L’appauvrissement des victimes de violences intrafamiliales

Les violences intrafamiliales ont un coût financier pour les victimes et la société dans son ensemble. Un coût qui pèse sur les épaules des victimes et ralentit leur reconstruction.

© Juliette Léveillé, pour axelle magazine

En Belgique, une femme sur quatre vit ou a vécu des violences conjugales. Plus de deux personnes sur cinq connaissent, dans leur cercle d’amies ou dans leur famille, des femmes victimes de violences domestiques. Les auteurs de ces violences sont, dans la très grande majorité des cas, des hommes. Largement répandues dans notre société, les violences masculines intrafamiliales entraînent un ensemble de conséquences pour les femmes qui les subissent, mais aussi pour la collectivité. Parmi ces conséquences, il y a le coût économique, dont on ne parle que trop peu. Car en essayant de fuir et de se protéger, il est fréquent que les femmes s’appauvrissent.

“Je pense à une femme à qui nous rendons visite, qui a quitté son compagnon violent, raconte Jean-Louis Simoens, du Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion (CVFE). Elle vit dans un nouvel appartement, sans table, sans chaise, sans lit, elle dort sur le sol, parce qu’elle n’a pas les moyens de s’acheter des meubles. Ce sont des réalités que l’on constate sur le terrain. On entend régulièrement les femmes dire : “Je lui laisse la voiture, je lui laisse l’appartement”.” Ce que Marie Doutrepont, avocate au sein du cabinet Progress Lawyers Network, appelle “le prix de la paix” : “J’ai une cliente qui a accepté de payer 40.000 euros de dettes que son ex-conjoint a contractées à son nom à elle, en fraudant. Elle n’avait plus la force, ni l’envie de se lancer dans de longues procédures. Les hommes violents ont souvent un rapport particulier à l’argent.”

Les ravages des violences économiques

Les violences économiques font partie du continuum des violences faites aux femmes. Selon le cabinet de la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz, une Belge sur sept a subi des violences économiques ou risque d’en subir. Le contrôle des dépenses faites par sa partenaire, l’interdiction de travailler ou encore le non-paiement de la pension alimentaire après une séparation font partie des violences économiques. Des violences avec lesquelles Josiane Coruzzi, directrice de l’asbl Solidarité femmes et refuge pour femmes victimes de violences à La Louvière, est malheureusement familière. “Parmi les femmes qui ont été hébergées ou qui le sont encore, presque aucune ne reçoit la pension alimentaire de l’ex-conjoint en temps et en heure. Très peu d’entre elles font appel au SECAL pour recevoir une avance sur ces sommes, souvent parce que ce sont des démarches administratives en trop pour elles. Elles sont en train d’essayer de récupérer leur vie et sont parfois débordées par ces démarches. Les ex-conjoints, quant à eux, poursuivent les violences avec ce qu’ils ont sous la main.”

Katarina (prénom d’emprunt) vit ces violences au quotidien. Elle partage la garde d’une de ses deux filles avec son ex-conjoint. “Il n’a rien payé pour les enfants depuis des années. Il rechigne même pour payer 30 euros de monture de lunettes. Je me suis appauvrie parce que je paie les frais liés à mes enfants toute seule. Il ne m’aide même pas avec les coûts médicaux. En revanche, ma fille est revenue malade de chez lui ! J’ai dû aller à l’hôpital, on a cru à une appendicite. En fait, elle avait mangé du poulet cru chez son père, d’où ses maux de ventre… Il y a eu beaucoup de procédures judiciaires, souvent initiées par lui, à un certain moment, j’ai fini par renoncer à demander certaines sommes, j’étais fatiguée. Aujourd’hui, il demande une nouvelle audience à la suite de la réforme des rythmes scolaires… Je ne sais pas comment je vais payer mes frais d’avocat ! Si je dois mettre un chiffre, je dirais que j’ai déboursé plusieurs dizaines de milliers d’euros. L’amour, c’est bien beau mais cela rend aveugle !” Marie Doutrepont questionne : “Ces hommes ne comprennent-ils pas qu’en appauvrissant leur ex-partenaire, ils appauvrissent aussi leurs propres enfants ?”

