#MeToo en politique, c’est aussi en Belgique : l’histoire de Marie

Dans le cadre d’un dossier réalisé en partenariat avec le média féministe Les Grenades, axelle a recueilli ce témoignage et décidé de le publier après avoir effectué un travail – habituel – de vérification des informations auprès de différentes sources. L’histoire de Marie (prénom changé), qui s’est retirée de la vie politique à la suite des événements qu’elle raconte ici, permet de mieux comprendre certains des mécanismes contribuant à l’effacement des femmes en politique.

© Lara Pérez Dueñas pour axelle magazine

Depuis la campagne menée en 2007 par Tarana Burke, travailleuse sociale afro-américaine, et la popularisation du #BalanceTonPorc puis #MeToo en 2017, de nombreux milieux sont concernés par des témoignages de femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. axelle et Les Grenades, qui réalisent en ce début novembre 2023 un dossier en partenariat, documentent régulièrement ces événements : notamment dans le monde festif (à Bruxelles, à Liège…), universitaire (à l’ULB, à l’ULiège, à l’UCLouvain…), culturel, dans la famille et l’entourage proche bien sûr – souvent le premier lieu où s’exercent les violences. Par ailleurs, le grand format publié par axelle en juillet dernier, consacré aux féminicides politiques dans le monde, comportait également un volet belge qui se centrait sur les violences subies par les femmes publiques, militantes, politiques ou journalistes. C’est donc le moment, alors que l’année 2024 comportera plus d’élections qu’on n’en a jamais connu en Belgique (législatives, régionales, communautaires et européennes en juin ; communales et provinciales en septembre), d’ouvrir les yeux spécifiquement sur les violences sexistes et sexuelles au sein des milieux politiques. Deux articles comme des portes d’entrée, qui ne sont pas prêtes à se refermer.

L’histoire de Marie

« J’ai reçu une éducation très judéo-chrétienne, je suis l’aînée d’une famille nombreuse. Nous avons grandi avec amour, sans manquer de rien. J’ai appris à rendre service, à m’occuper des autres. Mais j’ai eu une enfance très traditionnelle. Et puis, c’est dans mon caractère : je n’ai pas confiance en moi. Mes parents sont comme ça aussi. On n’ose pas prendre la parole en public, on n’a pas une voix qui porte. Pour comprendre cette histoire, c’est important d’avoir tout ce contexte. Ce carcan.

Pour comprendre cette histoire, c’est important d’avoir tout ce contexte.

Je n’avais jamais été intéressée par la politique avant de devenir féministe. En famille, on n’en parlait pas plus que ça. Cela n’avait pas été abordé pendant les humanités, pendant mes études médicales ou dans mon travail. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point tout est politique. Mais en fait, il me manquait quelque chose, je m’ennuyais. J’avais envie… d’apprendre. J’ai repris les études, j’ai fait un master dans une université. Certains cours, de même que des lectures, comme par exemple King Kong théorie de Virginie Despentes, m’ont complètement ouvert l’esprit. Je peux même dire que ça m’a libérée : j’ai eu comme une révélation. Je suis devenue féministe parce que je ne pouvais plus faire autrement. Mais c’était quand même assez tard, j’avais une trentaine d’années.

Via une connaissance commune, j’ai rencontré Louisa [prénom changé, ndlr], une féministe radicale et très, très politique, qui m’a fait bénéficier d’une formation à grande vitesse sur le féminisme, les rapports sociaux de sexe et le système patriarcal. C’est elle qui m’a proposé de venir aux réunions des femmes du parti. Je n’étais pas parmi les élues, qui venaient de partout dans le pays et ne pouvaient pas être présentes à toutes les réunions, mais je faisais quand même partie du noyau dur. On organisait des rencontres, des événements, des réunions, j’étais très impliquée. Je commençais à comprendre ce que ça engendre, le travail politique, comme engagement. Je ne me suis jamais dit que je pourrais être élue. Mais j’ai été appelée pour participer à la campagne de 2019… Je n’y aurais jamais pensé de moi-même. J’ai un côté assez timide, en retrait. Je suis plutôt quelqu’un qui analyse et qui observe beaucoup avant de parler. Je n’aime pas me mettre en avant.

La campagne

Avec les femmes du parti, à l’occasion du 8 mars, nous avions organisé une distribution de tracts sur les droits des femmes. C’était en 2018, un peu plus d’un an avant les élections. On commençait à voir des hommes du parti venir à nos événements. Ce jour-là, Jean-Michel Personne [le nom a été changé, ndlr] a participé à notre distribution. Pour se montrer, serrer des mains… et aussi pour que son assistant puisse prendre des photos de sa participation à l’événement. C’était la première fois que je le rencontrais en vrai.

