuer », a dénoncé John par la suite. Et ils avaient l’air très satisfaits.

Des agressions fréquentes

Ce n’est pas la première fois que de telles agressions se produisent. Le 17 avril dernier par exemple, deux hommes ont été attaqués quelques rues plus loin, pour les mêmes raisons. Est-ce  pour cela que l’un des policiers a dit à Mohamed : « Que faisiez-vous dans ce quartier ? »

Cette question était-elle vraiment nécessaire ? Pour Mohamed, elle était surtout culpabilisante, voire stigmatisante (cela m’a d’ailleurs fait penser à un article que nous venons de publier sur le traitement policier des violences envers les femmes). D’abord, à Bruxelles, Mohamed est chez lui. Il se promène où il veut, avec qui il veut. Ça devrait être ça, l’espace public. Cette question sous-entend-elle qu’il y a, dans notre capitale, des carrefours qu’on doit éviter, le soir, quand on est un homme qui tient par la main un autre homme ?

La réponse, évidemment, est oui, qu’on soit un homme en tee-shirt corail, une femme… Oui, partout en Belgique, on prend des risques à sortir de l’ordre hétéro-patriarcal. On le sait. Mais demander à Mohamed ce qu’il faisait « dans ce quartier » pourrait insinuer qu’après tout, lui et ses amis l’ont un peu cherché… et seraient aussi « coupables ».

Il est terrible de constater que cette culpabilité est tellement intégrée par les victimes, habituées à la haine homophobe au quotidien, que Younes m’a répété plusieurs fois : « On n’a rien fait, on ne les a pas provoqués… » Car en Belgique, les personnes homosexuelles ou transgenres sont en effet fréquemment victimes de discriminations et de violences. Rien qu’en 2017, Unia – le centre fédéral pour l’égalité des chances – a ouvert 84 dossiers pour ces raisons. Les faits dénoncés se déroulent principalement dans l’espace public (30 %), mais aussi sur le lieu du travail et dans la famille. « Cela démontre une forme d’intolérance et d’hostilité émotionnelle, un rejet quasi instinctif qui se traduit dans l’espace public, parfois de manière très violente », déplore Patrick Charlier, co-directeur du centre. Dans la même interview, il reconnaît également que ces chiffres sont tout à fait sous-estimés : « Bon nombre de personnes homo/bisexuelles refusent encore de porter plainte à la police ou même de nous contacter, vu le contexte sociétal ou familial relatif à l’homosexualité. »

Quant au traitement judiciaire de l’attaque, une policière avec laquelle j’ai discuté n’avait pas l’air d’en attendre beaucoup d’efficacité. Reste à espérer qu’elle soit contredite. Et que les couleurs arc-en-ciel que Bruxelles arbore encore ce matin ne soient pas juste une façade.

*Leurs prénoms ont été changés

Le 1er mai, les nettoyeuses philippines ont fait entendre leur voix

Un collectif de femmes philippines, employées domestiques dans des ambassades ou des familles, manifestait le 1er mai place Rouppe, à Bruxelles. Elles protestaient contre l’exploitation dont elles font l’objet, en particulier lorsqu’elles sont sans papiers. axelle a suivi le cortège à leurs côtés.

© Marie Colard, pour axelle magazine

Elles s’appellent Christina, Jenny, Elisabeth, Esther et Betty. Ensemble, elles ont créé la « Ligue des nettoyeuses ». Cinq femmes philippines de tous âges, aux parcours et aux personnalités différentes. Elles sont mères célibataires, vivent seules avec leur famille ou en colocation. Plusieurs d’entre elles ont dû laisser leurs proches derrière elles pour venir en Belgique. Certaines ont un titre de séjour, d’autres non. Leur point commun : elles sont (ou ont été) engagées comme domestiques dans des ambassades ou chez des particulier·ères, et sont animées par une même combativité face à l’exploitation dont elles sont victimes.