Le coût de l’accès aux droits

La multiplication des procédures judiciaires est l’une des conséquences de la rupture avec un homme violent, car, si la séparation se passe bien, il n’y a aucun besoin de recourir aussi souvent à la Justice, ce qui n’est pas gratuit. Marion de Nanteuil, avocate auprès de victimes, explique : “L’aide juridique existe, qui prend en charge ces sommes, mais seulement sous un certain seuil de revenus. Certaines femmes ne peuvent donc pas en disposer. Une autre chose dont on parle peu est le coût d’exécution des décisions : même lorsqu’un dossier est gagné devant le tribunal, il arrive que les hommes ne paient pas les sommes dues. Il faut alors payer un huissier de justice pour faire exécuter le jugement, sans aucune garantie de recevoir la somme. En résumé, cela coûte de l’argent aux victimes d’obtenir une indemnisation à laquelle elles ont droit. C’est frustrant.”

“Certaines femmes sont épuisées car elles subissent du harcèlement à travers les procédures, confirme Josiane Coruzzi. Parfois, elles préfèrent ne pas exiger ce à quoi elles ont droit, pour éviter que ce harcèlement reprenne, elles craignent d’être à nouveau confrontées à leur agresseur. L’aide juridique, c’est très bien et nécessaire, heureusement que cela existe. Ce n’est cependant pas le système le plus adapté en cas de violences, car il faut redemander l’aide aux services judiciaires pour chaque procédure, et c’est très long avant de recevoir une réponse. Quand on se retrouve devant des situations d’urgence et des questions de vie et de mort, nous avançons les sommes pour qu’elles puissent se défendre.”

“Je me suis effondrée”

Pour Marie Doutrepont, la précarisation des victimes de violences conjugales est aussi due au fait que l’attribution préférentielle du logement à la victime en cas de violences conjugales n’est pas appliquée : “Ce sont les femmes qui quittent leur lieu de vie, elles se retrouvent dans des refuges. Souvent, elles repartent de zéro.” Julie (prénom d’emprunt), victime de violences physiques, verbales et sexuelles, a vécu cette situation. “J’ai eu un déclic quand les violences ont commencé sur mon fils. Un mois après l’avoir vu en pleurs, terrorisé par son père qui lui hurlait dessus, j’ai quitté mon compagnon. Il était propriétaire de son appartement, je n’aurais de toute façon rien pu reprendre, alors que nous avions investi ensemble dans la rénovation et le mobilier. Je suis uniquement partie avec mes bébés – qui avaient 10 mois et 2 ans et demi –, mes deux chats, ma voiture et nos valises.”

Ce sont les femmes qui quittent leur lieu de vie, elles se retrouvent dans des refuges. Souvent, elles repartent de zéro.

Au sujet de l’argent, elle explique : “Il n’a rien payé durant des mois. Au départ, le plus lourd a été de nous meubler décemment, même si j’ai eu la chance de bénéficier d’un énorme élan de solidarité grâce aux réseaux sociaux. La crèche pèse aussi beaucoup dans mon budget, et les couches qu’ils portent encore tous les deux ! J’ai payé environ 6.000 euros pour avoir ce nouvel appartement et nous créer un nid douillet à nous trois. Jusqu’à il y a peu, je ne pratiquais plus aucune activité, je ne sortais plus, car je n’avais pas les moyens.” La conséquence principale fut néanmoins sa faillite. “J’étais indépendante depuis des années, et au moment où mon plus gros projet se lançait, je me suis effondrée. Après des mois de harcèlement post-séparation, de menaces, etc., j’ai été diagnostiquée en syndrome de stress post-traumatique et burn out. J’ai dû faire appel au CPAS en novembre dernier pour une aide d’urgence afin que nous puissions payer le loyer de notre appartement. J’ai été avec mes enfants au frigo solidaire de notre commune pour nous nourrir.” Aujourd’hui, Julie explique avoir trouvé un nouvel emploi et commencé à rembourser ses dettes, qui s’élevaient à 17.000 euros au total.