J’étais stressée qu’une personnalité politique influente me contacte directement.

Quelques mois plus tard, c’est lui qui m’a appelée pour me proposer d’être sur les listes électorales de ma province, en bonne position. J’étais stressée qu’une personnalité politique influente me contacte directement. J’étais partagée : j’avais peur, mais aussi envie d’accepter. J’en ai parlé avec ma famille, avec Louisa. Finalement, je me suis dit que c’était une façon de porter à un autre niveau mon combat féministe. Il me paraissait évident qu’on m’avait contactée pour cela, justement. J’ai accepté.

J’ai découvert l’ambiance d’une campagne électorale. On te fait vraiment sentir que tu fais partie d’une équipe. On te met à l’aise, il y a des réunions et des rencontres avec plein de monde, avec de l’alcool aussi. Au final, on te fait comprendre que les absent·es ont tort. Parce que le parti investit sur toi, tu as été choisie – surtout si tu es bien placée sur une des listes – et donc tu dois être présente, aller sur les marchés, à des événements publics, contacter plein de gens, faire des vidéos…

Il faut aussi savoir rester tard. Les gens qui ont des enfants, qui viennent juste pour la réunion et puis qui rentrent chez eux, font moins partie du “club”. En général, ce sont surtout des mecs qui restaient. Autour de Jean-Michel Personne, le chef de l’équipe. Après les réunions, il en invitait certains au restaurant. Voilà, c’est vraiment une ambiance particulière.

Dans notre équipe, il y avait de tout : des jeunes, des seniors, des femmes et des hommes avec des métiers très différents. Il y avait des personnes plus expérimentées en politique. Moi, j’étais plutôt dans une chouette équipe de trentenaires pour qui c’était la première campagne. Nous avions des profils engagés : moi pour les droits des femmes, et d’autres candidat·es portaient d’autres sujets de société importants.

Pendant la campagne, je devais donc participer à des événements. Je n’étais pas du tout à mon aise, parce que je devais aborder d’autres sujets que les droits des femmes. Heureusement, on nous préparait un peu, mais c’était stressant. Et avec les femmes du parti, on avait préparé un argumentaire sur les droits des femmes dans notre programme. On a même réussi à en faire un tract spécifique. J’y croyais sincèrement. Je voulais que les femmes soient entendues, je voulais améliorer les choses.

À un moment au début de la campagne, Jean-Michel Personne m’a écrit : “Notre parti a besoin d’horizons nouveaux et de vieux tuteurs.” Quand j’y pense, après cette campagne, c’est bien lui, en case de tête [premier sur la liste, ndlr] qui a été élu. Grâce aux “horizons nouveaux”.

Ça se passe comme ça, ici…

On a eu une première réunion pour parler du programme devant le public de notre province. C’est Jean-Michel Personne qui présidait ; c’est lui qui nous a présenté·es, nous, les candidat·es. À un moment, il en a présenté un, en disant : “Lui, il a son harem.” Parce que le candidat gérait une entreprise constituée principalement de femmes… J’étais là, je l’ai entendu ! J’étais scandalisée. Il venait de dire cela devant 50 personnes : aucune réaction négative, certains trouvaient ça très drôle. Je me suis dit : ok… Donc ça se passe comme ça, ici…

Il a fait des petits commentaires sur mon physique.

La semaine suivante, nous devions faire nos photos de campagne, celles qui allaient être sur les programmes et sur les affiches. Il est passé juste après moi et il a fait des petits commentaires sur mon physique, du style : “Ah, Marie, elle n’a pas besoin de maquillage.” Juste après ces photos avait lieu une nouvelle réunion publique : il était en retard, il m’a demandé de l’excuser publiquement mais lorsqu’il est arrivé, il a pris la parole en disant d’un ton un peu grivois qu’il était en retard car lui et moi avions “fait des photos ensemble”… Je ne savais plus où me mettre.

© Lara Pérez Dueñas pour axelle magazine

Quelques jours plus tard, lors d’une réunion, on était encore quatre – y compris lui et moi – en fin de soirée, je lui ai dit, devant les autres, que je trouvais que ses propos avaient été sexistes, que ce soit la remarque sur le “harem” ou l’histoire des photos. Il a répondu qu’il n’était pas d’accord avec moi, et qu’il savait déjà, quand il m’avait appelée pour me proposer de candidater, qu’il allait devoir se “farcir” ma personne ; il a même dit : “On ne t’a pas choisie pour ton physique.” Le soir même, il m’a envoyé un SMS, premier d’une longue série, me remerciant pour ma franchise “déconcertante”. “Nous ferons ensemble une belle campagne”, a-t-il conclu.