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Selon l’OR.C.A (Organisation pour les Travailleurs Immigrés Clandestins, qui s’appelle désormais Fair Work Belgium), la majorité des femmes en séjour irrégulier en Belgique travaillent comme domestiques car les autres professions ne leur sont pas accessibles. Pourtant, ces femmes ont d’autres compétences et parfois un haut niveau d’instruction. Aux Philippines, Betty a un diplôme d’informaticienne et Esther est ingénieure civile.

« Nous avons le dos et les mains usées »

« Fête du travail », dit-on ; pourtant ce n’est pas le travail qu’on célèbre, mais plutôt les luttes des travailleuses et des travailleurs. Le 1er mai, à l’occasion de la Journée internationale des travailleuses et travailleurs, la « Ligue des nettoyeuses » a donc marché contre l’exploitation au travail et pour la régularisation des travailleuses domestiques. Armées de tabliers, de balais et de gants, symboles de leur métier, les nettoyeuses n’ont pas hésité à sortir dans l’espace public « pour faire entendre leur voix », ainsi qu’elles l’expliquent à axelle. L’objectif de la manifestation : revendiquer leurs droits et rendre visible une profession, domestique, trop souvent maltraitée.

© Marie Colard, pour axelle magazine

En effet, les femmes de la « Ligue des nettoyeuses » racontent être exploitées. Celles qui sont sans papiers nous confient qu’elles travaillent souvent jusqu’à 22 heures avec un salaire de 5 euros de l’heure. Elles n’ont pas droit à des congés payés, au congé maternité ou même à une assurance maladie… « Nous avons le dos et les mains usées », témoignent-elles.

Un statut juridique flou

Toutes affirment être parfois soumises à du harcèlement, des menaces et à de la manipulation de la part de leurs employeurs/euses. « Il nous arrive d’être accusées à tort d’avoir volé un bijou ou un quelconque objet de valeur », explique l’une d’elles.

© Marie Colard, pour axelle magazine

Elles sont soumises à un système digne de l’aristocratie : la profession de domestique, archaïque, s’est institutionnalisée au 19e siècle, où il était habituel que les familles aisées engagent du personnel pour s’occuper du ménage, de la cuisine, des enfants, etc. Selon la « Ligue des nettoyeuses », si les employées ont le malheur de protester face à une charge de travail qui déborde largement de leur contrat, elles sont licenciées ou sont victimes de chantage. De plus, le statut juridique dans les ambassades est flou. L’employeur est l’État de l’ambassade en question, mais le contrat est local. Bien sûr, il existe des lois générales que tout le monde doit respecter, mais elles ne disent rien à propos de la durée du travail, du montant ou de l’indexation du salaire…

« Montrer que nous existons »

Ce 1er mai, de la place Poelaert à la place Rouppe, dans le centre de Bruxelles, elles ont marché, accompagnées de plusieurs membres du MOC (mouvement ouvrier chrétien) avec qui elles se réunissent régulièrement pour discuter de leur condition. « Avec cette action collective, l’objectif est d’avoir un maximum d’impact et de montrer que nous existons », expliquent-elles.

© Marie Colard, pour axelle magazine

Pour l’occasion, la « Ligue des nettoyeuses » a écrit un manifeste revendiquant une série de droits fondamentaux : le droit à une rémunération juste pour un travail décent, la fin des promesses électorales non tenues, la fin du harcèlement et de l’exploitation… Le groupe souligne l’urgence : la société doit savoir ce qui se passe « derrière les rideaux ». Chaque jour, des femmes de toutes les nationalités triment dans les maisons prestigieuses… et se battent pour une vie meilleure. Pour ces femmes, il ne suffit pas de vivre légalement en Belgique mais aussi de pouvoir jouir des droits et des opportunités que leur reconnaît la loi.

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« L’année prochaine, nous espérons mobiliser plus de femmes philippines et être mieux organisées », expliquent Christina et Jenny après la manifestation. Elles ont conscience que le chemin à parcourir est encore long. Pourtant, malgré la difficulté de la tâche, elles restent enthousiastes et déterminées. Comme elles le clament haut et fort, « les nettoyeuses ont une voix et un cerveau » : c’est sûr, elles n’ont pas fini de se faire entendre.