Difficile à chiffrer

“Les victimes, même celles qui n’étaient pas précaires, s’appauvrissent car elles se retrouvent, d’un coup, à la tête d’une famille monoparentale. Tout coûte plus cher car elles n’ont plus qu’une seule source de revenus, souligne Josiane Coruzzi. Quand on est hébergée en maison d’accueil pour victimes de violences, il faut payer un loyer, dont une partie peut être prise en charge, par exemple par le CPAS. Certaines femmes hébergées renoncent néanmoins à se soigner. La mutuelle peut rembourser certains frais médicaux, mais il faut d’abord les avancer ! Vu le prix des soins dentaires en Belgique, beaucoup de celles que nous hébergeons ou suivons perdent leurs dents. Certaines développent aussi un cancer du sein après des violences, c’est assez fréquent, c’est le cas de quatre femmes que nous suivons en ce moment.”

Voilà pourquoi il est si difficile de chiffrer le coût économique total des violences masculines : leurs conséquences sont disséminées dans notre société tout entière, et affectent de nombreuses personnes ; en premier lieu les victimes mais aussi les professionnel·les qui les accompagnent.

Les conséquences directes physiques et psychologiques des violences entraînent des soins particuliers. “J’ai par exemple une cliente que le mari a droguée avec des médicaments avant d’essayer de l’étouffer, précise Marion de Nanteuil. Dans le cadre d’une procédure judiciaire, on peut demander que l’auteur rembourse les frais médiaux. On va calculer les préjudices corporels et l’incapacité de travail. Quand on parle de soins, tout ne peut cependant pas être chiffré, je pense au stress engendré et à ses conséquences futures sur la vie de ces femmes, les victimes ne pourront donc jamais être remboursées intégralement. À ma connaissance, le remboursement de frais de thérapies futures n’a par exemple encore jamais été octroyé devant un tribunal, mais je pense que cela pourrait se tenter, analyse l’avocate. Par contre, si moi, avocate, j’ai besoin de me faire suivre psychologiquement à cause de tout ce que j’entends en accompagnant des victimes, cela se fera sur mon propre budget.” Voilà pourquoi il est si difficile de chiffrer le coût économique total des violences masculines : leurs conséquences sont disséminées dans notre société tout entière, et affectent de nombreuses personnes ; en premier lieu les victimes mais aussi les professionnel·les qui les accompagnent.

Et aussi de l’argent public

De l’argent public est déboursé par les différentes entités fédérées du pays pour soutenir les victimes, les institutions et les associations qui leur viennent en aide. Là encore, il est difficile d’avoir une somme globale. Du côté de Sarah Schlitz, 2,5 millions d’euros par an sont prévus dans le cadre du Plan d’Action National de lutte contre les violences (PAN) et 24 millions d’euros pour les Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS). “À cela s’ajoutent donc tous les budgets des autres ministères fédéraux impliqués et tous les ministères des entités fédérées impliquées”, nous répond son cabinet. En 2023, chaque ministre fédéral·e engagé·e dans le PAN devra identifier les montants à prévoir pour ses politiques spécifiques. Cette information fera partie du rapport intermédiaire qui sera transmis au Parlement. Au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il est également question d’un budget de plusieurs millions d’euros, notamment pour visibiliser les lignes d’écoute pour les victimes de violences, pour soutenir certaines associations féministes de terrain, dont Garance ou SOS Viol, mais aussi pour la prévention à destination de potentiels auteurs (à hauteur de 30.000 à 50.000 euros).

“Je pense qu’il faudrait beaucoup plus investir dans cette prévention, avant que les violences ne surviennent”, regrette Josiane Coruzzi. Et donc avant qu’il ne faille débourser de l’argent pour en contrer les conséquences. “En attendant, poursuit-elle, il est vrai qu’il ne faut pas oublier les victimes ! Cela ne fait que quarante ans environ que l’on s’intéresse à elles ! On est au tout début du processus de déconstruction de cette violence systémique. Ce n’est qu’après le Tribunal international des crimes contre les femmes à Bruxelles, en 1976, que les premiers refuges ont été créés, celui de La Louvière date de 1979.”