Nous sommes partis sur de mauvaises bases. Je veux vraiment t’aider.

Étape suivante : début avril, après un dîner très arrosé à notre QG, nous sommes restés à une dizaine à discuter. Il s’est mis à m’appeler par mon nom de famille, alors que je lui demandais qu’il m’appelle, comme les autres, par mon prénom. Et là, il lance, devant tout le monde : “[nom de famille de Marie], c’est une partouzarde.” J’étais abasourdie. Quelques instants plus tard, toujours devant moi, il a dit à l’un que j’étais “trop carrée”, qu’il fallait que j’“arrondisse les angles”, en faisant des gestes évocateurs avec ses mains. Mon cœur battait à tout rompre. Et pendant que j’étais sur le chemin du retour, il m’a téléphoné. “Nous sommes partis sur de mauvaises bases”, m’a-t-il dit, m’invitant à retrouver une “bonne entente” au restaurant. “Je veux vraiment t’aider.” Et moi, j’ai accepté. J’y croyais, à cette campagne.

L’engrenage des SMS

On a fixé une date. Comme je suis assez stressée et que je n’avais pas de nouvelles de lui, je lui ai envoyé un message pour lui rappeler notre projet de repas. C’est là que ça a empiré. J’ai ouvert la porte symboliquement : il s’y est engouffré. Il m’a répondu trois minutes plus tard : “Je n’attendais que cela”. Le soir même, il m’a envoyé une quinzaine de SMS ; je m’en souviens bien, car je les ai tous enregistrés en dehors de mon téléphone. Je lui répondais en essayant de remettre la conversation sur le sujet politique, collectif, et sur notre rendez-vous de campagne. Mais lui me posait des questions sur la façon dont j’étais habillée, sur mon emploi du temps du samedi soir passé, me réclamant des “confidences” pour “assouvir sa curiosité”.

Les sous-entendus étaient partout.

Je voulais rester polie et ne pas le froisser, mais j’étais vraiment très mal à l’aise. Lui soufflait le chaud et le froid, tantôt à me complimenter, tantôt à me reprocher de ne pas être assez “culottée” pour me plier à ses propositions de lui envoyer un selfie de moi habillée de façon “décoiffante”. J’ai tenté de couper après un SMS dans lequel il se proposait de venir me “surprendre”, chez moi ou ailleurs, “avec ou sans training”. Les sous-entendus étaient partout. “J’avais encore beaucoup de questions plus personnelles à te soumettre”, a-t-il rajouté à la fin de son texto.

Là, j’ai réussi à lui répondre qu’il était trop tard, que ce n’est que partie remise, je l’ai remercié pour la conversation. En fait, je ne savais pas quoi faire. J’étais vraiment engluée. Je pense que j’étais dans une forme d’emprise. Lui, personnalité politique, leader de notre groupe politique local ; moi, simple candidate…

Je pense que j’étais dans une forme d’emprise.

Environ trente minutes plus tard, j’ai reçu un nouveau message de sa part : il m’a demandé de continuer notre échange de SMS plus tard dans la soirée, après une série de corrections qu’il devait effectuer sur un tract. Il m’a proposé qu’on se pose “5 questions chacun pour mieux se connaître”, avec “sincérité” et “totale discrétion.” “Tout est permis”, a-t-il précisé, lui, “si bien intentionné et sans arrière-pensée”. Puis : “À tantôt, si tu le veux”. Je lui ai répondu que j’étais ok sur le principe mais que je serais plus à l’aise de faire cela autour d’un verre ou d’un repas, pas par message. Il a insisté : “Commençons ce soir pour nous donner envie de continuer en live…”, en me donnant un surnom avec un prénom possessif : “mon…”, en parlant de moi. Je lui ai répondu à nouveau que je préférais que nous échangions en personne.

À nouveau, il a insisté, écrivant que je pouvais lui poser une question qui me “turlupinait”, réitérant que nous étions dans l’“absolue discrétion”. “Je n’ai vraiment pas envie de faire ça par message”, ai-je encore une fois répondu, précisant à nouveau : “Je préfère une conversation amicale et bon enfant en live.” C’est clair, non ? Apparemment, non. Il a fallu encore plusieurs SMS, et une non-réponse de ma part, pour qu’il réalise à 23h qu’il avait un peu “abusé” de mon temps, qu’il m’explique qu’il avait pris le soleil aujourd’hui, qu’il avait rendu une visite à sa famille, qu’il était donc plus joyeux que d’habitude et qu’il était toujours à mon écoute. Le lendemain après-midi, je prends mon courage à deux mains et je lui écris que je ne préfère pas aller manger avec lui. Je conclus : “À très bientôt lors d’un événement collectif.” Il me répond tout de suite : “Pas de souci, comme tu le souhaites.” Mais ça n’en est pas resté là.

