À Quaregnon, une stèle pour les victimes de féminicide

Pour honorer la mémoire des victimes de féminicide en Belgique, une stèle a été dressée dans la commune de Quaregnon ce 9 mars 2023. axelle était présente et a pu échanger avec l’autrice, metteuse en scène et comédienne belge Céline Delbecq, à l’origine du projet.

© Zoé Penelle, pour axelle magazine

Il faisait chaud, à Bruxelles, se remémore Céline Delbecq, autrice, metteuse en scène et comédienne, fondatrice de la Compagnie de la Bête Noire, à l’origine du projet de stèle. Elle se souvient que les fenêtres étaient ouvertes pour laisser entrer la faible brise du soir. Le silence régnait. Soudain, elle a entendu des cris. Du bruit. Une femme hurlait, rompant l’atmosphère paisible. Mais personne n’a réagi. Personne, sauf cet homme, un voisin… qui a hurlé à la femme de se taire. Céline Delbecq ne l’oubliera jamais. Elle n’oubliera pas non plus Éliane, Isabelle, Véronique ou encore Valentine, victimes de féminicide dans notre pays.

Le mot “féminicide”, relativement récent, décrit le meurtre spécifique d’une femme parce qu’elle est une femme. En Belgique, un projet de loi-cadre visant à doter notre pays d’un ensemble d’instruments pour protéger les victimes de féminicide et mesurer ces crimes définit, officiellement et largement, la notion de féminicide  : le “féminicide intime” (par exemple, d’une compagne), “non intime” (par exemple d’une femme dans un réseau de prostitution) ou encore “indirect” (par exemple à la suite d’un avortement forcé ou d’une mutilation génitale féminine). Mais il a longtemps été impensable d’inscrire le féminicide dans la loi.

Éliane, Isabelle, Véronique, Valentine sont désormais nommées sur la stèle de Quaregnon, inaugurée le 9 mars 2023 en leur mémoire. Faite d’acier Corten, la stèle réunit au total cent noms de femmes victimes de féminicide. Elles vivaient aux quatre coins de la Belgique, elles appartenaient à toutes les classes sociales. Elles avaient entre 13 et 87 ans.

© Zoé Penelle, pour axelle magazine

Malgré la pluie, nombreuses sont les personnes présentes pour l’inauguration. Un drap vert recouvre la stèle. Damien Jenart, bourgmestre de Quaregnon, prononce quelques mots puis laisse la parole à Céline Delbecq. L’idée de la stèle lui est venue lors du confinement. Elle avait écrit et mis en scène avec sa troupe de théâtre une pièce nommée Cinglée. Dans celle-ci, le personnage principal récoltait les articles de presse de féminicides en Belgique et sombrait dans la folie au fur et à mesure que la liste s’allongeait.

Il y a deux choses qui rendent fou, la mort de ces femmes et le silence autour.

“À s’approcher si près, je me disais : “mais je comprends pourquoi les gens ne s’en approchent pas”. C’est un vertige, ça fait mal. Ce n’est pas pour rien que le personnage dans la pièce devient fou. Il y a deux choses qui rendent fou, la mort de ces femmes et le silence autour, nous explique Céline Delbecq. Ce spectacle avait une tournée prévue, annulée à cause du confinement. Au même moment, les violences conjugales et intrafamiliales augmentaient de 60 % et donc on s’est dit : “qu’est-ce qu’on peut faire pour mettre ce message dans l’espace public puisque les espaces culturels sont fermés ?” De là est venue l’idée de la stèle.”

Une liste incomplète

Une première stèle a été inaugurée en septembre 2021 à Tournai. Cette dernière recueillait les noms de cent autres femmes. Chaque stèle se compose de deux parties : une partie “présente” et une partie manquante. Le long socle en béton de 4 mètres laisse en effet deviner qu’il manque une partie à l’édifice, ce qui symbolise et met en évidence que la liste des noms de femmes est incomplète. La forme morcelée se réfère à la fin de la pièce Cinglée : le sol se fissurait, représentant l’état psychique du personnage principal, allant jusqu’à la mort. Aux derniers moments de la pièce, le carrelage se relevait, laissant place à deux morceaux de stèle portant les noms des femmes décédées.

© Zoé Penelle, pour axelle magazine

Les monuments de Tournai et de Quaregnon ont vu le jour grâce au recensement du blog Stop Féminicide, réalisé à l’aide d’articles de presse et avec le soutien de différents Parquets. Malheureusement, certaines données sont absentes. Un QR code a donc été ajouté sur la stèle de Quaregnon afin de pouvoir accéder à une mise à jour sur le site internet de la Compagnie de La Bête Noire.

Voyez ce que vous ne voulez pas voir

© Zoé Penelle, pour axelle magazine

Maintenant, la pluie fait rage. Les tonnelles dégoulinent et de la boue commence à se former. Céline Delbecq se tient devant un pupitre et s’exprime au micro : “Non, le féminicide n’est pas un crime passionnel ou un drame de famille comme s’obstinent à le dire les mauvais médias. Il est un drame de société et ce qui concerne la société nous concerne toutes et tous. Nous avons une part de responsabilité à prendre. […] En tant que citoyens et citoyennes, nous avons le droit et surtout le devoir de nous mêler de ces violences, en intervenant dès que nous soupçonnons qu’il y a acte de violence, qu’il soit commis par un voisin, un ami ou un fils et en prenant en compte la parole des femmes jusque dans leur silence. C’est en modifiant notre vision et notre écoute que nous transformerons en profondeur notre société.” 

Elle nous confie, après son intervention : “Je ne veux pas délivrer un message aux femmes qui vivent cette situation, je veux dire aux autres : “Voyez ce que vous ne voulez pas voir”.”

Culture et Borinage

Quelques remerciements se font entendre, le drap vert qui recouvrait la stèle est alors ôté et les noms des victimes sont dévoilés. Les gens s’approchent, certaines personnes déposent des roses, des photos ou encore un ballon rouge. La soirée d’inauguration se conclut par une reprise de la pièce Cinglée par les élèves de l’Académie de Quaregnon, mise en scène par Sébastien Bonnamy et Sabine Godart. Sébastien Bonnamy, comédien habitant Quaregnon et ami de Céline Delbecq, a comme objectif d’y amener la culture depuis de nombreuses années. Céline Delbecq se remémore : “Il a toujours dit : “moi, je veux fonder une école de théâtre dans le Borinage, je veux amener la culture dans le Borinage, c’est une région oubliée”.”

© Zoé Penelle, pour axelle magazine

Pour ce qui est de la suite, une nouvelle stèle verra bientôt le jour à Bruxelles. Céline Delbecq compte continuer la liste. Dans l’espoir qu’un jour, la liste se termine enfin.

Le projet a été financé par la Commune de Quaregnon, la Compagnie de la Bête Noire mais aussi par MARS Mons Arts de la scène, avec l’aide et le soutien de la Maison Culturelle de Quaregnon, le Réseau Vif Borain, l’Académie de Musique, des Arts de la Parole et de la Danse de Quaregnon, IBZ et la Fédération Wallonie-Bruxelles.