Josiane Coruzzi conseille aux victimes de se faire suivre par des services spécialisés féministes. “Nous sommes devenues expertes dans toutes les démarches administratives à entreprendre. Nous prenons le relais face aux institutions, qui sont parfois violentes, quand les femmes baissent les bras.” Ne pas rester seules, et se faire accompagner le plus tôt possible par des professionnel·les, c’est aussi le conseil de Marion de Nanteuil. “Je pense également à des solutions comme les tribunaux spécialisés dans les violences de genre, comme en Espagne. En Belgique, les compétences des tribunaux sont morcelées en cas de séparation, et cela peut compliquer la défense des victimes.” Julie abonde : “Quand on est entourée des bonnes personnes, qu’on trouve les professionnel·les qui nous entendent réellement, les choses finissent par s’améliorer, et on en ressort plus forte.” Comme une lueur d’espoir et d’humanité au milieu des chiffres et autres calculs savants.

• À écouter, le quatrième épisode de notre série L’heure des éclaireuses consacré aux différents besoins de réparation des femmes victimes de violences >>

Le numéro gratuit pour les victimes de violences conjugales est le 0800 30 030.

Ces femmes qui veulent mettre de l’argent dans nos poches

S’intéresser à l’argent. Gérer son budget pour gagner en autonomie financière. Désacraliser les investissements. Sortir de l’endettement. Laisser tomber le 50/50 dans le couple – pas forcément égalitaire – mais éviter de ne payer que les “pots de yaourt”, histoire de ne pas se retrouver sur la paille si un jour, ça casse… Autant de conseils – pas d’injonctions – qui peuvent s’avérer précieux dans la vie des femmes, défavorisées par notre système économique actuel. Alors, suivons les guides!

© Juliette Léveillé, pour axelle magazine

Titiou Lecoq
La théorie du pot de yaourt

© Juliette Léveillé, pour axelle magazine

Elle a commencé par expliquer au grand public que le combat féministe se passe aussi devant la manne à linge (Libérées !, Fayard 2017). Elle nous a ensuite rappelé toutes ces femmes oubliées de l’histoire (Les grandes oubliées, L’Iconoclaste 2021). Titiou Lecoq signe à nouveau un essai percutant : Le couple et l’argent. Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes (L’Iconoclaste 2022). Elle y reprend les théories d’économistes féministes pour comprendre comment, dans tous les milieux, les femmes se retrouvent toujours plus pauvres que l’homme avec qui elles partagent (ou ont partagé) leur vie. Elle écrit de façon accessible et imagée. Retenons sa “théorie du pot de yaourt” illustrant le genre des achats dans le couple : les femmes achètent davantage la nourriture et les hommes le matériel, ce qui entraîne une inégalité au moment de la séparation. À travers l’histoire de Gwendoline, de l’enfance à la pension, Titiou Lecoq illustre la façon dont le couple accentue les inégalités préexistantes. Elle propose aussi des solutions pour régler enfin nos comptes. Parler d’argent, rompre le tabou ; calculer ce que chacun·e fait dans le couple comme tâches non rémunérées ; participer aux grosses dépenses pour ne pas se retrouver qu’avec ce pot de yaourt vide… Bref, un must-read !