L’explosion

J’ai tout raconté à Louisa. Je lui ai montré tous les SMS. Elle m’a dit : “Mais Marie, c’est du harcèlement !” Elle m’a fait ouvrir les yeux.

Quelques jours après l’échange de SMS, il a envoyé un texto collectif à plusieurs candidat·es, mais avec un PS implicitement à mon intention. Quand je lui ai signifié – toujours via SMS, formulé très clairement, en suivant les conseils de Louisa – que je ne voulais plus, à l’avenir, qu’il fasse référence à ma vie privée, j’ai réalisé que j’allais être punie. “Dorénavant, a-t-il répondu, mon assistant t’enverra les messages d’usage. Cela promet pour la suite”.

Il a tenté de me culpabiliser.

Il a tenté de me culpabiliser : “Crois-moi, j’ai essayé d’être en permanence à l’écoute de tous les candidat(e)s et les encourage de mon mieux. Je ne compte ni mon énergie ni mon temps pour épauler les candidats et tu es la seule à réagir de la sorte. J’en suis vraiment navré.” J’ai respiré un bon coup et je lui ai répondu à mon tour : “Les choses sont claires désormais, de quoi repartir sur une bonne base pour la réunion de campagne de demain.” Trente minutes plus tard, la réunion en question a été annulée.

Est-ce qu’il y a un lien ? Je ne l’ai jamais su. Elle a été déplacée à quelques jours plus tard… Et ce fut à nouveau un festival de remarques graveleuses et de propos sexistes de sa part – alors qu’il m’a totalement niée, il a fait comme si je n’existais pas. Moi, à cette réunion-là, j’avais fait exprès de porter un tee-shirt avec un slogan féministe…

Les semaines qui ont suivi, avant le vote, ont été très difficiles à vivre. Il a continué à parler publiquement de moi comme si je n’étais pas là. J’ai refusé de faire une vidéo de campagne avec lui, j’ai essayé de rester concentrée sur le programme, sur la vision de la société que je voulais défendre. C’est ce qui me faisait tenir, en fait, mes convictions. Et puis… il y a eu la soirée électorale.

Je crois que j’étais en état de choc.

Il est arrivé très tard au QG, déjà fort alcoolisé. Soulagé d’avoir été élu. Et là, alors que tout le monde était là – mais personne n’a rien vu – il est arrivé derrière moi et il m’a mis une claque sur les fesses. Je n’ai rien osé dire sur le moment. Il a continué à tirer sur mon tee-shirt pour que j’enlève ma veste, il m’a entraînée à l’étage et il a essayé de m’embrasser. J’ai réussi à m’enfuir de la pièce ; lui est resté à l’intérieur, écroulé, la tête sur son bureau. Je crois que j’étais en état de choc.

Le lendemain, je lui ai envoyé un mail, que Louisa m’a aidée à rédiger, en lui disant que son comportement “à connotation sexuelle” avait été tout à fait déplacé. J’ai mis par écrit ce qu’il m’avait fait subir la veille au soir en le menaçant de faire remonter ces informations aux autorités du parti. Il a répondu en niant en bloc : “Je tombe des nues”, “Je n’ai aucun souvenir”, “Qui croire ?” Qui, oui ? Qui allait être cru ?

Et rien ne se passe

J’aurais pu tuer la campagne si j’avais parlé à ce moment-là.

L’été s’est écoulé. Je voulais mettre de la distance avec ce qui s’était passé, mais je ne voulais pas en rester là. Après tout, j’aurais pu laisser tomber après le soir où il m’avait bombardée de SMS, mais j’ai persévéré, j’ai continué à m’investir, prenant sur mes soirées, mes jours de congé sans solde, mes week-ends. Je n’en ai parlé à personne, sauf à Louisa, et à un autre jeune de notre équipe de campagne. Clairement, j’aurais pu tuer la campagne si j’avais parlé à ce moment-là.