Plan Cash
Argent sans tabou

© Juliette Léveillé, pour axelle magazine

Elles s’appellent Léa Lejeune et Morgane Dion. Ensemble, elles ont lancé le projet “Plan Cash” pour renforcer les femmes en termes d’argent et désacraliser les investissements. Le constat tiré par les deux femmes est que les médias spécialisés en économie ne parlaient pas aux femmes. Léa Lejeune, elle-même journaliste économique, constate que “cette réalité crée un déficit de connaissances lié à l’économie des femmes par rapport aux hommes”. Plan Cash a donc pour but de pallier ce déficit. Sur le site www.plancash.fr, la phrase d’accroche nous place directement dans l’ambiance : “L’argent, c’est le pouvoir. Et les femmes manquent cruellement des deux.” Au menu, des infos, des articles mais aussi des conseils pour investir, gérer son budget (même tout petit) ou encore pour acheter un bien (même avec un apport minime). “Plan Cash aborde la relation complexe entre les femmes, nos finances et les obstacles qui nous empêchent d’atteindre une véritable égalité financière”, expliquent les fondatrices. Petit plus ? Des formations en ligne avec des expertes (plus ou moins 40 euros la formation), mais aussi une page Instagram très nourrie, une newsletter engagée et des événements mensuels (seulement en France pour l’instant).

Mon Budget Bento
Un budget sans complexes

© Juliette Léveillé, pour axelle magazine

Depuis 2013, Maëva est commerciale dans le domaine de la Tech. En 2020, elle lance son compte Instagram Mon Budget Bento, pour partager sa méthode de gestion de budget. Depuis, il y a aussi un blog et un livre dans lesquels elle propose des articles explicatifs sur différents thèmes, de la vie privée aux loisirs en passant par la finance pure ou les impôts. Son idée : nous aider à automatiser notre budget, pour ne plus le subir, mais le maîtriser, pour gagner en autonomie financière. Le principe : comme dans une boîte bento – cette petite box japonaise destinée à ranger les éléments d’un repas à emporter –, Maëva conseille de créer plusieurs comptes bancaires qui serviront uniquement à ce à quoi ils sont dédiés. Le général, sur lequel arrive l’argent chaque mois, et d’autres : un réservé aux factures, un aux loisirs, un aux courses… Dans une interview pour le blog Mon petit placement, elle explique : “Avec une organisation bien ficelée, on peut se consacrer à assainir ses finances (si nécessaire) et financer les projets qui nous tiennent à cœur […]. [C’est] important pour se projeter et qu’a minima ce ne soit pas une source de stress !” Si la méthode ne convient pas à toutes les réalités des femmes, les articles du blog restent intéressants et renforçants !

Michelle Jackson
Sans dette et solidaire

© Juliette Léveillé, pour axelle magazine

L’Américaine Michelle Jackson a elle-même connu de grosses difficultés après s’être retrouvée avec une dette de 60.000 dollars contractée pour ses études. Il y a dix ans, elle a commencé à faire des recherches, écrire et collaborer sur le thème des finances personnelles, en se concentrant sur le remboursement des dettes, les relations à l’argent, le crédit, les hypothèques et l’entrepreneuriat. Depuis, elle a travaillé avec de nombreuses organisations pour donner des clés et des pistes de solution aux femmes en situation d’endettement. Elle anime des discussions virtuelles, des conférences, autour de la finance. Femme afro-américaine, Michelle Jackson essaie d’aider sa communauté, particulièrement précarisée aux États-Unis. Elle est également autrice de podcasts dont “Michelle Is Money Hungry” (“Michelle a faim d’argent”, en anglais), qui a remporté plusieurs prix. Depuis quelque temps, elle s’intéresse également aux crypto-monnaies dans un autre podcast : “What the Heck is Crypto ?” (“C’est quoi la crypto ?”). Son compte Instagram, est intéressant et drôle. On a adoré son dernier post : “Pourquoi vous ne devez pas acheter des places pour le concert de Beyoncé, elle est millionnaire, vous pas !”

Héloïse Bolle
Prenons l’oseille !

© Juliette Léveillé, pour axelle magazine

Héloïse Bolle est la fondatrice du cabinet Oseille & Compagnie, spécialisé dans la gestion de patrimoine. Depuis 2018, elle est aussi la rédactrice de la newsletter “Prends l’oseille”, qui veut former les femmes aux fondements de la finance et de l’investissement. “Ici, on parle d’argent simplement. L’argent qu’on gagne, l’argent qu’on met de côté, l’argent qu’on dépense, celui qu’on ne devrait pas dépenser, l’argent qu’on investit, l’argent qu’on doit, l’argent qu’on reçoit, l’argent qu’on partage”, explique-t-elle sur son site. Chaque mois, dans “Prends l’oseille”, elle cause immobilier, budget, épargne, fiscalité, mais aussi bourse ou argent dans le couple, simplement et sans tabou. Parce que parler d’argent est, selon Héloïse, nécessaire : “Personne ne nous apprend plus à l’école à établir et à tenir un budget, écrit-elle dans une de ses newsletters. Ma grand-mère, pendant ses cours d’économie domestique, a appris des choses utiles, comme la gestion d’un budget familial. Elle a aussi appris à repasser un pantalon en cinq étapes et à tricoter un passe-montagne.” Oui, parce qu’en plus de nous renforcer financièrement, Héloïse Bolle nous fait rire !

Tiffany Aliche
Yes, we can

© Juliette Léveillé, pour axelle magazine

Cette ex-enseignante américaine a tout plaqué pour devenir une super star de l’éducation financière. En quelques années, elle est devenue chouchoute des plateaux TV, héroïne d’un docu Netflix, autrice du best-seller du New York Times, Get Good with Money (“Devenir bon avec l’argent”). Elle a également contribué à la publication de la loi “Budgetnista” en janvier 2019, rendant l’éducation financière obligatoire pour les élèves des écoles intermédiaires du New Jersey. Son mouvement “Live Richer” (“vivre plus riche”) a aidé plus de deux millions de femmes à économiser, gérer et rembourser des centaines de millions de dollars. “Mes parents, qui sont nés et ont grandi au Nigeria, m’ont appris ce proverbe africain : la meilleure façon de manger un éléphant est une bouchée à la fois, a-t-elle déclaré lors d’une interview au site financier PNC. La clé de la gestion de l’argent est de se concentrer sur l’acquisition d’une compétence de base à la fois et de progresser à partir de là. Vous pourriez dire : “Cette année, je vais m’entraîner à établir un budget. L’année prochaine, je me concentrerai sur la meilleure façon d’épargner”.” Aujourd’hui, Tiffany Aliche, alias The Budgetnista, compte plus de 2,5 millions de followers sur les médias sociaux.

Elle s’appelait Sourour

Sourour Abouda, Bruxelloise de 46 ans, est décédée le 12 janvier 2023 dans des circonstances troubles dans un commissariat de la rue Royale à Bruxelles. Après Ilyes Abbedou et Mohamed Amine Berkane, Sourour est la troisième personne en deux ans à avoir perdu la vie dans ce commissariat. Justice pour une sœur, une fille, pour une mère, pour une amie, pour une collègue, demandent ses proches. Qui se rassemblent régulièrement pour ne pas l’oublier, s’indigner et continuer à chercher la vérité. axelle a voulu consigner leurs mots. Pour se souvenir de Sourour. Femme solaire, puissante, mère aimante et battante.

Le 4 mars 2023, un rassemblement a été organisé place Poelaert pour demander "Justice pour Sourour". © Manon Legrand, pour axelle magazine

Sourour était ma sœur, une sœur qui m’a fait grandir, m’a prise sous son aile, m’a élevée, m’a fait rire et pleurer, m’a aimée pour finalement m’être arrachée dans la plus grande violence.” Ce sont les mots prononcés par sa sœur, Soumaya, lors du rassemblement organisé place Poelaert pour demander “Justice pour Sourour”, le 4 mars dernier. Soumaya Abouda a aussi égrené les violences subies par la famille depuis l’annonce de la mort de sa sœur aînée – c’était la 2e d’une famille de 4 enfants –, violences qui ont “transformé [leur] deuil en lutte”. D’abord l’annonce par la police à la famille d’un suicide, thèse largement reprise dans la presse qui a été abandonnée ensuite pour être requalifiée d’”auto-strangulation” par le parquet ; “l’adjectif “indigente” utilisé par la police” pour qualifier Sourour Abouda ; “l’occultation des preuves, la lenteur des procédures ; l’impossibilité de réaliser une contre-autopsie en Belgique, sauf hors de prix”, etc. Et de terminer son discours par un adieu à sa “sœur sourire”.