Fin août, le parti m’a recontactée pour nous proposer, à d’autres membres de la campagne et à moi, d’entrer dans une locale du parti. Je m’y suis rendue… Et lui était là ! À faire un commentaire sur la façon “estivale” dont j’étais habillée ! Et le soir même à me réinviter par SMS ! Là, je me suis dit : ok, c’est terminé, je contacte les autorités du parti.

Il le savait. C’était connu…

Avec d’autres femmes du groupe “femmes” à qui j’avais fini par raconter ce qui m’était arrivé, on a eu un rendez-vous avec des personnalités importantes du parti. L’un des responsables a analysé la situation en évoquant des “blagues d’un autre âge”. Et on m’a proposé… une médiation. Me retrouver face à lui ? Non. J’ai décliné. J’ai même dit – car j’avais reçu entre-temps des confidences d’autres femmes : “Je sais que je ne suis pas la seule à qui c’est arrivé”. “Ce n’est pas faute de le lui avoir dit !”, a alors râlé un autre responsable. Il lui avait dit : donc, il le savait. C’était connu… On est reparties, et rien ne s’est passé. Je n’ai plus été contactée, il n’y a pas eu de suite.

Si les femmes partent, c’est qu’il y a une raison.

Après cela, je me suis complètement désengagée du parti. J’ai l’impression que j’ai été instrumentalisée, que mes combats ont été utilisés pour le faire élire, lui, et qu’il bénéficie d’une totale impunité. En fait, c’est parce qu’il y a la tirette [la parité sur les listes électorales, ndlr] qu’ils sont venus me chercher. Comme j’ai lu dans un petit article d’axelle [n° 249, ndlr], “en politique, les femmes partent, les hommes restent”. Mais si elles partent, c’est qu’il y a une raison.

Encore aujourd’hui, je ressens de la honte et de la culpabilité. J’ai eu l’impression que cela ne pouvait m’arriver qu’à moi – alors que je sais que ce n’est pas le cas. Je me suis sentie bête et insignifiante. Je suis aussi en colère. D’ailleurs, quand je l’ai raconté à mes parents, eux aussi étaient en colère.

J’ai été tellement déçue de la réponse du parti. D’une manière générale, l’ensemble du monde politique, quel que soit le parti, devrait changer sa manière de fonctionner. Je ne veux plus refaire de campagne, je n’y crois plus vraiment. Je voterai, je ferai mon devoir, même si je ne me fais plus tellement d’illusions. Et je suis tout à fait en empathie pour les jeunes femmes qui seront en campagne pour la première fois pour les élections de 2024. J’espère qu’elles ne vivront pas ce que j’ai vécu.

Je suis admirative des femmes qui parlent publiquement.

Je suis admirative des femmes qui parlent publiquement et qui dénoncent. Moi, j’ai consulté un juriste qui m’a dit qu’il n’y avait pas d’éléments tangibles dans mon dossier, malgré le fait qu’il y a vraiment eu agression sexuelle. Mais sans témoins, parole contre parole, le bénéfice du doute revient à l’accusé… Et je crains d’être attaquée en diffamation si je m’exprime sous mon vrai nom. Tant mieux si, présentée ainsi, mon histoire peut en aider d’autres. Rêvons qu’un jour, ce système change. »

axelle et Les Grenades souhaitent continuer à collaborer sur le dossier des violences sexistes et sexuelles dans les sphères politiques. N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez témoigner, anonymement ou non ; nous protégeons nos sources ainsi que l’origine de l’information. Par mail : contact@axellemag.be  et lesgrenades@rtbf.be
Qu'est-ce que l'emprise ?

Ainsi que la définit l’asbl belge Femmes de droit, l’emprise psychologique est un processus de manipulation mentale et de violences psychologiques. Ce phénomène souvent long et insidieux peut exister dans de nombreuses situations : au travail, au sein du couple, de la famille, entre ami·es, ou dans une secte. Comme le précise l’asbl, “les moments de vie où une personne est plus fragile facilitent cette emprise. Cependant, tout le monde peut être victime d’une relation d’emprise, peu importe sa profession, ses revenus ou son intellect.”

Dans le cas des violences conjugales, l’emprise est un enjeu clé et se déroule en plusieurs phases : la “lune de miel”, dans laquelle la victime reçoit attention et/ou amour de la part du manipulateur. Puis le “doute” : la victime est dévalorisée et critiquée, perdant peu à peu sa confiance en elle. Le manipulateur alterne souvent ces phases, brouillant les frontières entre acceptable et inacceptable. Enfin le manipulateur isole la victime de son entourage.

En Belgique, le numéro d’appel gratuit pour les victimes et proches des victimes de violences conjugales est le 0800 30 0 30.