Sourour, sourire et solaire

“Sourour veut dire “joie” en arabe. Mais tout le monde pense à “sourire”… Parce que ça lui allait bien”, nous confie Sung, son amie très proche, sa “sœur jumelle”, son inséparable. “Elle avait un rire communicatif et un humour incroyable. On a pleuré de rire ensemble”, se souvient-elle.

Sourour veut dire “joie” en arabe. Mais tout le monde pense à “sourire”… Parce que ça lui allait bien.

Sung – ou Sumi, comme Sourour l’appelait en référence aux “dim sum” (dans la cuisine cantonaise, ce sont des petites portions de plats signifiant littéralement “cœurs à petite touche”), “un petit nom pour exprimer sa tendresse envers moi” – souligne sa fougue, son grand sens de la fête aussi. “C’était une femme-feu, explique-t-elle, se remémorant les nombreuses tournées des grands-ducs avec son amie oiseau de nuit, comme deux adolescentes… ou un vieux couple, sourit Sung. Elle aimait les gens, la fête, et le lien, on n’était jamais seules à table.”

Un côté rassembleur et festif également rappelé par Sarah de Liamchine, codirectrice de l’association Présence et Action Culturelles (PAC) où Sourour travaillait depuis trois ans au pôle ressources humaines, dans son discours devant la foule de 1.000 personnes rassemblées place Poelaert. “Tout le monde se souviendra de la farandole qu’elle a lancée, ou de son rock’n’roll endiablé. […] Je me souviens d’elle à son entretien d’embauche, et elle avait une énorme détermination dans le regard, a aussi témoigné Sarah de Liamchine. Elle voulait ce travail, elle le voulait vraiment et j’étais ravie de pouvoir l’engager.”

Elle était comme ça, Sourour, la générosité chevillée à l’âme et au corps.

La codirectrice qualifie aussi Sourour, très active dans le monde associatif, citoyenne généreuse, “d’hyper loyale” ; une personne “sur qui on pouvait compter et qui avait une capacité d’écoute, d’aide spontanée à l’égard de tout le monde.”

“Généreuse à toute épreuve” : c’est par ces mots que Sarah, une amie de longue date de Sourour (bien qu’elles se soient perdues de vue ces dernières années), se souvient. “Sourour était une excellente cuisinière et n’hésitait pas à inviter une vingtaine de personnes à manger, en préparant ses spécialités tunisiennes, en chantant dans sa minuscule cuisine, en racontant blague sur blague, en faisant dix choses en même temps. Plein de marmites sur le feu, des bricks au poulet dans le four, cette odeur d’épices enivrantes… Elle était comme ça, Sourour, la générosité chevillée à l’âme et au corps. Dans nos cultures – je suis d’origine algérienne –, on n’a pas l’habitude de se dire qu’on s’aime, en tout cas les personnes de notre génération. Offrir de la nourriture, c’était aussi sa façon d’aimer.”

Sourour douceur, Sourour colère

“Allan, ta maman, c’est une guerrière.” Sarah de Liamchine a aussi voulu adresser quelques mots au fils de Sourour, qu’elle a élevé en maman solo, battante, chaque jour. “Elle n’a jamais lâché malgré les difficultés et les galères financières que toutes les mamans solos connaissent dans la société”, continue-t-elle.

C’est aussi leur condition de maman solo que partageaient Sung, Sourour, et Sylvia, la troisième “drôle de dame” de ce groupe d’amies, croisée le 4 mars. Sylvia évoque en quelques mots, le souvenir d’un déménagement de canapé un dimanche soir à 22 heures. Entre femmes, dans la débrouille et… les rires. “Je pense que le fait qu’on était monoparentales explique qu’on était si soudées, se souvient Sung. Elle aimait beaucoup ma fille, qu’elle considérait comme la sienne. C’était un pilier pour son fils, son bébé, sa source, son trésor, mais aussi pour les autres membres de sa famille. Au risque de s’oublier elle-même, parfois ?”

On partageait aussi un parcours de femme “déracinée”. Moi, Coréenne adoptée, elle d’origine tunisienne. On était des femmes blessées, toutes les deux. Qui ne l’est pas ? Elle se protégeait énormément, mais je décelais, sous la carapace, sa grande douceur.

“Sourour était parfois infiniment dure avec moi, autoritaire, confie aussi Sung. Elle était fière. On s’engueulait, et ça pouvait durer des jours et des jours… Puis on se prenait dans les bras et je lui disais : “Pourquoi es-tu si dure avec moi ?”” Pourquoi ? Sung esquisse une réponse. “On partageait aussi un parcours de femme “déracinée”. Moi, Coréenne adoptée, elle d’origine tunisienne. On était des femmes blessées, toutes les deux. Qui ne l’est pas ? Elle disait que chaque femme a un jardin secret à conserver. Elle se protégeait énormément, mais je décelais, sous la carapace, sa grande douceur.” Mais Sung insiste, en se remémorant avec émotion sa “toute belle”, comme elle l’appelait souvent : “On voulait créer de belles choses, malgré nos vies d’écorchées, et on se faisait beaucoup de bien.”

Le 8 mars 2023, devant le Palais de Justice de Bruxelles, le collectif des Mères Veilleuses demande “Vérité et Justice” pour Sourour. © Zoé Penelle, pour axelle magazine

Sourour, notre sœur

Sourour portait aussi les combats féministes. Elle avait notamment écrit dans la revue Agir par la culture du PAC un article sur la précarité menstruelle. Un sujet qui lui tenait à cœur : elle qui était engagée dans l’asbl BruZelle, association dédiée à cet enjeu. “Sourour lisait aussi axelle, elle vous aimait bien”, nous confie Sung, comme un cadeau.

“Sourour était profondément attachée aux relations humaines positives, constructives et motivées par de meilleurs lendemains”, a écrit le PAC quelques jours après son décès. La garder vivante, lui rendre justice, c’est donc aussi lutter pour des lendemains qui chantent.

“Personne ne nous dissuadera de chercher la vérité et la justice, a défendu Soumaya, sa sœur, dans son discours place Poelaert. Chaque jour, je pense aux familles qui ont été forcées d’abandonner, épuisées par un appareil d’État méprisant, complice de cette violence. C’est aussi pour elles et avec elles que nous nous battons aujourd’hui.”

Le 8 mars, journée de lutte pour les droits des femmes, Sourour était là, parmi les manifestant·es. Dans les cœurs, sur les lèvres, sur les affiches, ainsi que sur cette immense banderole accrochée place Albertine. © Zoé Penelle, pour axelle magazine

“Justice pour Sourour, Justice pour touxtes”

Sourour était là, parmi nous, le 8 mars, journée de lutte pour les droits des femmes. Dans nos cœurs, sur les affiches, sur les lèvres, sur une immense banderole accrochée place Albertine : “Justice pour Sourour, Justice pour touxtes”. Des femmes ont aussi, avant de lancer la marche, sur les coups de 18 heures, honoré la mémoire de Sourour et de toutes les victimes de violences policières. Elles ont rappelé que “le combat contre les violences d’État racistes fait partie à part entière du combat féministe, qu’il n’y a pas de lutte féministe sans la lutte antiraciste et décoloniale, pas de lutte féministe sans la lutte pour la régularisation de toutes les personnes sans papiers, sans la lutte contre ces frontières qui tuent tous les jours, sans la lutte contre l’impunité policière.”

Un peu plus tôt dans la journée, des femmes avaient disposé des roses blanches à la flamme éternelle, à la colonne du Congrès, non loin du commissariat. Là où la famille avait déposé symboliquement des fleurs qui ont ensuite été retirées par la Ville. Pour entretenir le feu. Le feu de Sourour.